Couleur

Il y a 370 citations en tout. Les 300 premières citations sont de Sénèque. Une bonne partie provient des lettres à Lucilius et du traité De la colère.

Pour les 70 citations restantes, je ne peux hélas préciser qui est l’auteur car je ne sais plus. Néanmoins, je crois pouvoir affirmer de façon certaine qu’il y a des citations de Matthieu Ricard, Alexandre Jollien, Ernst Junger, Émile Chartier (Alain), Frédéric Lenoir, Pierre Hadot, Jean-Jacques Rousseau, Dilgo Khyentsé Rinpoché, le Dalaï-lama et Etty Hillesum. Pardon pour ceux que j’oublie. Un très grand nombre de citations ont été remaniées « à ma sauce ».

Je ne crois pas que « couleur » contienne des citations d’Arnaud Desjardins : pour des raisons chronologiques d’une part et parce qu’il m’a semblé que son œuvre se prêtait mal à l’extraction de citations d’autre part. Néanmoins, les ouvrages d’Arnaud Desjardins représentent pour moi un soutien inestimable. C’est pourquoi, j’oriente tout particulièrement les personnes en situation de persécutions (politiques ou métaphysiques) vers les 4 livres ci-dessous. De manière générale, toute personne en situation de souffrance psychique pourrait y trouver une nourriture spirituelle susceptible de lui redonner espoir.

  1. Arnaud Desjardins - La paix toujours présente
  2. Arnaud Desjardins - A la Recherche du Soi
  3. Arnaud-Desjardins - La voie et ses pieges
  4. Arnaud Desjardins - En relisant les évangiles

Puissent ces citations et ces ouvrages aider quelqu'un.

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Liste des 370 citations

  1. Tu demandes quels progrès j’ai fait ? Je commence à être l’ami de moi-même. Un tel homme soit en sûr est l’ami de tous les hommes.
  2. Les gladiateurs ont droit de rendre les armes et de tenter la pitié du peuple ; toi, tu ne rendras pas les tiennes et ne demanderas point la vie. Tu dois mourir debout et invaincu.
  3. Chez personne la sagesse n’a précédé l’erreur : chez tous la place est occupée d’avance.
  4. Une armée marche en bataillon carré lorsque de tout coté des surprises de l’ennemi sont à craindre ; chacun se dispose à le recevoir. Ainsi doit faire le sage : déployer ses vertus en tous sens et qu’importe par où vienne l’agression, y avoir la défense toute prête et que tous obéissent sans confusion au moindre signe du chef.
  5. Ne va pas par toi-même aggraver tes maux et t’achever par tes plaintes : « c’est peu de choses, sachons l’endurer, cela va finir ». Tu rends le mal léger en le rendant tel.
  6. Au sein même des crises les plus difficiles, que l’homme se dise « ces souvenirs un jour peut-être auront leur charme ».
  7. La bonne foi est le trésor le plus inviolable de la conscience humaine ; aucune nécessité ne la forcerait au parjure, aucune largesse ne la corrompt.
  8. Je n’obéis pas à Dieu, je m’unis à sa volonté, c’est par dévouement et non par nécessité que je le suis. Quoi qu’il arrive, j’accepterai tout sans tristesse, sans changer de visage, jamais je ne payerai à contre cœur mon tribut.
  9. Tout ce qu’une longue suite de travaux constants, aidée de la faveur des Dieux, réussit à élever, un seul jour le brise et le disperse.
  10. Ne donnons gain de cause à celui-ci que sur preuve qu’il aura rompu sans retour avec la mollesse. Jusqu’ici ce n’est que bouderie.
  11. Il est de haute montagne dont les proportions vues de loin paraissent moindres mais qui de près, frappent le spectateur par leurs gigantesques sommets.
  12. L’empire sur soi-même est le plus grand de tous les empires.
  13. Ô Folie ! Quand le signal de combattre est donné, tu t’escrimes contre le vent ! Écarte ces fleurets, c’est des armes de guerre qu’il te faut.
  14. L’homme agissant doit aussi se reposer. Consulte la nature, elle te dira qu’elle a créé le jour et la nuit.
  15. Quant aux hommes qui se portent vers l’honnête, plus ils font d’effort sans se laisser vaincre ni arrêter en leur chemin, plus je les admire et leur crie « redoublez de courage, faites provision de souffle et franchissez la montagne s’il se peut, tout d’une haleine : la fatigue est l’aliment des fortes âmes ».
  16. Ai-je le temps d’épier des paroles à double entente pour y exercer ma sagacité ? Une âme forte, voilà ce qu’il me faut et qu’un tel fracas de guerre m’assiège sans m’étourdir.
  17. Tu ne jouiras, sois en sûr, d’un calme parfait que si nulle clameur ne te touche plus, si aucune voix ne t’arrache à toi-même, qu’elle flatte ou qu’elle menace ou qu’elle assiège l’oreille de sons vains et discords.
  18. Il n’appartient qu’à la folie, nul ne le niera, de faire lâchement et à contre-cœur ce qu’elle doit faire, de pousser son corps d’un côté, son âme de l’autre et d’être tiraillée par les mouvements les plus contraires.
  19. Ceux que la guerre trouvait invincibles ont été défaits par le vin.
  20. Un mal de vessie t’a ôté ton repos ? Tes aliments t’ont paru amers ? Ton affaiblissement a été continu ? Tout cela est dans une longue vie ce que sont dans une longue route la boue, la poussière et la pluie.
  21. Ne te vante point de cette même philosophie : elle a maintes fois failli perdre ceux qui la pratiquent avec trop de hauteur et d’indépendance. Qu’elle extirpe tes vices sans reprocher les leurs aux autres, qu’elle n’ait point en horreur les usages reçus et ne se donne point l’air de condamner tout ce qu’elle ne fait pas. La sagesse peut aller sans faste, sans offusquer les gens.
  22. Les plus sûrs indices de la force naissent de l’imprévu, quand les contre-temps nous trouvent non seulement courageux mais calmes.
  23. La philosophie a pour principe l’amour de nos semblables. Nous démentirions cette même philosophie si nous faisions divorce avec les humains.
  24. Tu ne peux fuir les nécessités d’ici-bas, mais en triompher tu le peux. Ouvre-toi un passage. Pour te l’ouvrir, tu auras la philosophie. Livre-toi à elle, si tu veux la vie sauve, la sécurité, le bonheur et pour tout dire le premier des biens : la liberté. Tu n’arriveras là que par elle.
  25. On ne saurait croire quelle force à la philosophie pour amortir tous les coups du hasard : elle est remparée et inébranlable. Elle lasse certaines attaques ; d’autres sont comme de flèches légères perdues dans les plis de sa robe ; ou bien elle la secoue et les renvoie à qui les a lancées.
  26. Je suis trop grand et destiné à de trop grandes choses pour me faire le valet de mon corps, qui n’est rien d'autre à mes yeux, qu’un réseau jeté autour de mon indépendance.
  27. Il est des couleurs que la laine prend du premier coup ; il en est d’autres dont elle ne peut s’imboire qu’après qu’on la mainte fois macérée et recuite.
  28. Tu as ton œuvre à faire : lutte bravement contre le mal ; s’il ne t’arrache rien de force ou de surprise, tu donnes un noble exemple aux hommes. Sois à toi-même ton propre spectateur, ton admirateur.
  29. Prends comme tu voudras ce vœu que je fais pour toi : c’est celui du courage autant que de l’amitié ; fasse les Dieux et les Déesses que tu ne sois jamais l’enfant gâté de la fortune.
  30. Si quelque Dieu te laissait le choix, lequel aimerais-tu mieux : de vivre dans des camps ou dans des tavernes ?
  31. Quelqu’un se plaignait à Socrate que les voyages ne lui avaient servi de rien ; le sage lui repartit « ce qui vous arrive est tout simple : vous voyagiez avec vous ».
  32. Tu devras à la philosophie l’avantage au-dessus duquel je ne vois rien, de ne jamais te repentir de toi-même.
  33. L’extrême colère aboutit au délire et il faut la fuir pour sauver notre raison.
  34. L’homme qui court sur une pente raide ne se retient pas où il veut ; entraîné par sa vitesse et le poids de son corps, il dépasse le point qu’il s’était marqué.
  35. Tout chemin est supportable aux bêtes de somme dont le sabot s’est endurci sur d’âpres sentiers. Celles qui furent engraissées dans de molles et humides prairies se déchaussent vites.
  36. Tu te souviens Hélas ! Dans quelle fausse se joie se passa cette nuit, la dernière de Troie.
  37. Ô Trois et quatre fois heureux, vous tous qui, pour sauver les hauts remparts de Troie, sous les yeux paternels, mourûtes avec joie.
  38. On entend par bon navire celui qui est ferme et solide. Bien calfeutré contre les infiltrations et assez fort pour rompre le choc des vagues. Bon voilier et garde au vent son équilibre.
  39. La méchanceté boit la plus grande partie de son propre venin.
  40. Il faut apprendre et confirmer par l’action ce qu’on a appris.
  41. Veux-tu fuir un mal qui t’obsède ? Il n’est pas besoin que tu sois ailleurs ; sois autre.
  42. N’est-il pas bien doux de rester à l’écart et de regarder ces marchés publics sans vendre ni acheter quoi que ce soit ?
  43. Il faut persévérer, il faut qu’un travail assidu accroisse tes forces jusqu’à faire passer dans tes habitudes le bien que rêve ta volonté.
  44. Hâte-toi donc cher Lucilius et songe combien tu redoublerais de vitesse si tu avais l’ennemi à dos… Tu en es là ; on te serre de près ; fuis plus vite et trompe l’ennemi. Ne t’arrête qu’en lieu sûr.
  45. On saura quels combats tu auras rendu quand tu rendras ton dernier souffle. « J’accepte la condition et n’ait point peur de comparaître ». Voilà ce que je me dis. Prends que je te l’ai dit à toi aussi.
  46. Un bon pilote tient encore la mer avec sa voile déchirée, dégarni même de ses agrès, il radoube encore les débris pour de nouvelles courses.
  47. Le premier ennemi à vaincre est la volupté, qui tu le vois, entraîna dans ses pièges, les cœurs les plus farouches. Que le travail seul fasse couler nos sueurs.
  48. Nos fautes viennent de ce que nos délibérations embrassent toujours des faits partiels, jamais un plan général de vie : on doit savoir avant de lancer une flèche quel but on veut frapper. Alors la main règle et mesure la portée du trait.
  49. Digérons les aliments de l’esprit sans quoi ils s’arrêtent à la mémoire et ne vont pas à l’intelligence.
  50. Il faut se proposer un but de perfection vers lequel tendent tous nos efforts et qu’envisagent tous nos actes et toutes nos paroles, comme le navigateur a son étoile pour le diriger dans sa course.
  51. Observe autrui de peur qu’on ne te blesse. Toi-même pour ne pas blesser.
  52. Sans sacrifice, point de liberté ; Et qui tient la liberté pour beaucoup doit tenir pour bien peu tout le reste.
  53. En te défendant le désir, je te permettrai le vouloir. Les plaisirs ne viendront-ils pas mieux à toi, si tu leur commandes que si tu leur obéis ?
  54. La tâche de la philosophie n’est point de suggérer des excuses aux vices.
  55. Combien y ferais-je de progrès ? Autant que tu feras d’efforts.
  56. Nous devons, à l’exemple des abeilles, classer tout ce que nous avons rapporté de nos différentes lectures. Tout se conserve mieux par le classement.
  57. Bien mourir c’est mourir sans regret. Prends garde de ne jamais rien faire malgré toi.
  58. La vie est assez riche de ressource mais nous sommes trop avides de les multiplier ; quelque chose nous semble manquer et nous le semblera toujours.
  59. Qui a t’il de plus précieux que le devoir ?
  60. Avant de juger qui il est, voyons s’il est un.
  61. Tout jouissance qui suit la privation est plus avidement saisi.
  62. Voilà pourquoi tu es mandé. Tu as à soigner un mal invétéré, grave, épidémique. Tu n’as pas moins à faire qu’un Hippocrate en temps de peste.
  63. Néanmoins, la situation qu’ils ont fuie [passions et vices], ils n’y peuvent plus retomber ; ils en sont à ce point où on ne glisse plus en arrière mais ils ne savent pas qu’ils savent. Ils jouissent déjà d’un état meilleur mais ils n’y ont pas encore foi.
  64. Aux êtres bons par excellence, le pouvoir de nuire manque.
  65. Cette indépendance, quelle est-elle ? Ne craindre ni les hommes ni les Dieux, ne vouloir rien de honteux, rien d’immodéré, exercer sans limite la royauté de soi-même. Inestimable bien que celui de s’appartenir.
  66. Ne tente rien qu’à propos et en temps utile : mais cette heure longtemps épiée, prends ton élan.
  67. Travaille à former en toi l’homme en face duquel tu n’oserais mal faire.
  68. Il n’est qu’un bien qui donne et consolide la vie heureuse : être sûr de soi.
  69. Il nous faut vivre pour autrui si nous voulons vivre pour nous-même.
  70. Ainsi dans l’homme, il importe combien est-il bon. Voilà ce qui importe.
  71. Voici une recette pour se faire aimer sans drogues, ni herbes, ni paroles magiques de sorcières : aimez et on vous aimera.
  72. Socrate disserta dans sa prison. Il pouvait fuir, on lui offrait de le sauver mais ne le voulût point et resta, pour ôter aux hommes leur deux grandes terreurs que sont la prison et la mort.
  73. Étudie-toi à mourir c’est à dire étudie-toi à être libre. Qui sait mourir ne sait plus être esclave et se place au-dessus ou du moins, hors de tout pouvoir.
  74. La philosophie en adoptant Platon, ne lui demanda pas ses titres, elle les lui conféra. Pourquoi désespérerais-tu de ressembler à ces grands hommes ? Ils sont tous tes ancêtres si tu te rends digne d’eux et pour l’être, il faut tout d’abord te persuader que nul n’est de meilleure maison que toi.
  75. Qui ne blâmerait et avec justice, une indolence hors de saison, dangereuse après la victoire, plus dangereuse quand la victoire est inachevée.
  76. Poursuis les vices sans mesure et sans fin car eux non plus n’ont ni fin ni mesure. Surtout bannis les voluptés et voue leur l’aversion la plus vive : elles nous embrassent pour nous étouffer.
  77. Une fois dans la solitude, il faut t’entretenir avec ta conscience. Soigne surtout la partie de ton âme que tu sentiras la plus faible.
  78. Ce qu’il y a dans la sagesse d’inestimable et de magnifique, c’est qu’elle ne vient pas spontanément, c’est qu’on la tient de soi et qu’on ne l’emprunte pas à autrui.
  79. Le premier signe d’une âme bien réglée est de se fixer, de séjourner avec soi.
  80. Ne point ressembler aux méchants parce qu’ils sont le grand nombre. Ne point haïr le grand nombre parce qu’ils sont différents de nous.
  81. Heureux le personnage dont le souvenir même rend meilleur ! Heureux qui le vénère assez pour qu’à ce seul souvenir, il rentre dans le calme et dans l’ordre.
  82. Qui dit le soir « j’ai vécu » peut dire le matin « je gagne une journée ».
  83. Ne compte pas trop vite et trop aisément sur toi-même : secoue les divers replis de ton âme, scrute et observe.
  84. J’ai aussi un siège à soutenir ! A la guerre, le péril me viendrait du dehors : un mur me séparerait de l’ennemi ; ici c’est en moi qu’est l’ennemi mortel.
  85. Je subis la torture mais avec courage, tout va bien. Je péris mais avec courage, tout va bien.
  86. Ce que l’homme de bien croira qu’il est honnête de faire, il le fera même à son détriment. Il le fera quand il y aurait danger pour lui. Mais une chose honteuse, il ne la fera jamais. Nulle crainte ne le détournera de l’honnête, nul espoir ne l’engagera dans la honte.
  87. Le sage se propose non d’accomplir quoi qu’il arrive ce qu’il entreprend mais d’agir en tout selon son devoir. Car en temps calme, comme on dit, le premier venu est pilote.
  88. Et bien la vie Lucilius, c’est la guerre. Ainsi ceux qui, toujours alertes, vont gravissant des rocs escarpés ou plongent dans d’affreux ravins et tentent les expéditions les plus hasardeuses sont les braves et l’élite du camp. Mais ceux qu’une ignoble inertie enchaîne à leur bien-être, sont les lâches qu’on laisse vivre par mépris.
  89. Le supplice du crime est dans le crime-même.
  90. Fuyons au plus loin tout sentier où l’on glisse, sur le terrain le plus sec, nous nous tenons déjà si peu ferme.
  91. Je parle de la philosophie comme de celle dont le prix consiste à ne pouvoir se vendre à aucun prix. Consacre-toi tout à elle. Tu es digne d’elle, elle est digne de toi. Volez dans les bras l’un de l’autre.
  92. C’est dans le cœur qu’il faut posséder son ami. Sois donc de moitié dans mes études, dans mes promenades, dans mes soupers. Moi je te vois cher Lucilius, je t’entends même ; je suis tellement avec toi.
  93. Une forte diversion ôte tout loisir aux folles fantaisies et s’il est une chose de sûre, c’est que les vices nés de l’inaction se chassent par l’activité.
  94. Répète-toi au lieu de te plaindre à chaque dommage qui survient : « les Dieux ont jugé autrement » ou même, inspiration plus haute, plus juste, plus réconfortante pour l’âme « les dieux ont mieux jugé que moi ». Plus d’accident pour l’homme ainsi préparé.
  95. Face à dix légions, il élève une voie libre. Il exhorte la république à ne point fléchir dans sa lutte pour la liberté, à tenter toutes les épreuves. La question n’est pas si Caton sera libre mais s’il vivra au milieu d’hommes libres. De là son mépris des périls et des glaives.
  96. Parmi les bruits qui retentissent autour de moi sans me distraire, je mets celui des chariots qui passent, du forgeron logé sous mon toit, du serrurier voisin ou de cet autre qui essaye ses trompettes. Au reste, je suis tellement aguerri à tout cela que je pourrais même entendre la voie écorchante d’un chef de rameur marquant la mesure à ses hommes : je force mon esprit à une constante attention sur lui-même et à ne pas se laisser détourner vers le dehors.
  97. A l’homme qui parcourt le domaine de la nature, jamais la vérité n’apporte l’ennui : mais le faux rassasie bien vite.
  98. Quel concours du peuple à un spectacle de mensonge et d’illusion et quel désert autour de la science.
  99. Au milieu pourtant de tous ces supplices, tel homme a pu ne point gémir, que dis-je ? Ne point supplier, ne rien répondre : il a pu rire et rire franchement. Et tu n’oserais après cela te railler de la douleur ?
  100. Que la philosophie nous enveloppe de son rempart inexpugnable : le sort, dût-il l’attaquer de ses milles machines, n’y fera point brèche. Elle est retranchée dans un poste invincible l’âme qui a rompu avec le dehors : ce fort qu’elle s’est construite, elle sait s’y défendre.
  101. Il n’y a de grand que ce qui en même temps est calme.
  102. Est-ce que le maître du vaisseau dont la charpente désunie fait eau de toutes parts s’en prend aux matelots et au bâtiment ? Il fait mieux : il court au remède, ferme passage à l’onde extérieure, rejette celle qui a pénétré, bouche les ouvertures apparentes, combat par un travail continu les infiltrations cachées qui remplissent insensiblement la cale, et ne se rebute pas de voir l’eau se renouveler à mesure qu’on la fait sortir. Car il faut une lutte infatigable contre des fléaux toujours actifs et renaissants, non pour qu’ils disparaissent mais pour qu’ils ne prennent pas le dessus.
  103. Pyrrhus, dit-on, ce grand maître d’exercice gymnique, recommandait toujours à ses élèves de ne point s’irriter. La colère, en effet, trouble tous les calculs de l’art, c’est de frapper seulement, et non de parer, qu’elle se préoccupe.
  104. Il est d’une grande âme de dédaigner les injures : la plus méprisante manière de se venger est de ne pas juger l’agresseur digne de vengeance. Combien, pour avoir voulu raison d’une légère offense, n’ont fait que creuser leur blessure ! Il est grand et généreux celui qui, à l’exemple du roi des animaux, entend sans s’émouvoir les aboiements d’une meute impuissante.
  105. Si nous nous choisissons des armes légères, une épée facile et commode à manier ; ne renoncerons-nous pas à la fougue des passions, bien moins maniables, furieuses, qui ne reviennent plus à nous ? La seule vélocité qui plaise est celle qui s’arrête au commandement, qui ne s’élance pas au-delà du but et qu’on peut replier sur elle-même et ramener de la course au pas.
  106. La région supérieure du ciel et la mieux ordonnée, celle qui avoisine les astres, ne s’amasse pas en nuages, n’éclate pas en tempête, ne se roule pas en tourbillons ; elle est à l’abri du plus léger trouble : c’est plus bas que gronde la foudre.
  107. Souvent c’est l’interprétation qui arrive à donner aux choses les couleurs de l’injure. Patientons donc pour les unes, moquons-nous des autres ou bien pardonnons. Il est mille moyens de prévenir la colère ; le plus souvent tournons la chose en badinage ou en plaisanterie. Socrate, dit-on, ayant reçu un soufflet, se contenta de remarquer « qu’il était fâcheux d’ignorer quand on devait sortir avec un casque ». Ce n’est pas la manière dont l’injure est faite qui importe : c’est comment elle est supportée.
  108. Le propre de la vraie grandeur est de ne pas se sentir frappée. Ainsi aux aboiements de la meute, le lion tourne lentement la tête ; ainsi un immense rocher brave les assauts de la vague impuissante. « Quoi que tu fasses, tu sièges trop bas pour troubler la sérénité de mon ciel ; la raison s’y oppose et je lui ai livré la conduite de ma vie ; la colère me nuirait plus que l’injure, oui, plus que l’injure : je sais jusqu’où va l’une ; où entraînerait l’autre, je ne le sais pas ».
  109. On t’a fait un outrage : t’a t’on fait pire qu’à Diogène ? Au moment même où il dissertait sur la colère, un jeune insolent cracha sur lui ; il reçut cet affront avec la douceur d’un sage et dit : « je ne me fâche pas ; je suis toutefois en doute si je dois me fâcher ».
  110. Mais gourmander la colère et la heurter de front, c’est l’exaspérer. Il faut la prendre par 1000 biais et par la douceur, à moins d’être un personnage assez important pour la briser d’autorité, comme le fit le divin Auguste. Es-tu assez puissant pour foudroyer la colère du haut de ta supériorité ?
  111. Le grand remède de la colère c’est le temps. N’exigez pas dès l’abord qu’elle pardonne mais qu’elle juge, elle se dissipe pour peu qu’elle attende ; n’essayez pas de l’étouffer d’un seul coup, dans la violence de ses premiers élans : la victoire complète s’obtiendra par des succès partiels.
  112. Alors que tout te semble calme, ne crois pas à l’absence, mais au sommeil de la tempête : un bon pilote ne livre jamais toutes ses voiles avec une confiance absolue ; il veut pouvoir les replier vite, et tient ses cordages prêts.
  113. Il y a des gens, dit Sextius, qui se sont bien trouvés d’avoir, dans la colère, jeté les yeux sur un miroir. Effrayés d’une telle métamorphose, et conduits pour ainsi dire en face d’eux-mêmes, ils ne se reconnaissaient point ; et combien un miroir rendait faiblement leur difformité réelle.
  114. La colère d’ailleurs, ne se croit jamais plus belle que quand elle est horrible, effroyable : telle elle veut être, telle aussi elle veut qu’on la voie.
  115. Toute aspérité s’émousse et peu à peu s’efface au milieu d’êtres naturellement doux.
  116. Tout ce que tu veux sainement apprécier, abandonne-le au temps : les flux et reflux du présent ne laissent rien voir avec netteté.
  117. J’aurai accompli une portion de ma tâche Novatus ; j’aurai pacifié l’âme, si je lui ai appris à ne pas sentir la colère, ou à s’y montrer supérieure.
  118. Tant que nous sommes parmi les humains, sacrifions à l’humanité ; ne soyons pour personne un objet de crainte ou de péril : injustices, dommages, apostrophes injurieuses, tracasserie, méprisons tout cela, et soyons assez grands pour supporter ces désagréments d’un jour. Nous n’aurons pas regardé derrière nous et comme on dit, tourné la tête, que la mort sera là. Fin de la colère.
  119. D’ailleurs si le sage doit s’emporter contre les actions honteuses, et s’émouvoir et s’attrister de tous les crimes, rien n’est plus misérable que lui. Toute sa vie se passera dans l’irritation et le chagrin. Peut-il faire un pas sans heurter quelques scandales ? Peut-il sortir de chez lui, qu’il ne traverse une foule de pervers, d’avares, de prodigues, d’impudents, tous triomphants par leurs vices même ? Nulle part ses yeux ne se poseront sans découvrir de quoi s’indigner.
  120. Il vaut souvent mieux dévorer son dépit que de se venger. Aux impertinences des puissants oppose un front serein et non pas seulement la patience : ils recommenceront s’ils croient t’avoir blessé. Souvent, loin qu’il soit utile de venger l’injure, il est dangereux de paraître l’avouer.
  121. Quand les voluptés ont empoisonné à la fois l’âme et le corps, toutes choses semblent insupportables, non parce qu’elles sont dures, mais par la mollesse de celui qu’elles touchent.
  122. Avant de rien tenter, mesure bien tes forces, ce que tu veux faire, et par quels moyens ; car le regret d’un essai infructueux ne manquera pas de t’aigrir.
  123. Lorsqu’une discussion menace d’être longue et opiniâtre, arrêtons-nous dès l’abord, avant qu’elle ne devienne violente. La lutte nourrit la lutte et une fois dans la lice, elle nous y engage plus avant, nous y retient. Il est plus facile de n’y point descendre que de faire marche arrière.
  124. Le vieux diction « Gens fatigués cherchent noise » peut s’étendre à tous ceux que la soif, la faim, la maladie ou tout autre malaise irrite.
  125. Ne te permets rien dans la colère. Pourquoi ? Parce que tu voudrais tout te permettre. Lutte contre toi-même. Et si tout remède est impuissant, fuis les yeux de la foule et tombe sans témoin.
  126. Tant que rien ne nous semble assez intolérable pour nous faire rompre avec la vie, sachons en toute situation repousser la colère.
  127. L’animal qui se débat dans le piège le resserre davantage.
  128. Et puisque la sagesse aussi peut faillir, quelle erreur n’a son excuse ? Rappelons-nous combien notre jeunesse eut à se reprocher de devoirs mal remplis, de paroles peu tenues, d’excès de vin.
  129. Enfin, il faut avoir égard à la condition des choses d’ici-bas pour en juger tous les accidents avec équité, et ce serait juger bien mal que de reprocher aux individus les torts de l’espèce. Vois donc combien il est plus juste de faire grâce à des imperfections qui sont celles de l’humanité. Nous sommes tous inconsidérés et imprévoyants, tous irrésolus, portés à la plainte, ambitieux. Pourquoi déguiser sous des termes adoucis la plaie universelle ? Nous sommes tous méchants. Oui, quoi qu’on blâme chez autrui, chacun le retrouve en son propre cœur ? Pourquoi noter la pâleur de l’un, la maigreur de l’autre ? La peste est chez tous. Soyons donc entre nous plus tolérants : méchants, nous vivons parmi nos pareils. Une seule chose peut nous rendre la paix : c’est un traité d’indulgence mutuelle.
  130. Ne te juge pas sur l’heure présente, sur le jour actuel : interroge l’état habituel de ton âme ; quand tu n’aurais point commis le mal, tu peux le commettre.
  131. Souvent le lutteur qui frappe trop violemment se désarticule le bras, ou sent l’un de ses muscles fixé à la mâchoire qu’il a brisé.
  132. Ton grand tort, veux-tu le savoir ? C’est d’établir des comptes inexacts, de priser trop haut ce que tu donnes, trop bas ce que tu reçois.
  133. Tu as vu d’un mauvais œil quelqu’un qui avait mal parlé de ton esprit ? C’est ta loi : l’accepterais-tu ?
  134. Que chacun se dise, comme il dirait à tout autre : « que sert d’assigner à tes rancunes une éternité qui ne t’appartient pas et dissiper ainsi ta courte existence ? Ces jours que tu peux dépenser en honnêtes distractions, que sert de les faire tourner aux souffrances et au désespoir d’autrui ? Ils n’admettent point un tel gaspillage et nul n’en a assez pour en perdre. Pourquoi courir aux combats et appeler sur nous les périls de la lutte ? Pourquoi, oublieux de notre faiblesse, vouer d’immense haines à nos semblables et nous dresser, nous si fragiles, contre leur fragilité ? »
  135. C’est dès la frontière, je le répète, qu’il faut repousser l’ennemi. S’il y pénètre et s’empare des portes de la place, recevra-t-il d’un captif l’ordre de s’arrêter ? Notre âme alors n’est plus cette sentinelle qui observe au dehors la marche des passions pour les empêcher de forcer les lignes du devoir : elle-même s’identifie avec la passion ; aussi ne peut-elle plus rappeler à elle la force tutélaire et préservatrice qu’elle vient de trahir et de paralyser. Car, comme je l’ai dit, raison et passion n’ont point leur siège distinct et séparé : elles ne sont autre chose qu’une modification de l’âme en bien et en mal.
  136. Suis ton plan cher Lucilius, reprend possession de toi-même. Ce temps qui jusqu’ici t’était ravi ou dérobé, ou que tu laissais perdre, recueille et ménage-le.
  137. Que la sagesse me soit donnée à condition de la renfermer en moi et de ne point révéler ses oracles, je la refuserais. Toute jouissance qui n’est pas partagée perd sa douceur.
  138. Songeons combien il est doux de ne rien demander, combien il est beau de dire « j’ai assez, je n’attends rien de la fortune ».
  139. Qui suit la vraie route arrive au but, qui la perd s’égare indéfiniment.
  140. Celui que tu ne veux pas voir trembler pendant l’action, exerce-le avant l’action.
  141. Oui, j’ai confiance qu’on ne pourra te faire dévier et que tu persisteras dans tes plans, en dépit des sollicitations qui t’assiègent en foule. Que te dirais-je ? Je ne crains pas qu’on te change mais qu’on embarrasse ta marche.
  142. Qui se fait suivant ne découvre, ne cherche plus rien.
  143. Le commencement du salut c’est la connaissance de la faute : donc autant que tu pourras, prends-toi sur le fait et informe contre toi-même. Remplis d’abord l’office d’accusateur puis déjuge en fin d’intercesseur et sois quelque fois sans pitié.
  144. Si tes actions sont honnêtes, qu’elles soient sues de tous. Déshonorantes, qu’importe que nul ne les connaisse, tu les connais, toi. Que je te plains si tu ne tiens pas compte de ce témoin-là.
  145. Qu’ai-je à faire de vos laborieux badinages ? Des malheureux vous invoquent, vous avez promis secours aux naufragés, aux captifs, aux malades, aux indigents, aux condamnés dont la tête est sous la hache ? Et que faites-vous ? Vous jouez quand je meurs d’effroi.
  146. Il n’est rien dont ne vienne à bout une ardeur opiniâtre, un zèle actif et soutenu. Le bois le plus dur, même tordu, peut-être ramené à la ligne droite.
  147. La philosophie dit de même aux choses de la vie : « je ne veux point du temps que vous auriez du reste, c’est vous qui aurez celui dont je vous ferai l’octroi ».
  148. La mollesse, la cupidité, l’ambition et toutes les maladies de l’âme ne sont jamais plus dangereuses, sache le bien que lorsqu’elles s’assoupissent dans une hypocrite réforme. On semble rentré dans le calme mais qu’on en est loin !
  149. Nul péril à ma vue, ne présente, Ô prêtresse, de face imprévue : j’ai tout pesé d’avance et je suis préparé.
  150. Je reporte à la philosophie l’honneur de mon rétablissement, du retour de mes forces : je lui dois la vie et c’est la moindre de mes dettes envers elle.
  151. Il est né pour peu d’hommes celui dont la pensée ne s’adresse qu’à son siècle.
  152. C’est à toi de te donner la liberté. Ne la demande qu’à toi.
  153. Le prix d’une bonne action, c’est de l’avoir faite.
  154. Que de choses on fait dans l’ivresse dont on rougit de sang-froid.
  155. Ressemble lui au maître, j’y consens, mais comme le fils au père non comme le portrait à l’original : un portrait est une chose morte.
  156. Qui né pour un autre âge, à nos neveux réserve son ombrage.
  157. Car il peut tout ce qu’il veut celui qui croit ne pouvoir que ce qu’il doit.
  158. Plus forte que toute destinée, l’âme fait seule prendre à ce qui la touche une face riante ou rembrunie et devient l’artisan de ses joies et de ses misères.
  159. Ressaisissons-nous et nous saurons supporter la douleur sous quelque forme qu’elle envahisse notre corps et nous dirons à la fortune « tu as affaire à un homme de cœur ; cherche ailleurs qui tu pourras vaincre ».
  160. Tu es venu, sache le bien, où éclate la foudre, tu es venu sur les bords.
  161. Écris pour l’âme et non pour l’oreille. Songe moins à écrire qu’à sentir ce que tu écris, et à le sentir de manière à mieux te l’approprier, à le marquer comme de ton sceau.
  162. L’erreur prend sur nous les droits de la sagesse quand elle devient l’erreur publique.
  163. La philosophie forme l’âme, elle la façonne, règle la vie, guide les actions, montre ce qu’il faut pratiquer ou fuir, siège au gouvernail et dirige à travers les écueils notre course agitée. Sans elle, point de sécurité : combien d’incidents à toute heure exigent des conseils qu’on ne peut demander qu’à elle ?
  164. Sous l’impuissance de bien des hommes, un génie pervers est caché : il osera quand il aura foi en ses forces, tout ce qu’ont osé les mauvais instincts qu’un sort prospère à fait éclore. Les moyens seuls de développer toute leur noirceur manquent à ces âmes.
  165. Dès qu’un homme souffre les tourments avec courage, il fait usage de toutes les vertus. Une seule peut-être est en évidence et frappe le plus les yeux : la patience. Mais là est aussi le courage dont la puissance de souffrir et la résignation ne sont que des rameaux. Là est aussi la prudence sans laquelle, il n’est point de conseil et qui détermine à supporter l’inévitable avec le plus de fermeté possible. Là est la constance, que rien ne peut chasser de son poste, qu’aucune violence n’écarte et ne fait se départir de ses résolutions : là se trouve réuni l’indivisible cortège des vertus.
  166. Le sage n’est jamais plus grand que quand le sort lui fait obstacle : il remplit alors la vraie mission de la sagesse qui est le bien, avons-nous dit, et des autres hommes et du sage.
  167. Il est aussi impossible d’être en même temps irascible et sage, que malade et sain.
  168. Cet homme se déchaîne contre toi ; toi provoque le par des bienfaits. L’inimitié tombe aussitôt que l’un des deux quitte la place : sans réciprocité, point de lutte. Lors même qu’elle s’engage, le plus généreux est le premier qui fait retraite : c’est être vaincu que de vaincre.
  169. Point de plus grand fléau que la guerre, c’est l’explosion de la colère des puissants.
  170. Il n’est pas bon de tout voir, de tout entendre : que beaucoup d’injures passent inaperçues pour nous : presque toujours, ne les a pas reçues qui les ignore. Tu ne veux pas être en colère ? Ne sois pas curieux.
  171. Un symptôme de colère chez Socrate était de baisser la voix, de parler moins ; on reconnaissait par là qu’il luttait contre lui-même. Ainsi était-il deviné par ses amis qui le reprenaient ; et ce reproche pour une émotion imperceptible ne lui était pas déplaisant.
  172. La journée terminée, retiré dans sa chambre pour le repos de la nuit, il interrogeait son âme : « de quel défaut t’es-tu guéri aujourd’hui ? Quel vice as-tu combattu ? En quoi es-tu devenu meilleur ? » La colère cessera ou se modérera si elle sait que chaque jour, elle doit paraître devant son juge. Quoi de plus beau que cette habitude de faire l’enquête de toute sa journée ! Et quel sommeil que celui qui succède à un tel examen de conscience !
  173. Il est honteux d’être emporté au lieu de se conduire et tout à coup, au milieu des tourbillons, de se demander avec stupeur « comment suis-je venu ici ? »
  174. Qui ne sait pas vers quel port il doit tendre n’a pas de vent qui lui soit favorable.
  175. Ouverte à tous, la vérité n’a point jusqu’ici d’occupant : elle garde pour nos neveux une grande part de son domaine.
  176. Aisément on se procure ce que la nature réclame, c’est pour le superflu que l’on sue.
  177. Si tu veux selon la nature, tu ne seras jamais pauvre, si selon l’opinion, jamais riche.
  178. Ce que tu veux gagner c’est de n’avoir point la pauvreté à craindre : et s’il te fallait la désirer ?
  179. Si peu que tu possèdes, fais-toi dès maintenant philosophe, car d’où sais-tu si tu n’as pas déjà trop ?
  180. Voilà l’homme que je prévois en toi, si tu persévères et redoubles d’effort, si tu parviens à ce que tes actions comme tes paroles s’accordent et se répondent comme frappées au même coin.
  181. Tu devras à la philosophie d’aimer mieux plaire à toi-même qu’à la foule.
  182. Que d’acquisition, que de présents je puis te citer qui nous ont arraché notre indépendance. Nous nous appartiendrions s’ils ne nous appartenaient pas.
  183. Le sage est sous les armes et en garde contre toute brusque attaque : la pauvreté, le deuil, l’ignominie, la douleur fondraient sur lui sans le faire reculer d’un pas. Il marchera intrépidement à la rencontre comme au travers de ses fléaux.
  184. Je vais t’apprendre à reconnaître si tu es digne du nom de sage : dans le cœur du sage règne une joie, une sérénité, un calme inébranlable, il vit de pair avec les Dieux. Examine-toi maintenant.
  185. Le grand motif pour ne pas nous plaindre de la vie est qu’elle ne retient personne.
  186. Voici les signes où l’on reconnaît l’âme saine : contentement d’elle-même, confiance en ses forces, conviction complète que tous les vœux des mortels, toutes les grâces qui se donnent et se demandent sont de nulles importances pour la vie heureuse.
  187. Tout ce qui peut te rendre bon est en toi. Que te faut-il pour l’être ? Le vouloir.
  188. N’achète pas l’utile mais l’indispensable. Ce qui n’est pas utile, ne coûtât-il qu’un as, est trop cher.
  189. Ne pas lancer notre existence en avant mais la ramener sur elle-même. Si l’avenir tient en suspens tout mon être, c’est que je ne fais rien du présent.
  190. L’essentiel est une bonne et non une longue vie et parfois bien vivre consiste à ne pas vivre longtemps.
  191. Je mesurerai un homme non à son emploi mais à sa moralité. Chacun se fait sa moralité ; le sort assigne les emplois.
  192. Quoi de plus honteux que la philosophie courant après les acclamations ?
  193. Ne point succomber aux rigueurs du sort, ne pas nous fier à ses faveurs, ne jamais perdre de vue jusqu’où vont ses caprices, nous figurer que tout ce qu’il pourra faire, il le fera. Tout épreuve longtemps attendue est plus légère quand elle arrive.
  194. La tempérance sait que la meilleure règle du désir est de ne s’y livrer qu’autant qu’on le doit et non autant qu’on le peut.
  195. La colère se punit quand elle se venge, elle abjure la nature humaine. Celle-ci nous convie à l’amour, celle-là à la haine ; l’une ordonne de faire le bien, l’autre de faire le mal.
  196. Bornons à notre voisinage l’horizon de nos espérances ; point de ces tentatives dont le succès serait pour nous-mêmes un sujet d’étonnement.
  197. Mettons nos soins à prévenir l’injure que nous ne saurions supporter. Ne lions commerce qu’avec les gens les plus pacifiques, les plus doux, nullement moroses ou opiniâtres. On prend les mœurs de ceux avec qui l’on vit et comme certaines affections du corps se gagnent par le contact, l’âme communique ses vices à qui l’approche. Souvent l’ivrogne entraîne ses commensaux à aimer le vin ; la compagnie des libertins amollit l’homme fort et s’il est possible, le héros ; l’avarice infecte de son venin ceux qui l’avoisinent. Dans la sphère opposée, l’action des vertus est la même ; elles répandent leur douceur sur tout ce qui les environne ; Et jamais un climat plus propice, un air plus salubre n’ont fait aux valétudinaires le bien qu’éprouve une âme peu ferme mais dans la bonne voie, à fréquenter un monde meilleur qu’elle.
  198. J’ai moins que je n’attendais. Mais peut-être attendais-je plus que je ne le devais ?
  199. « L’insignifiant remède que le tien ! Vas-tu dire ; il apaise le mal quand le mal cesse de lui-même ! ». D’abord, il le fait cesser plus vite ; ensuite il prévient les rechutes.
  200. Que n’es-tu plutôt avare de ces jours bornés ? Fais plutôt qu’ils soient doux et à toi-même et aux autres ; vivant, mérite leur amour, et leur regret quand tu ne seras plus. Cet homme t’assaille de ses invectives : tout vil et méprisé qu’il est, il choque, il importune quiconque lui est supérieur ? Et tu prétends l’effrayer de ta puissance ?
  201. Aucun outil ne peut couper, ni tailler, ni user le diamant, qui les émousse tous par sa vertu propre.
  202. Compte le sage au nombre des athlètes qui, par un exercice long et consciencieux, ont acquis la force d’endurer les coups et de lasser tous les assauts.
  203. Il n’y a qu’un petit esprit qui s’applaudisse d’avoir dit son fait à un portier, de lui avoir brisé sa baguette. Quand on descend, dans la lutte, au niveau de l’adversaire, l’eût-on vaincu, on s’est fait son égal.
  204. Quelque force qui vous menace, vous assiège, vous oppresse, céder est toujours une honte ; défendez le poste que vous assigna la nature. Et quel est-il ? celui d’homme de cœur.
  205. Qu’il existe une âme invincible, une âme contre laquelle la fortune ne puisse rien, voilà qui importe à la république du genre Humain.
  206. Offrons-nous aux coups de la fortune, pour nous endurcir par elle et contre elle : elle finira par nous rendre de force égale à la sienne. Le mépris du danger nous viendra de l’accoutumance.
  207. Il n’est d’arbre solide et vigoureux que celui qui souffrit longtemps le choc de l’Aquilon. Les assauts même qu’il essuie rendent sa fibre plus compacte, sa racine plus sûre et plus ferme. Il est fragile s’il a crû dans un vallon aimé du soleil.
  208. C’est aux âmes basses et peureuses à suivre les routes les plus sûres : le courage tente les accès difficiles.
  209. Songe que les prisonniers ont d’abord peine à supporter le poids de leurs chaines. Peu à peu le désespoir fait place à des dispositions plus résignées ; la nécessite leur enseigne à tout subir avec courage, l’accoutumance le leur rend facile. Point de situation dans la vie qui n’ait ses douceurs, ses heures de relâches, ses plaisirs pourvu qu’au lieu de se croire à plaindre, on travaille à se faire envier.
  210. Certains hommes sentent sur leur tête le pouvoir d’autrui, d’autres le leur propre ; tel à l’exil pour prison, tel autre le sanctuaire. Tout état est un esclavage.
  211. Il faut tenir peu compte de quoi que ce soit et porter légèrement la vie ; le rire est ici plus humain que les larmes et c’est mériter mieux de nos semblables que de trouver en eux du plaisant que du triste.
  212. Le dédain que nous attirait la franchise vaut mieux que le supplice d’une continuelle dissimulation. Prenons toutefois un juste milieu : la distance est grande entre la franchise et le trop d’abandon.
  213. Il faut aussi se retirer souvent en soi-même ; la fréquentation d’hommes qui ne nous ressemblent pas trouble l’âme la mieux réglée, réveille les passions et irrite ce qu’il peut y avoir en nous de parties faibles et mal guéries. Entremêlons toutefois les deux choses et cherchons tour à tour la solitude et le monde. L’une fait désirer de revoir les hommes, l’autre d’habiter en soi ; elles se servent mutuellement de correctif ; la solitude guérit du dégoût de la foule, la société dissipe l’ennui de l’isolement.
  214. Il faut donner du relâche à la pensée : elle se relève, après le repos, plus ferme et énergique. Ainsi le sommeil est indispensable à la réparation des forces ; cependant le prolonger et le jour et la nuit serait une vraie mort. Grande est la différence entre relâcher et dissoudre.
  215. N’imite point ces hommes moins curieux de faire des progrès que du bruit. Que rien dans ton extérieur ou ton genre de vie n’appelle sur toi les yeux. Je veux au dedans dissemblance complète : au dehors soyons comme tout le monde.
  216. La philosophie n’est point un art d’éblouir le peuple, une science de parade : ce n’est pas dans les mots, c’est dans les choses qu’elle consiste.
  217. Mais dira-t-on : « que ne sert la philosophie s’il existe une fatalité ? Si un dieu régit tout ? Si le hasard commande ? ». De ces opinions, quelle que soit la vraie, qu’elles le soient même toutes, soyons philosophe. La philosophie sera notre égide : elle déterminera en nous une obéissance volontaire à Dieu, une opiniâtre résistance à la fortune. Elle t’enseignera à suivre l’un, à souffrir l’autre.
  218. Qu’au temps de la sécurité, l’âme se prépare aux crises difficiles, qu’elle s’aguerrisse contre les injures du sort au milieu même de ses faveurs.
  219. Vivre content de toi-même et des biens que tu puiseras en toi. Est-il un bonheur plus à ta portée ? Descends à l’humble rang d’où la chute n’est plus possible.
  220. Mais l’à-propos, la façon d’agir ne se prescrivent jamais à distance : c’est en face des choses même qu’il faut délibérer. Il faut plus qu’être-là, il faut être alerte. Sois-y donc des plus attentifs pour pouvoir y appliquer toutes tes forces.
  221. On aime les fruits de la misère en maudissant la misère même. On se plaint de l’ambition comme on le ferait d’une maîtresse ; mais à scruter nos vrais sentiments, ce n’est point haine, c’est bouderie.
  222. Ce n’est pas seulement aux hommes, c’est aux choses qu’il faut enlever tout masque et rendre leur vrai visage.
  223. Quand tu voudras avoir la mesure de tes progrès, examine si tes désirs d’aujourd’hui sont ceux d’hier. Le changement de volonté dénote une âme flottante qu’on signale dans telle direction puis dans telle autre, comme le vent l’y porte.
  224. Exhorte ton ami à mépriser courageusement ceux qui lui reprochent d’avoir cherché l’ombre et la retraite, et déserté ses hautes fonctions et alors qu'il pouvait s’élever encore, d’avoir préféré le repos à tout. Il a bien pourvu à ses intérêts et aux leurs : il le leur prouvera tous les jours.
  225. Ainsi la branche surchargée de fruit se rompra ; ainsi l’exubérance n’arrive point à maturité. Il en va de même des esprits : une prospérité sans mesure les brise : ils n’en usent qu’au détriment d’autrui comme au leur.
  226. Et comme une démarche modeste sied à l’homme sage, il te faut un langage concis et point aventureux. Ainsi, pour conclusion dernière, je te recommande d’être lent à parler.
  227. On manie impunément le serpent le plus dangereux tant qu’il est roide de froid. Combien de débauche, d’ambition, de cruauté auxquelles il ne manque, pour égaler en audace les plus monstrueuses, que d’être aidées de la fortune !
  228. Qui veut avancer à un but précis doit aller par un seul chemin et non vaguer de l’un à l’autre ce qui n’est pas avancer mais errer.
  229. Lis-les [mes livres] comme venant d’un homme qui cherche le vrai sans l’avoir encore trouvé mais qui le cherche avec indépendance. Car je ne me suis mis sous la loi de personne, je ne porte le nom d’aucun maître.
  230. Voilà que la vie toute entière est pour moi un mensonge : démasque-là subtil philosophe, ramène-la au vrai.
  231. « Mais un esclave ? ». Son âme peut-être est celle d’un homme libre. Un esclave ? Ce titre lui fera-t-il tort ? Montre-moi qui ne l’est pas. L’un est esclave de la débauche, l’autre de l’ambition, tous le sont de la peur.
  232. Et vous descendez aux éléments de grammaire ? Quel est ce langage ? S’élève-t-on par là jusqu’aux cieux ? Car c’est ce que me promet la philosophie, de me faire l’égal de Dieu, c’est à quoi elle m’invite, c’est pourquoi je suis venu.
  233. C’est en pleine sécurité et quand on voyage bien à l’aise qu’on va, ramassant de menus objets ; mais quand on a l’ennemi à dos, la nécessité fait jeter tout ce que les loisirs de la trêve avait permis de recueillir.
  234. Pourquoi nous faire illusion ? Notre mal ne vient pas du dehors ; il est en nous, il a nos entrailles même pour siège. Et si nous revenons difficilement à la santé c’est que nous ne nous savons pas malades.
  235. Un seul quartier d’hiver amollit Hannibal et l’homme que n’avaient domptées ni les neiges, ni les alpes se laissa énerver aux délices de la Campanie. Vainqueur par les armes, il fût vaincu par les vices.
  236. La fortune est en guerre avec moi. Je ne suis pas homme à prendre ses ordres. Je ne reçois pas son joug. Que dis-je ? J’aurai le courage plus grand de le secouer. Ne nous laissons pas amollir. Si je cède au plaisir, il me faudra céder à la douleur, à la fatigue, à la pauvreté ; l’ambition et la colère réclameront sur moi le même empire : je me verrai entre toutes ses passions, tiraillé, déchiré : l’indépendance, voilà mon but.
  237. Qu’est-ce que l’indépendance ? Dis-tu ? N’être esclave d’aucune chose, d’aucune nécessité, d’aucun incident, réduire la fortune à lutter de plein pied avec moi : du jour où je sentirai que je puis plus qu’elle, elle ne pourra plus rien.
  238. Que m'importe en effet le silence de toute une contrée si j’entends frémir mes passions ?
  239. Il n’entend rien et se plaint d’avoir entendu quelque chose. D’où penses-tu que cela provienne ? De son âme qui lui fait du bruit.
  240. Parfois la mollesse semble avoir pris congé de nous puis revient tenter notre âme déjà fière de sa frugalité, et du sein même de nos abstinences, redemande des plaisirs qu’on avait quitté mais non proscrit à jamais : retour d’autant plus vif qu’ils sont plus cachés.
  241. Mais quoi ? N’est-il pas un peu plus commode d’être à l’abri de tout vacarme ? J’en conviens ; aussi vais-je déloger d’ici : c’est une épreuve, un exercice que j’ai voulu faire.
  242. Tout objet qui flatte les sens, tout ce qui nous enflamme et nous irrite, est suivant Platon, en dehors des choses qui sont réellement.
  243. Or comment apprendre à lutter efficacement contre le vice, tant qu'on y songe qu’autant que le vice nous laisse de relâche ? Nul de nous n’est allé au fond des choses. Nous n’avons fait qu’effleurer la surface. Mais le plus grand obstacle est que rien ne nous plaît si vite que nous-même.
  244. Tu fais une chose excellente et qui te seras salutaire si, comme tu l’écris, tu marches avec persévérance vers cette sagesse qu’il est absurde d’implorer par des vœux quand on peut l’obtenir de soi. Il est près de toi le Dieu, il est avec toi, il est en toi. Oui Lucilius, un esprit sain réside en nous, qui observe nos vices et veille sur nos vertus, qui agit envers nous comme nous envers lui. Point d’homme de bien qui ne l’ait avec soi.
  245. Cette âme, maîtresse d’elle-même, se riant de ce que craignent ou souhaitent les hommes, elle est mue par une puissance céleste. Un tel être ne peut se soutenir sans la main d’un Dieu.
  246. Et bien loin qu’un éloge mesuré nous suffise, tous ceux qu’accumule la flatterie la plus impudente, nous le prenons comme chose due ; qu’on nous proclame des modèles de bonté ou de sagesse, nous en tombons d’accord, sachant pourtant que nous avons affaire à des menteurs de profession. Il suit de là qu’on renonce à se réformer sûr que l’on est d’être le meilleur possible.
  247. Vous vantez ma prudence mais je vois combien de choses inutiles je désire ou que mes vœux seraient ma perte ; je ne distingue pas même, chose que la satiété enseigne aux animaux, qu’elle doit être la mesure du manger et du boire ; je ne sais pas la capacité de mon estomac.
  248. L’un cherche la joie dans l’amour, l’autre dans un vain étalage d’étude libérale ou dans les lettres, qui ne guérissent de rien. Amusements trompeurs qui les séduisent tous un moment comme l’ivresse, qui compense un instant de joyeux délire par de longues heures d’abattement ou comme les applaudissements de la faveur populaire qui s’achète et s’expie par de si vive anxiété.
  249. En quelque situation d’esprit que je sois, quand je le lis, je te l’avouerais, je défierais tous les hasards et je m’écrierais volontiers : « que tarder, Oh, fortune ? Viens sur l’arène ! Tu me vois prêt ». Je sens en moi l’ardeur de cette ascagne qui cherche où s’essayer, où faire preuve d’intrépidité, qui souhaiterait « qu’au lieu de faibles daims, un sanglier sauvage, un lion rugissant provoquât son courage ».
  250. J’approuve ta résolution : cache-toi au sein du repos et cache même ton repos. Garde toi d’afficher la philosophie et la retraite ; couvre d’autres prétextes ta détermination ; dis que c’est faiblesse de santé, de tempérament, que c’est paresse. Les choses scellées tentent le voleur. Il ne fait point cas de celles qu'on n’enferme point. Devant une maison ouverte, il passe outre.
  251. Ne va pas me louer, ne vas pas dire « Ô le grand homme ! Il a tout dédaigné, il a condamné les folies de la vie humaine ». Je n’ai rien condamné que moi. Ce n’est pas à moi qu’il faut vouloir venir pour profiter à mon exemple. Tu te trompes si tu comptes tirer d’ici quelques secours : ce n’est pas un médecin mais un malade qui y demeure.
  252. Consens à passer pour déraisonnable aux yeux de certains hommes. Oui, veux-tu être heureux et franchement homme de bien ? Il est des mépris qu’il te faut accepter.
  253. Courage donc et persévérance ! Nous avons dompté moins de difficultés qu’il n’en reste ; mais c’est déjà une grande avance que de vouloir avancer. Cette vérité-là, j’en ai la conscience : je la veux et je la veux de toute mon âme. Chez toi aussi je sens la même inspiration précipiter ta course vers le plus noble de tous les buts. Hâtons-nous donc !
  254. Quels ennemis ? Vas-tu dire. Ce n’est ni le persan, ni les contrées belliqueuses qui s’étendent peut-être au-delà des dates mais la cupidité, mais l’ambition mais la peur de la mort qui triomphèrent des triomphateurs du monde.
  255. Tel autre aura beaucoup de zèle et sera en progrès mais loin encore de la perfection, on le verra abaissé et relevé tour à tour, tantôt porté jusqu’au ciel, tantôt retombé sur la terre.
  256. Et ce n’est pas l’ambition seule qui ne s’arrête jamais ; toute passion en fait de même : elle part toujours du point d’arrivée.
  257. C’est par ici qu’on monte dans les cieux : c’est par la voie de la tempérance, de la frugalité, par la voie du courage. Les Dieux ne sont ni dédaigneux ni jaloux. Ils ouvrent les bras, ils tendent les mains à qui veut s’élever jusqu’à eux.
  258. C’est par un même travers que certains esprits, amoureux de leur chagrin et en quête de sujet d’affliction s’attristent de vieux souvenirs déjà effacés par le temps. Nos peines passées tout comme celles à venir sont loin de nous : nous ne sentons ni les unes, ni les autres. Or il faut que l’on sente pour qu’il y ait douleur.
  259. Ces hommes en progrès ont été désignés par quelques-uns comme ayant échappés aux maladies de l’âme, mais non tout à fait à ses affections, et comme foulant encore une pente glissante vu que personne n’est à l’abri des tentations de la méchanceté.
  260. Vice (cupidité, ambition…) : convoiter trop fort des choses faiblement désirables ou qui ne le sont pas du tout ; c’est priser trop haut ce qui a peu ou point de prix.
  261. La vertu ne tombera pas sur toi à l’improviste ; ce n’est pas au prix d’une légère peine, d’un mince travail qu’on la connaîtra.
  262. Entre autres avantages, la sagesse a celui-ci que ses poursuivants ne peuvent se dépasser les uns les autres qu’en gravissant vers elle ; arrivé au sommet, tout est égal, plus d’avancement possible, c’est le point d’arrêt.
  263. Des milliers d’années, des générations nouvelles vont te suivre : c’est là qu’il faut jeter ta vue. L’envie eût-elle imposée silence à tous les hommes de ton époque, il te naîtra des juges qui sans faveur ni haine, sauront t’apprécier.
  264. Il ne tient pas compte de ce qui le blesse ; et non par insouciance mais volontairement, il oublie. Il n’interprète pas tout au mal, ne cherche pas à qui imputer un accident et préfère attribuer à la fortune les fautes des humains.
  265. Le courage c’est le mépris de ce que les hommes craignent : ces épouvantails qui font tomber sous le joug notre indépendance, il les dédaigne, les provoque, les brise.
  266. Étudie non pour savoir plus mais pour savoir mieux.
  267. Son unique but [à la philosophie] est la vérité dans les choses divines et humaines.
  268. Grande est la distance entre ne pas vouloir et ne pas savoir faire le mal.
  269. On se trompe si l’on croit que la philosophie ne promette que des œuvres terrestres ; elle aspire plus haut. J’explore dit-elle, tout l’univers et ne me borne pas au commerce des mortels. Vous conseillez, vous dissuadez ne me suffit point ; de grands objets m’appellent qui sont au-delà de votre portée.
  270. Aujourd’hui, il faut des moyens de guérir d’autant plus puissant que les maux qui nous attaquent ont bien plus d’énergie.
  271. On s’imagine que les Dieux ne veulent pas nuire ; on se trompe : ils ne le peuvent pas. Leur nature belle et suprême par excellence, en les affranchissant du danger, n’a pas permis qu’ils fussent eux-mêmes dangereux.
  272. Point de tranquillité que pour ceux qui disposent d'une règle immuable et certaine de jugement ; les autres tombent à chaque pas.
  273. Malgré sa prudence et les religieux scrupules qu’elle apportera dans tous ses actes, et bien qu’elle ne tente rien au-delà de ses forces, elle [l’âme] n’obtiendra pas ce bonheur absolu et inaccessible aux menaces si elle ne se tient immobile devant la mobilité des choses.
  274. Mais j’ai voulu te punir d’un moment d’oubli qui t’avait laissé comme absent de toi-même et pour l’avenir, t’exhorter à opposer à la fortune toute la vigueur de ton courage, à prévoir tous ses traits, non comme possible mais comme devant t’atteindre à coup sûr.
  275. Soyez purs devant eux [les Dieux], rendez-vous digne de les approcher un jour, proposez-vous l’éternité. S’il l’embrasse comme son idéal, ni les armées ne lui font peur, ni les trompettes ne l’étonne, ni les menacent ne l’intimident.
  276. Si le danger de la patrie exige que je meure pour elle et que je rachète le salut de tous par mon sang, présenterais-je la tête, non seulement avec résignation mais encore avec joie ?
  277. Réjouis-toi de voir des heureux, sois ému quand tu vois souffrir et n’oublies ni le bien à faire, ni les pièges à éviter. A cette conduite que gagneras-tu ? Qu’on ne te nuise pas ? Non. Mais tu ne seras pas dupe. Au reste, le plus que tu pourras, réfugie-toi dans la philosophie : elle te couvrira de son égide ; tu seras dans son sanctuaire, en sûreté ou plus sûr qu’ailleurs. On ne se heurte contre la foule qu’en faisant route avec elle.
  278. On est à soi-même son premier persécuteur, son corrupteur, son épouvantail.
  279. Et l’on donne plus de prise au danger en lui tournant le dos.
  280. Maintes fois les terreurs de nuit se changent au matin en objet de risée.
  281. Et chaque fois que s’offrait l’occasion de boire, Caton bût toujours le dernier.
  282. Pour échapper à l’envie, tu ne feras ni étalage de ta personne, ni vanité de tes biens ; tu sauras jouir dans le secret de ton cœur.
  283. Que les gens sachent que l’on peut te choquer sans péril grave, qu’avec toi la réconciliation soit facile et loyale.
  284. Il se glisse dans les entretiens, je ne sais quel charme insinuant qui de même que l’ivresse ou l’amour, nous arrache tous nos secrets.
  285. Pour qu’ils ne compromettent pas plus scandaleusement tous tes intérêts, passe-toi des gens qui mettraient ta surveillance aux abois et feraient de toi un maître aussi fâcheux que ses valets. Rien en cela d’étrange, s’en émouvoir est aussi ridicule que de se plaindre d’être éclaboussé en pleine rue ou crotté dans la boue. Ici tu laisseras un compagnon en chemin, là tu enterreras un autre, un troisième te menacera. Voilà par quels encombres il te faut parcourir cette route hérissée d’écueils.
  286. La nature, comme tu le vois, gouverne ce monde par changement. Au nuage succède la sérénité ; les mers se soulèvent après le calme ; les vents soufflent alternativement ; le jour remplace la nuit. Que le destin nous trouve prêts et déterminés. Il n’est d’âme grande que celle qui s’abandonne à Dieu. C’est aux âmes étroites et dégénérées à tenter la lutte, à calomnier l’ordre de l’univers et à vouloir réformer la providence plutôt qu’elle-même.
  287. Le mal et la faute viennent en partie des disciples qui arrivent déterminer à cultiver l’esprit sans songer à l’âme.
  288. Ce ne sont que des chimères qui nous émeuvent, qui nous glacent de surprise. Nul ne s’est assuré de l’existence du péril : chacun n’a fait que transmettre sa peur à son voisin. Nul n’a osé s’approcher de l’épouvantail, en sonder la nature, voir s’il ne craignait pas ce qui était un bien. Voilà comment un vain prestige, un fantôme abuse nos crédules esprits, parce qu’on n’en a pas démontré le néant.
  289. Le seul moyen pour cela serait d’acquérir la science des choses divines et humaines ; non superficiellement mais d’une manière intime. De revenir à ce que l’on sait déjà, d’y repenser souvent ; de démêler ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui porte faussement l’un ou l’autre nom.
  290. Or l’homme libre est celui non pas qui laisse à la fortune la moindre prise mais qui ne lui en laisse aucune. Encore une fois, ne désire rien, si tu veux défier Jupiter, que nul désire ne vient troubler.
  291. Garde-toi de croire que jamais tu doives ta sûreté aux armes de la fortune. C’est des tiennes qu’il faut te servir contre elle : ce n’est pas elle qui en donne. Et si bien armé qu’on soit contre tout ennemi, contre elle, on est sans défense.
  292. Quiconque veut qu’on publie sa vertu travaille non pour sa vertu mais pour sa gloire. Si tu es sage, une mauvaise renommée pour avoir bien fait n’est pas sans douceur.
  293. Il suit la vertu tant qu’il en espère quelque aubaine, prêt à passer dans l’autre camp, si le crime promet davantage.
  294. Un jour je serai sage et ce sera un bien quand je le serai ; mais ce bien n’est pas encore. Comment te prouverai-je mieux qu’une chose n’est pas qu’en te disant qu’elle sera un jour ? Quand le printemps doit suivre, je sais que nous sommes en hiver.
  295. Quelle est la grande âme qui seule ne fait nulle demande, ne courtise personne et qui dit « je n’ai pas affaire à toi, ô fortune ! Je ne me mets pas à ta merci. Je sais que tes exclusions sont pour les Catons ; je ne te prie de rien ». Voilà détrônée l’aveugle déesse.
  296. Je t’apprendrai le secret de devenir riche en un instant, secret dont tu es si curieux et avec raison : « emprunte à toi-même ».
  297. Vertueux non par système mais par habitude et arrivé au point, non pas seulement de pouvoir bien faire, mais de ne pouvoir faire autrement que bien.
  298. Quelle qu’elle soit [la charge], elle est mienne. Elle est dure, elle est cruelle : qu’elle soit pour mon courage un aiguillon de plus.
  299. La grande marque d’un cœur corrompu est de flotter, de se laisser ballotter sans fin des vertus qu’on simule aux vices qu’on affectionne. Tels sont beaucoup de caractères, je dirais presque tous : « hier il voulait une épouse, aujourd’hui une maîtresse ». C’est une grande tâche, croit-moi, de soutenir toujours le même personnage. Or excepté le sage, nul ne le fait. Gagne donc sur toi de te maintenir jusqu’à la fin tel que tu as résolu d’être.
  300. Tu ne comprendras bien ce que tu as à faire ou à éviter, que quand tu auras appris ce que tu dois à la nature.
  301. Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. L’unique leçon de cette guerre est de nous avoir appris à chercher en nous-même et pas ailleurs.
  302. Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter.
  303. L’esprit ressemble à un singe entravé par de nombreux liens, qui ne cesserait de sauter dans tous les sens pour se détacher. Il gesticule tant et si bien qu’il empêche quiconque, y compris lui-même, de défaire un seul nœud. Il faut commencer par le pacifier et le rendre attentif. Calmer le singe ne signifie pas l’immobiliser en le gardant enchainé. Le but est de profiter de ce répit pour lui rendre la liberté.
  304. Pour celui qui pratique l’amour et la compassion, un ennemi représente l’un des maîtres les plus importants. Sans ennemi, on ne peut pratiquer la patience et la tolérance.
  305. Il y a une chose dont nous avons toujours besoin : c’est du gardien appelé Attention.
  306. Et le marin ne rirait-il pas de vous si vous lui disiez que toute la traversée dépend du premier coup de barre ?
  307. Le marin en haute mer, le guide de haute montagne, l’artisan consciencieux savent que l’on n’obtient rien de bon en obéissant au caprice du moment.
  308. L’aspect le plus évident de la vanité est la raideur et la rigidité. On se sent l’esprit raide comme un python qui aurait avalé une proie.
  309. Une bouffé d’orgueil se dissipe comme une brume matinale chez celui qui sait rester humble.
  310. L’humilité est la vertu féconde de celui qui mesure tout ce qui lui reste à apprendre et l’étendue du chemin qu’il doit encore parcourir.
  311. Montre-moi plutôt à ne pas exhaler la plainte au milieu de l’adversité.
  312. Dans le monde, il y a toujours des gens qui ne supportent pas la lumière. C'est parce qu'ils sont eux-mêmes remplis d’ombre.
  313. Jamais il ne fait au méchant l’honneur de croire que la raison ait conseillé un seul de ses actes.
  314. Il n’est pas naturel que celui qui a la force désire beaucoup le pouvoir ; et l’on a souvent remarqué que les athlètes sont rarement méchants.
  315. Le guerrier est un métaphysicien. Le guerrier s’est dessiné un dieu, une justice, des maximes, un ordre humain qu’il croit surhumain. Par un retour sur lui-même que tout homme connaît, il honore en lui-même, plus que tout, ce pouvoir de trouver la loi et de la suivre. D’où la pire injure qu’on puisse lui faire c’est de penser autrement que lui, c’est de vivre d’après d’autres maximes que les siennes ; c’est de mépriser ce qu’il honore.
  316. Le courage vraiment sûr est celui qui s’observe beaucoup et longtemps, qui se couvre d’abord et n’avance qu’à pas lents et calculés.
  317. L’effort excessif peut aussi résulter de l’impatience ou de l’exaltation, deux états qui ne mènent nulle part. De même qu’il faut de la patience pour faire pousser une récolte, il ne sert à rien de tirer sur les plans pour les faire sortir plus vite.
  318. Ce qui est venu par la fatigue s’en va par le repos.
  319. C’est pourtant bien à notre esprit que nous avons affaire du matin au soir, et c’est lui qui en fin de compte, détermine la qualité de chaque instant de notre existence. Les pensées détiennent ainsi l’immense pouvoir de conditionner notre manière d’être.
  320. Ce sont les autres, tous les autres, qui fondent la trame de nos vies et forment la matière de nos existences.
  321. Heureux par-dessus tout celui qui sent la trace de son coup de marteau sur le loquet de sa porte.
  322. Bizarre qu’au sein de ce pitoyable spectacle, je n’ai éprouvé nulle haine, bien que les individus de cette espèce m’aient empoisonné la vie douze année durant.
  323. Pourquoi l’individu a-t-il les vices de la société ? La société les lui donne. On est entrainé dans le faux par des parents, par des voisins. On apprend le mal, ensuite on l’enseigne et on arrive à ce comble de dépravation qui concentre dans un seul cœur la science perverse de tous.
  324. Le pire qui puisse advenir est de se mettre dans son tort par rapport aux canailles ; on se fait alors chapitrer par eux, et il n’est juge plus impitoyable que celui qui, premièrement, est dans son droit et deuxièmement, est un coquin.
  325. Chacun sera sot autant qu’il est roi. Exactement autant qu’il fera faire, au lieu de faire.
  326. Il faut une sagesse supérieure pour ne rien supposer jamais des intentions et des pensées d’un homme.
  327. Les êtres se comportent de façon nuisible parce qu’ils sont sous l’emprise de l’ignorance et des poisons mentaux que celle-ci engendre.
  328. L’ignorance est la cause de tous les maux.
  329. L’homme réellement fort se sent également responsable de son ennemi.
  330. La tendance à nuire, à blâmer et à dénigrer est une forme de vanité.
  331. Il faut savoir étiqueter une pensée ou un état d’esprit en « lamentation ».
  332. Quand rien ne va plus dedans, rien ne va plus dehors. La paix de l’âme est si importante qu’il faut savoir renoncer à ce que l’on entreprend pour ne pas la perdre.
  333. Du seul fait de rester assis à observer à quelle vitesse et avec quel illogisme, mes pensées et mes émotions allaient et venaient, je commençais à voir qu’elles n’étaient pas aussi solides et réelles qu’elles en avaient l’air. Alors, je commençais à lâcher prise sur ma croyance à l’histoire qu’elles avaient l’air de me raconter.
  334. Le mal qui nous afflige puise généralement sa force dans le rétrécissement de notre univers mental. Les pensées ne cessent alors de rebondir contre les parois de cette prison intérieure. Elles s’accélèrent et s’amplifient, chaque rebond nous infligeant de nouvelles meurtrissures. Il faut donc élargir notre horizon intérieur, au point que l’émotion n’ai plus de murs où ricocher sans trêve. Alors les projectiles du malheur vont se perdre dans le vaste espace de la liberté intérieure.
  335. Si parfois je veux m’amuser d’un fou, je n’ai pas loin à chercher, c’est de moi que je rie.
  336. Pendant l’hiver, le gel fige les lacs et les rivières. Avec le printemps, la terre et les eaux se réchauffent : c’est le dégel. Que reste-il alors de la dureté de la glace ? L’eau est douce et fluide, la glace dure et coupante. On ne peut pas dire qu’elles soient identiques ni non plus qu’elles soient différentes, car la glace n’est que de l’eau solidifiée et l’eau de la glace fondue. Il en est de même de nos perceptions du monde extérieur.
  337. Je vous souhaite la bonne humeur. Voilà ce qu’il faudrait offrir et recevoir. Voilà la vraie politesse qui enrichit tout le monde et d’abord celui qui donne. Voilà le trésor qui se multiplie par l’échange. On peut la semer le long des rues, dans les tramways, dans les kiosques à journaux, il ne s’en perdra pas un atome. Elle poussera et fleurira partout où vous l’aurez jeté.
  338. Fais que je ne cherche pas tant à être consolé que de consoler, d’être compris que de comprendre, d’être aimé que d’aimer. Car c’est en donnant que l’on reçoit. C’est en s’oubliant soi-même qu’on se retrouve.
  339. La meilleure des instructions est celle qui démasque nos défauts cachés. Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit.
  340. Ne vous laissez pas perturber par la beauté provocante d’un visage. Les plaisirs, une fois goutés, ne se conservent pas et ne fructifient pas : ils s’évanouissent. Il n’est donc guère réaliste d’espérer qu’ils nous procurent un jour une félicité durable.
  341. Les méandres de l’irrésolution : on ne peut pas coudre avec une aiguille à deux pointes.
  342. Peu parmi nous, reconnaitraient en toute honnêteté qu’ils ont réussi à gagner entièrement leur liberté intérieure. Ces entraves internes sont des chaines aussi épaisses que celles qui rendent physiquement prisonniers. Dans ce contexte, l’exercice de la méditation s’efforce de maîtriser le discours intérieur pour le rendre plus cohérent, pour l’ordonner à partir de ce principe simple et universel qu’est la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.
  343. Notre esprit est la plupart du temps instable, capricieux, désordonné, balloté entre l’espoir et la crainte, egocentrique, confus parfois même absent ou épuisé, affaibli par des contradictions internes ou par un sentiment d’insécurité. De plus, il est rebelle à tout entrainement et se trouve constamment occupé par son bavardage intérieur qui maintient un bruit de fond dont nous sommes à peine conscients. Il s’agit donc de passer graduellement à un autre état d’esprit dans lequel prévalent l’attention stable, la paix intérieure, la capacité de gérer les émotions, la souplesse d’esprit, la confiance, le courage, l’ouverture aux autres, la bienveillance et d’autres qualités qui caractérisent l’esprit lorsqu’il est vaste et serein. Ce dernier est alors comme une lampe protégée du vent, dont la flamme, stable et lumineuse, éclaire au maximum de ses capacités.
  344. Lorsque nous sortons de l’instant d’aveuglement durant lequel il est si difficile d’agir sur une émotion puissante, et que notre esprit se trouve libéré de la charge émotionnelle qui l’a tant perturbé, nous avons peine à croire qu’une émotion ait pu nous dominer à ce point. Il y a là un grand enseignement : ne jamais sous-estimer le pouvoir de l’esprit, capable de cristalliser de vastes mondes de haine, de désir, d’exaltation ou de tristesse. Les troubles que l’on traverse renferment un précieux potentiel de transformation et chaque difficulté peut être le brin d’osier avec lequel on vanne notre panier intérieur, lui-même chargé de recueillir avec aisance tous les aléas de l’existence.
  345. Un travail réglé et des victoires après des victoires, voilà sans doute la formule du bonheur. Et quand l’action est commune comme dans le jeu de carte ou dans la musique, c’est alors que le bonheur est vif.
  346. L’effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus précieux encore que l’œuvre où il aboutit, car, grâce à lui, on a tiré de soi plus qu’il n’y avait, on s’est haussé au-dessus de soi-même.
  347. Les occupations gaies soulagent un esprit malade.
  348. L’action allège.
  349. Prenez soin des minutes, les heures prendront soin d’elles-mêmes.
  350. La patience est la forme la plus élevée de l’ascétisme.
  351. Donne à qui te demande.
  352. L’humble ne prend jamais personne de haut.
  353. Extérieurement, il est aussi doux qu’un chat qu’on caresse, intérieurement, aussi difficile à tordre que le cou d’un yak.
  354. Quel plus doux repos en effet qu’une âme en paix, et quoi de plus fatiguant que la colère ?
  355. Hâtons-nous de suivre le conseil de Nietzsche pour qui le meilleur moyen de bien inaugurer la journée consiste à se demander, dès son réveil, si aujourd’hui l’on peut faire plaisir à « au moins un homme ». Tout commence par le prochain.
  356. Quelle que soit la personne que tu regardes, sache qu’elle a déjà plusieurs fois traversé l’enfer.
  357. Les mots de Spinoza disent l’essentiel et me servent de programme : « bien faire et se tenir en joie ».
  358. On progresse beaucoup plus en écoutant qu’en parlant. Le proverbe dit : « tu as 2 oreilles et une bouche, ce qui veut dire que tu dois écouter 2 fois plus que tu ne dois parler ».
  359. Il faut que l’ego s’use comme une vieille chaussure, voyageant de la souffrance à la libération.
  360. On ne peut être vraiment paisible si l’on ne porte en soi la qualité invincible de la paix.
  361. Vivre c’est être utile à plusieurs.
  362. Je tiens note de ma dépense. Je ne puis me flatter de ne rien perdre ; mais ce que je perds et le pourquoi et le comment, je puis le dire, je puis rendre compte de ma gêne.
  363. Il ne faut pas de leçons pour se résoudre au besoin à coucher sur des roses. Il en faut pour s’endurcir aux tortures et n’y point subordonner sa foi.
  364. Quand on ne va pas bien, on fait de l’archéologie et on finit par déterrer les fragments du passé. Fragments désignés d’emblée comme l’origine du chaos actuel.
  365. La colère avec sa racine empoisonnée et sa pointe de miel.
  366. Le grand obstacle c’est toujours la représentation et non la réalité.
  367. En nous résignant à être en permanence la victime de nos pensées, nous ressemblons au chien qui court après chaque pierre qu’on lui lance. Pourtant si nous examinons la situation avec un peu de recul, nous lui trouverons très souvent un aspect comique : en proie aux tourments de l’ego, nous sommes pareils à un gamin qui trépigne de rage parce qu’on a contrarié ses caprices. Alors, nous ne sommes plus le chien courant après chaque pierre, mais le Lion à qui on ne peut en lancer qu’une, car au lieu de la poursuivre, il se retourne vers le lanceur.
  368. Epictète recommandait à ses disciples de s’exercer d’abord dans les petites choses, afin de créer une habitude. Les bonheurs répétés sont souvent le fruit d’une ascèse qui, au sens étymologique, signifie « exercice » en grec.
  369. Il est facile d’être patient quand tout va bien. Ce sont justement les situations difficiles qui nous mettent au défi de renforcer cette vertu cardinale qu’est la patience. Se souvenir d’en faire une pratique régulière.
  370. Le rire soulève une des plus légères affections de l’âme ; il ne voit rien de grand, de sévère ni même de sérieux dans tout notre vain appareil.