Lettre "Que dois-je faire ?"

Cher [2023: identité protégée],

Mon texte s'inscrit dans un cadre strictement philosophique. Lors d'une correspondance, j'aime qu'il y ait des questions sinon il n'y a pas de constructions réelles. J'ai longtemps réfléchi aux questions que j'allai vous poser et sans doute avez-vous remarqué que je ne suis pas un homme pressé. J'ai finalement décidé qu'il n'y en aurait qu'une. Il s'agira de la question Kantienne "Que dois-je faire ?" et sa variante "Que faire ?" car je ne veux pas imposer la notion de devoir a priori.

Si ce petit jeu des questions et des réponses vous amuse, vous pouvez répondre à cette question. Et dans ce cas, vous êtes totalement libre, bien sûr, de choisir votre axe. La suite de mon exposé correspond à ma réponse à cette question.

Je souhaiterais tout d'abord vous faire remarquer que le "je" n'est pas fixé : vous pouvez considérer que je suis derrière ce "je" et me dire, selon vous, ce que je devrais faire. Mais vous pouvez également vous placer derrière ce "je" et me dire ce que vous pensez devoir faire. Enfin vous pouvez placez l' "Homme" ou l' "Humanité" derrière ce "je" et donc traiter la question de manière généraliste.

En ce qui me concerne, je répondrai à la question en me plaçant derrière ce "je". Dans votre dernier message, vous m'avez "conseillé" d'adhérer au principe du réalisme. Je met le "conseillé" entre guillemet car il s'agit bien sûr d'une petite critique de votre part sur ma manière de mener ma vie philosophique et mes recherches scientifiques. Vous n'êtes pas le premier à critiquer mon "manque de réalisme". En vérité, je n'ai encore rencontré personne, à l'exception de certains philosophes de mes lectures, qui ne m'enjoignent pas au réalisme. Les hommes de mon entourage ont toujours pensé, pensent et penseront que je ferais mieux d'inscrire mon action dans la réalité de notre système. Que je devrais me plier à ses règles, à sa discipline et que je devrais apprendre à aimer ses privilèges. Que les fondements de mon agir devrait rejoindre ceux des autres hommes : gloire, pouvoir, argent et autres intérêts personnels. Que je devrais adhérer à ce que beaucoup considèrent comme la seule réalité : la volonté de puissance de l'homme sur l'homme. Or je n'adhère pas à ce schéma qui me semble violent, nauséabond et qui justement, ne correspond pas à ma réalité. La philosophie n'est pas, dans mon esprit, un ensemble de concepts poussiéreux : elle n'est pas la chasse gardée de quelques académiciens cachés au fond d'une bibliothèque loin d'autrui. La suite de mon exposé sera pragmatique et réaliste car tel est votre demande. Et je compte la respecter. Mais ne soyez pas dupe : derrière mon texte concret se cache justement la philosophie qui a vocation à être totalement enracinée dans notre réalité.

Abordons donc maintenant le problème de manière concrète. Que dois-je faire ? Je ne m'appesantirai pas sur la dimension personnelle de cette question. Je compte, en effet, durant ma vie, fonder une famille mais je doute qu'il y ait ici réellement matière à discussion sauf à considérer que cela signifie forcement, de ma part, un grand OUI à la vie. Je me focaliserai donc plutôt sur les aspects "professionnels" même si le mot est mal choisi car bien sûr, il n'existe pas une barrière si tranchée entre personnelle et professionnelle.

D'un point de vue administratif, je suis aujourd'hui au chômage. Mes journées au laboratoire consistent à améliorer mes publications scientifiques, à lire de la science et de la philosophie et à chercher mon futur travail. Autrement dit à réfléchir à ce que je peux, ce que je veux ou ce que je dois faire dans l'avenir. Cette lettre participe à cette recherche d'emploi car, peut-être l'aurez-vous compris, votre avis (et votre expérience de la vie) m'intéresse. Il compte et il pèsera dans mes choix futurs. Comme d'ailleurs l'avis des autres en général. Car bien sûr, seul, on n'est rien d'autre qu'un futur cadavre en instance de devenir.

J'ai découpé mon texte en 5 parties. Chacune répondant à sa manière à la question "que dois-je faire ? ". Il y a :

Que dois-je faire ? Un post-doc dans le domaine de la biologie synthétique

Il s'agit de la piste logique, concrète et réaliste. C'est-à-dire susceptible de se réaliser. Je viens de contacter une équipe, à Paris, dirigée par [2023: identité protégée] que vous connaissez peut-être. J'attends sa réponse. Je ne sais pas si ma candidature peut l'intéresser ni s'il a les moyen de me payer. [2023 : identité protégée] a développé une boucle de rétroaction cellule-ordinateur très intéressante: quand des cellules (sous le microscope avec un système micro-fluidique) arborent un phénotype particulier, l'ordinateur détectent ce dernier et vient agir en injectant un produit. Si la technique en elle-même est triviale sur le plan théorique, je pense qu'il y a des nombreuses possibilités/dérivations à explorer sur le plan expérimental. Plus généralement, l'équipe de [2023: identité protégée] travaille sur de nombreux sujets qui m'interpellent: la dérive génétique, la fabrication de colonies cylindrique, le traitement de l'information dans la cellule, l'encombrement stérique, les contraintes biomécaniques sont quelques exemples. Le champ lexical "Complexité-évolution-biologie synthétique-liens cellule/ordinateur-information" semble intéresser [2023: identité protégée] et c'est également celui qui m'intéresse. Je pense donc pouvoir trouver, sous réserve que cette équipe veuille/puisse m'accueillir, un terreau favorable aussi bien sur le plan expérimental que sur le plan theorique. Voici donc mon objectif à court terme : m'intégrer dans une équipe telle que celle de [2023: identité protégée] et plancher sur un sujet relié au champ lexical ci-dessus. A plus long terme, mon objectif expérimental consiste à contrôler toujours plus finement un système vivant ce qui revient à apprendre à faire du calcul (computing) avec de la matière humide/vivante.

Cet objectif est directement connecté à la biologie synthétique, à la biologie expérimentale et à la biologie théorique. Mais j'ai également d'autres projets moins académiques, beaucoup plus idéalistes c'est-à-dire plus proches du rêve ou du fantasme. J'en ai bien conscience.

Que dois-je faire ? Développer une technologie pour l'industrie

Ce projet reste très connecté à la biologie mais il ouvre une porte vers les applications, l'entreprenariat. Durant mes recherches en thèse, j'ai toujours cherché "une idée / une découverte" pouvant déboucher sur une application et pourquoi pas vers la création d'une start-up. J'en discutais un jour avec [2023: identité protégée] : on disait "il faudrait trouver la bonne idée" mais on constatait notre impuissance à trouver cette bonne idée.

Quelques années plus tard, je me suis rendu compte que, peut-être, je l'avais cette bonne idée. Je pense que le futur en biologie (10-30 ans), va consister à développer des instruments capables d'extraire de l'information (des paramètres) sur le fonctionnement cellulaire en temps réel. J'imagine une machine idéale : je fais pousser mes bactéries dans cette machine et l'instrument futuriste me donne en quasi-temps réel la concentration des transcrits, des métabolites, de protéines et même beaucoup plus : la localisation spatiale de chaque molécule etc...

Une telle machine nous permettrait d'explorer beaucoup plus profondément le fonctionnement des réseaux biologiques. Aujourd'hui, les spectromètres de masse, le RNA-Seq et autres techniques pour disposer du transcriptome, du metabolome, du proteome ont encore une trop faible résolution temporelle à cause des étapes de préparation des échantillons. Pour progresser en biologie synthétique/des systèmes, il faut réduire le délai entre l'expérience proprement dite et l'obtention des données. Et je n'ai évidemment aucune idée sur la manière de procéder.

En revanche, j'ai développé une méthode beaucoup moins futuriste mais, il me semble, efficace pour extraire un grand nombre de paramètres sur le fonctionnement cellulaire. Cette méthode est basée sur la luciférase. La dépendance énergétique de cette enzyme lorsqu'elle est couplée à des outils génétiques (surexpression, mutants) permet d'obtenir de nombreuses informations : par exemple l'état énergétique globale de la cellule, la détection d'un flux particulier, la quantité d'acétate secrétée et même le niveau d'activation de la répression catabolique.

Il s'agit de résultats préliminaires mais j'ai acquis la conviction de l'intérêt potentiel d'une telle technologie. En particulier dans le domaine "microbial cell factory". Pour l'instant, j'ai apporté la preuve de concept à l'échelle d'un puit d'une microplaque. Ce qu'il faudrait, c'est que je démontre la faisabilité d'une telle méthode sur des volumes plus gros en créant un prototype de fermenteur (quelques litres) sur lequel je grefferais un photomultiplicateur. La luminescence est un signal agréable et facile à travailler : j'ai dans l'idée, à tort ou à raison, que les usines microbiennes de demain ne se passeront plus d'un tel signal fournissant tant d'informations à un prix si réduit (le coût d'un photomultiplicateur).

Pour l'instant, personne ne semble accorder de crédit à cette méthode. Peut-être y a-t-il des biais expérimentaux ou des failles dans mon raisonnement que je ne perçois pas encore. Cependant, j'espère avoir, dans le futur, la possibilité de démontrer la faisabilité de mon approche à plus grande échelle et, qui sait ? Peut-être déposer un brevet et tenter de l'exploiter. Je manque pourtant d'expérience dans ce domaine et je crains de ne pas disposer du savoir faire nécessaire pour mener à terme un tel objectif.

Ce projet, sans doute déjà un peu trop ambitieux, me permet maintenant de vous proposer une transition encore plus prononcée vers l'impossible. Prière de ne pas voir la proposition qui suit comme le reflet de frustrations personnelles. La frustration n'a et n'aura jamais sa place dans mon système philosophique [2023: elle y tient une place de premier choix 😀].

Que dois-je faire ? Améliorer le système de publication

Le système "peer-review" est un système en sursis. Je prédis sa disparition dans les 50 ans. Peut être même bien avant. Il a eu sa justification à une époque où le support physique de la publication avait un coût réel. L'encre, le papier, les circuits de distribution en quantité limitée nécessitaient de sélectionner la meilleur information à publier. Demander cette sélection à des pairs semblait alors raisonnable. Aujourd'hui, le support est dématérialisé : les coûts ont chuté. Par exemple, mon site web, contenant 500 pages d'informations, me coûte 20 euro par an. Pour l'instant, le site est visité environ 300 fois/mois [ 2023: il s'agissait de l'ancien site web, attaqué et détruit depuis longtemps maintenant]. Combien de fois les internautes y ont-ils puisé une information qui correspond à leur attente ? Impossible à quantifier. Mais j'ose espérer que cela arrive régulièrement. Cela signifie que le travail que j'ai fourni n'a pas été vain.

Avec le système "peer-review", beaucoup de travail investi est vain justement parce qu'il n'est pas publié. Il existe des articles à très gros potentiels qui ne sont pas disponibles aux lecteurs parce qu'ils ont été bloqués par le filtre de la critique. Or empêcher la publication de ces articles n'a pas lieu d'être car leur coût de stockage est infime et les moteurs de recherche sont suffisamment puissants aujourd'hui pour retrouver une information dans un océan de publications.

A l'inverse de l'Amérique, l'Europe n'a pas su attraper la vague et développer les concepts, relatifs au réseau et à l'information, qui ont changé la société et créé les entreprises ultra-puissantes que sont Google ou Facebook. Aujourd'hui s'amorcent des mouvements pour rendre la science plus libre : publication gratuite avec PLOS, prépublication avec ArXiv, encyclopédie Wikipedia. Mais ce ne sont que les arbres qui cachent la forêt.

Ma prédiction est qu'un bouleversement renversera le système peer-review. Les pays, les sociétés, les éditeurs qui initieront ce bouleversement en tireront de nombreux fruits s'ils savent conserver leur avance. Je m'explique : il existe, de mon point de vue, une longue traine gigantesque de découvertes/d'informations non publiées. Celui qui ouvre la vanne et accepte cette longue traine écopera, certes d'une quantité énorme de "déchets" mais aussi de publications beaucoup plus rares, de très grande valeur, bloquées pour l'instant par le filtre de la critique. Le stockage et la mise à disposition des "déchets" n'auront qu'un coût dérisoire. Et les pépites, elles, seront accessibles et se propageront à la manière des "memes" de Richard Dawkins. Citation, commentaires, "j'aime" aideront à déterminer les publications les plus "orientantes" et ces dernières verront leur présentation au lecteur mise en avant dans le moteur de recherche. Le système reste aristocratique: les meilleurs chercheurs, ceux qui ont le plus publié et sont le plus cités, se voient accorder un poids énorme à leurs citations / commentaires / "j'aime".

Avec le système actuel "peer-review", quand la critique du reviewer bloque une publication, ni cette dernière ni la critique ne sont disponibles aux lecteurs. L'information est absente. Dans le système que je décris, la critique peut exister, mais elle n'empêche pas la communication de l'information. Les deux (la publication et sa critique) sont publiées et disponibles au lecteur qui peut alors se faire sa propre idée.

Publier, en soi, devient un jeu d'enfant. Le moral des scientifiques n'est plus érodé par la frustration générée par le système actuel. Mais ne nous leurrons pas : faire une découverte intéressante et réussir à faire que l'information se propage resteront difficile. Et c'est là que les efforts et le temps doivent être investis et non pas dans l'acte de publier en lui-même.

Le système que je décris séduira car il est beaucoup plus libre et beaucoup moins violent. La publication est rapide, gratuite pour l'auteur, gratuite pour le lecteur. Seule la forme et le plagiat sont vérifiés avant publication. Les commentaires, critiques, revues sont possibles mais a posteriori de la publication et ouvert à tous. Les coûts d'édition chutent car il n'y a plus de peer-review. Les financeurs sont les états via des abonnements au prix raisonnable. Les états feront des économies car ils n'auront plus besoin, à terme, de payer les sociétés d'édition hors de prix. Avec mon système, je pense que tout le monde est gagnant : lecteurs, auteurs, états.

L'objectif à long terme consiste à drainer des millions de publications, leurs commentaires, les citations et l'énorme réseau social des scientifiques. Le tout sur des serveurs en Europe : petite revanche gentillette sur les Américains 😀. Une société Européenne contrôle alors le stockage, la présentation et le flux de toute nouvelle information scientifique grâce à un changement audacieux des fondements épistémologiques de l'acte de publication scientifique.

Je ne vais pas détailler toute l'architecture et le fonctionnement de ce système de publication. En revanche, esquissons quelques points sous forme de cahier des charges. Je répète qu'il s'agit bien évidemment d'un projet idéaliste et utopiste (mais très concret).

Ce que je m'estimerais capable de faire seul:

Là où le travail d'équipe deviendrait indispensable:

Il me semble bon, lorsque l'on réfléchit à la question "Que dois-je faire ?", de regarder en face et sans indulgence ce que l'on est, ou au moins ce que l'on pense sincèrement être. Cela permet de proposer des projets qui sont en adéquation avec ce que l'on se sent capable de faire ou, si cette adéquation n'existe pas, de le reconnaitre et rester, dans ce cas, dans la sphère idéaliste.

En ce qui me concerne, il me manque clairement des connaissances dans le domaine des mathématiques. Retard que je n'ai, pour l'instant, jamais réussi à combler en autodidacte malgré plusieurs tentatives. La conséquence de ces lacunes se fait sentir, par exemple, dans mes réflexions sur les théories de l'information car l'absence de compréhension des détails (certaines équations par exemple) est toujours dangereuse. Et comme je le sais, cela génère un déficit de confiance et donc du doute ce qui au final n'est pas forcement négatif.

Autre limite personnelle qui m'apparait clairement est l'absence totale de qualité de "meneur d'hommes". La première raison est philosophique : à l'instar de Nietzsche, je ne souhaite ni suivre ni guider. Mais je ne vais pas me cacher derrière un argument philosophique (même si j'y crois) et je pense, en réalité, être intrinsèquement incapable de "mener des hommes". Cela n'est tout simplement pas ma nature, philosophie ou pas philosophie.

"Être nul en math" et "ne pas pouvoir être un chef" ne sont pas des "défauts" réellement inavouables car je suis ni le premier ni le dernier à m'emmêler les pinceaux avec les équations et à disposer d'un charisme équivalent à celui d'une mouette. En revanche, je me suis rendu compte que l'on pourrait, et à juste titre, m'affubler de deux gros défauts que sont la faiblesse et la prétention.

Faible je le suis car, face à la force, je me plie et me soumet la majorité du temps. Quand je ne le fais pas, c'est que je sens que les conséquences négatives seront minimes sur mon moi. D'autre part, je suis ce qu'on appelle un peureux. Une brindille se brise à coté de moi et je sursaute comme un enfant de 5 ans. Et c'est sans même aborder la question de la mort qui terrorise l'hypochondriaque sévère que je suis devenu. Enfin, prétentieux, je le suis car je vous propose de repenser le système de publication mondial ce qui sous entend plus ou moins que j'imagine que la majorité des scientifiques, qui défendent le système "peer-review", se trompent contre moi...

Je ne vois pas beaucoup de traits de caractère jugés pire que la faiblesse et la prétention. Peut-être l'égoisme est-il à égalité avec les deux précédents mais la question m'a semblé plus complexe à traiter et j'ai préféré l'écarter. Cela ne signifie pas non plus que je ne me considère pas comme un égoïste, loin de là !

Ne croyez pas, cher Antoine Danchin, que les lignes ci-dessus correspondent à des confessions ou des aveux. Ils n'en sont pas. Qu'ai-je à faire des aveux ? Les lignes ci-dessus ne correspondent pas non plus à une manière de s'auto-flageller : qu'ai-je à faire de l'auto-flagellation ? Ces lignes ne sont que l'expression pure et simple d'une sincérité supérieure pour la vérité. La malpropreté intellectuelle me déprime et cette fausse pudeur trop humaine qui consiste à ne vouloir présenter aux autres que le meilleur de sa personne m'irrite. Maquiller et dissimuler en permanence ce qu'il y a de plus nauséabond en soi correspond, il me semble, à une logique de maximisation de son intérêt propre. Or cette maximisation ne correspond pas à mon but. But que nous allons justement étudier dans les parties qui suivent.

Que dois-je faire ? Prendre le temps de réfléchir

Il s'agit de mon projet de philosophie pure: je souhaiterais prendre le temps de réfléchir. Mes idées restent encore vagues mais se précisent mois après mois. Je voudrais écrire un ouvrage décrivant un petit système philosophique. Bien sûr, je ne peux assurer qu'il en sortirait autre chose que de la médiocrité et de la prétention. En revanche, ce système devrait être suffisamment global pour pouvoir justement expliquer/définir/justifier la médiocrité et la prétention.

Les mots clés de ma réflexion seraient (mais la liste n'est pas exhaustive): interrogation, connaissance, violence, liberté, amour, égoïsme, langage, le tout envisagé sous l'angle des strings reproductifs et donc sous l'angle de la biologie théorique et du concept d'information.

La forme reste à définir mais j'imagine qu'il s'agirait d'un petit essai (essai pris ici au sens de tentative) d'une centaine de pages. Le tout écrit avec des aphorismes si possible clairs, précis et concis et donc sans fioriture. C'est-à-dire l'exacte inverse de ma thèse !

Pour écrire quelque chose qui tient un peu la route, il me faudrait :

Que dois-je faire ? Devenir un homme libre

Rappelons tout d'abord les 4 précédents projets:

Je compte mener ces différents projets en parallèle. Bien sûr, il ne s'agit que d'une photographie à un temps t de ce que je souhaite faire. Je me laisse toute liberté pour abandonner certains projets et en accueillir de nouveaux. Car je sais bien que la vie passe vite et que l'on change : on change de vision, d'objectifs, de priorité, de rêves etc... Et je ne veux ni refuser ni craindre le changement mais au contraire le considérer comme fondamental et donc nécessaire. Avoir des conceptions figées dans le marbre à 29 ans serait pathétique (comme à tout âge d'ailleurs).

Ainsi mes craintes ne sont pas de changer mais plutôt de manquer de liberté. Mes craintes sont qu'un ou plusieurs hommes s'octroient le droit de décider ce sur quoi je dois travailler. Qu'un ou plusieurs hommes prétendent savoir mieux que moi ce que je dois faire. Je le répète, je ne souhaite ni suivre ni guider. Cela ne signifie pas que je veuille travailler seul dans mon coin. Cela signifie simplement que je veux pouvoir interagir avec / construire avec /orienter des hommes libres et grégaires. Il me semble que toute hiérarchie, quelle qu'elle soit, place les subordonnées tout autant que les chefs dans un état servile.

Je suis devenu extrêmement rigide sur tout ce qui touche à ma liberté. La moindre petite contrainte institutionnelle me pèse. L'adaptation reste une corde à mon arc. Cependant, regardons la verité en face : s'adapter signifie souvent renier, sous la contrainte, ses convictions philosophiques. Et à ce petit jeu, on risque de perdre des plumes, de tomber malade c'est-à-dire avoir du ressentiment ce qui mène à la violence et donc à l'absurde.

Prenons un exemple simple pour savoir exactement de quoi on parle. Cet exemple revient à traiter la question "que ne dois-je pas faire ?". J'aime enseigner car cela est en accord avec mon but ultime sur le plan philosophique :

"Construire avec autrui / orienter autrui"

Ce but est mon but actuel mais, je le répète, il pourrait évoluer au cours de ma vie. Peut-être qu'un jour je deviendrai hédoniste, eudémoniste, stoïcien ou même relativiste ou sceptique mais ce n'est pas le cas aujourd'hui.

J'aime enseigner mais je ne considère pas que "noter" les élèves maximise mon but philosophique. Il me semble qu'établir la gaussienne des bons et des mauvais est un acte violent, liberticide, c'est la volonté de puissance d'un homme (le prof) sur d'autres hommes (les élèves). Je n'y consens pas a priori. Mais je ne crois pas que le système éducatif accepte que j'enseigne sans noter les étudiants. Le système me forcera très certainement à me plier à ses règles et donc me forcera à renier mes convictions philosophiques. Or regardons la chose de plus prés : comment le système justifie-il les notes ? En quelques phrases seulement. Je m'amuse ci-dessous à les écrire :

Les notes et la compétition (que les notes créent de fait) sont un puissant rouage pour faire rentrer la connaissance dans la tête de nos élèves. Ces notes et la compétition augmentent le niveau global des élèves ce qui ultimement bénéficie à la société. En effet, cela permet à la "nation" de se maintenir au niveau des autres nations et donc de maintenir son influence économique et militaire. Sans note, nos élèves deviendraient des mollusques et la société deviendrait inexorablement esclave des nations "notantes".

Voyez-vous dans cette analyse autre chose que de la médiocrité pure ? Croyez-vous qu'une question aussi complexe que celle de la notation puisse être évincée en trois lignes sans aucune citation/justification philosophique?

Il me semble que tous les professeurs de la plupart des pays au monde acceptent de "noter" sans broncher et donc sans réellement réfléchir. Ils le font évidemment par pur intérêt personnel : ils savent bien que s'ils n'acceptent pas de noter, ils seront, la plupart du temps, virés ! Je doute en effet que ces millions de professeurs soient capables d'écrire une dissertation philosophique argumentée de 10 pages justifiant la notation des élèves. Mais peut-être que je me trompe : êtes-vous capables d'écrire cette dissertation ? Promis je ne la noterai pas 😀 !

Avouer son impuissance à argumenter sur le plan philosophique tout en notant les élèves revient, il me semble, à reconnaitre la supériorité intrinsèque de la politique sur la philosophie. Et cela je me refuse de l'admettre. Pourtant, aucun ministère de l'éducation n'accepterait de m'octroyer la liberté de ne pas noter et me renverrait, preuve ultime de son incapacité à argumenter, vers mon contrat de travail. Usage pure et simple d'une forme de violence dissimulée que nous, intellectuels, ne devrions pas accepter.

Le jour où je noterai les élèves (car ce jour arrivera si je deviens enseignant chercheur), soit je serai un opposant infiltré à l'intérieur des murs soit je serai devenu un simple rouage du système, un être vivant qui calcule plutôt qu'il s'interroge. La chair humaine qui calcule mais ne sais plus s'interroger n'est pas très différente, dans mon esprit, d'une fonction synthétique programmable dans une bactérie. Le jour où je deviendrai ce tas d'os calculant, je me considérerai comme fondamentalement mort, au moins sur le plan philosophique.

Pragmatiquement, je me rend bien compte que si je veux avoir une petite chance d'être payé et d'obtenir un poste, il faudra que je me conforme aux exigences du système. A savoir travailler et donc injecter de l'intelligence dans ce que le système jugera le plus utile. Dissimuler (prostituer ?) ma pensée en allant cirer les bottes à droite à gauche pour obtenir les faveurs de commissions diverses sera sans doute également un passage obligé. Je ne me fais pas trop d'illusion dans ce domaine.

Tout philosophe qui ne peut pas assurer seul sa subsistance alimentaire doit se soumettre au système. Qu'importe que cette soumission ait été souscrite par voie de contrat : elle n'en reste pas moins une soumission. Montaigne et Wittgenstein disposaient d'héritages familiaux conséquents pour pouvoir être libre de plancher sur les sujets de leur choix. Schopenhauer a été rentier une grande partie de sa vie. Nietzsche a pu obtenir une sorte d'allocation maladie après avoir été professeur à l'université. La question de la subsistance alimentaire peut être retrouvée à travers tous les âges de la philosophie. Aristippe de Cyrène se faisait payer pour ses enseignements. Tout le monde n'est pas Diogène le cynique ou Socrate. Pour réfléchir, il faut pouvoir manger et disposer de temps ce qui implique de ne pas avoir un emploi servile et épuisant. Ainsi, mon ultime projet répondant à la question "que dois-je faire ?" est de devenir, dans le futur et d'une manière ou d'une autre, un homme libre.

Voilà [2023: identité protégée], j'ai essayé de répondre sincèrement à la question "que dois-je faire ?". J'espère que mon texte n'est pas trop abrupt et que sa lecture vous aura intéressé ou au moins diverti. Peut-être aurez-vous le temps et l'envie de répondre, à votre tour, à cette question et me dire, selon vous :

"ce que je devrais faire", "ce que vous devriez faire" ou "ce que l'Homme devrait faire"

Je vous souhaite une bonne fin de journée.

Amicalement

[2023: Viafx24]