Fiche-retour courte sur ces travaux de doctorat (mai 2013)

[2023: Cette fiche signalétique a été soumis à l'occasion du "prix du monde" organisé par le journal "le monde" afin de récompenser les meilleurs thèses (voir l’article plus long). J'y ai participé car Edgar Morin en était le Parrain. Cette thèse n'a pas été retenu et n'a donc pas été récompensée. A noter que j'avais choisi la catégorie "science sociale" et non "science dure". L’intérêt principal de cette fiche est de fournir un angle de vue très court sur ce que le lecteur pourra trouver dans l’article plus long ou bien dans la thèse elle-même. ]

Titre pour l'ouvrage

Je suis un peu embêté car parmi mes deux thèses (positiviste et constructiviste), aucune ne se prête facilement à publication. L'une correspond à des articles de recherche en anglais, l'autre est trop dense (plus de 400 pages) et possède un contenu trop divers et pas suffisamment "excellent" pour, j'imagine, satisfaire un éditeur. Si j'étais sélectionné pour que ma thèse soit publiée, je pourrai réécrire un petit texte d'une centaine de pages. Concernant le titre, je n'ai pas vraiment d'idées actuellement car comme vous le constaterez, je parle de (presque) tout.

Problématique

Pas de problématique

Dans ma thèse, il n'y a pas de problématique à proprement parler. Il y a de multiples interrogations. Certaines très précises "Comment tel gène s'exprime t'il dans telle condition?" ; d'autres beaucoup plus généralistes comme "qu'est ce que la vie ?". Mon sujet de thèse s'intitule "Réseaux de régulation chez la bactérie Escherichia coli". Je l'ai découpé en deux grandes parties : une partie scientifique très focalisée et une partie philosophique plus généraliste qui franchit les barrières interdisciplinaires. La partie scientifique consiste à comprendre puis à contrôler, à l'échelle moléculaire, la dynamique de fonctionnement de petits réseaux qui contrôlent l'adaptation d'une bactérie. Cette partie a été évaluée par mon jury de thèse de "science dure" et je n'insisterai donc pas trop dessus. Aujourd'hui, je fais appel à un jury de science sociale pour qu'il se penche sur la partie philosophique de ma thèse.

Quel est le type d'information contenue dans le génome ?

Petit à petit, le travail expérimental m'a amené vers la théorie. Le réseau de régulation d'une bactérie est, au final, encodé dans le génome. Or le génome n'est qu'une suite de bits c'est-à-dire une suite de 0 et de 1. Le génome c'est donc de l'information. Mais quel type d'information exactement ? Mes réflexions m'ont amené à introduire un concept (que je n'ai pas le temps d'expliquer ici): l'interaction inter-nucléotidique virtuelle qui, à mon sens, est l'unité de sélection ultime sur laquelle influe l'évolution et qui me semble à l'origine de compression indécente d'information.

Qu'est ce que la vie ?

La plupart des biologistes pensent que la vie d'une bactérie "émerge" grâce à la présence d'un immense réseau d'interactions moléculaires. Je me suis donc senti autorisé à réfléchir à cette question " qu'est ce que la vie ?" -- réflexion à la fois théorique et métaphysique étant donné qu'il n'y a pas, à mon sens, de barrières franches entre ces deux catégories -- . J'ai proposé le concept d'exemplaire comme caractéristique fondamentale du vivant. Si nous trouvions sur Mars, deux objets/deux informations identiques et suffisamment complexes (par exemple deux taille-crayons identiques ou deux fois le mot "anticonstitutionnellement"), alors nous serions, selon ma conjecture, en présence d'une trace de vie extra-terrestre passée ou présente. Pour obtenir une définition de la vie, il convient d'ajouter quatre fonctions manipulant ces exemplaires : " création, reproduction, effacement, sélection". Cela est suffisant pour disposer d'une heuristique capable d'évaluation, de sélection et donc de recherche, de but.

Qu'est ce que la science ?

A force de faire des expériences, j'ai inexorablement fini par me demander comment avance "ma" science. Je me suis rapidement rendu compte que les dogmes hypothèse-expérience-résultat ou vérifiabilité / falsifiabilité / reproductibilité ne me permettaient pas d'expliquer entièrement l'apparition de mes résultats (expérimentaux ou théoriques). La seule notion qui m'a semblé indispensable pour expliquer comment avance "ma" science est le concept d'interrogation. A mon sens, pour pouvoir s'interroger, tout scientifique doit rechercher ce qui Nietzsche appelle "la grande santé", une santé que l'on sacrifie sans cesse et qui inclue donc une part de souffrance.

Pertinence et impact au regard des enjeux contemporains

Apport en médecine et dans l'industrie

Ma thèse comporte plusieurs articles scientifiques incluant des découvertes pouvant déboucher sur des applications futures en médecine et dans l'industrie. J'ai par exemple réussi à induire l'expression d'un gène (encodant une enzyme, la luciférase, qui produit de la lumière) dans des bactéries situées elles-mêmes dans l'intestin de souris. Puis j'ai pu contrôler la bonne induction du gène en détectant, de manière transcutanée c'est-à-dire non invasive, l'apparition de la lumière. Ce type de technique suggère, à terme, la possibilité d'utiliser des bactéries comme microordinateur-médicament chargé de détecter une pathologie intestinale et de la signaler ou de la traiter. Une autre publication propose de mesurer les variations de lumière émise par la luciférase pour inférer des paramètres sur le fonctionnement métabolique d'une bactérie. Les micro-organismes vont devenir les usines de demain. Ces usines microbiennes seront chargées de convertir un composé chimique A, peu cher en un composé chimique B beaucoup plus cher. Pour pouvoir disposer d'une usine efficace, il est crucial de mesurer et de contrôler finement, en temps réel, les flux métaboliques. La technologie que je propose, basée sur l'activité luciférase, pourrait, à mon sens, contribuer à atteindre ces objectifs.

Questionnements éthiques

Ma thèse positiviste porte sur un domaine émergent, la biologie synthétique dont l'objectif est de contrôler, à l'échelle moléculaire, un système vivant. Pour l'instant, "contrôle" des bactéries ; demain "contrôle" de l'Homme ; après demain, construction du surhomme. Je ne pouvais pas ne pas inclure de chapitres de réflexion éthique sur les conséquences / les risques potentiellement associés à ces technologies. J'ai écrit un chapitre entier pour alerter des risques de développement de bio-armes de nouvelle génération. Créer des bio-armes qui tuent, "on" sait déjà faire ; Créer des microordinateurs biologiques qui contrôlent finement un homme, une population, c'est ce que permettra à terme la biologie synthétique. J'ai également signé " le serment du scientifique" proposé par Michel Serres et j'ai essayé d'analyser le dilemme auquel a été confronté Einstein : la boucle de rétroaction qui fait que par son action (fabriquer une arme nouvelle) ou son inaction (ne pas fabriquer cette arme), un scientifique peut favoriser indistinctement " le bien" ou " le mal".

Déconstruction de la volonté de puissance

Sur le plan théorique et métaphysique, le concept d'interaction inter-nucléotidique virtuelle que j'ai introduit a des conséquences philosophiques directes. Il déconstruit le concept Nietzschéen de volonté de puissance et l'argumentation de Callicles dans Gorgias. Non, l'homme, par ses actions, ne maximise pas toujours son intérêt propre. Les interactions inter-nucléotidiques virtuelles franchissent la barrière des organismes et génèrent des actions humaines qui maximisent l'intérêt de l'humanité ou de la biosphère sans forcement maximiser, au final, l'intérêt de l'organisme. On voit donc comment la science (la théorie) peut venir ré-éclairer un vieux débat philosophique.

La liberté de manipuler des énoncés

Mes réflexions théorico-métaphysiques sur la notion de vie pourraient, à mon sens, apporter de l'eau au moulin en exobiologie (la recherche de vie extraterrestre). Cependant, je ne doute pas qu'un Socrate finira par trouver une faille dans mon raisonnement. L'intérêt de mes réflexions métaphysique ne réside donc pas tant dans les énoncés générés que dans le fait que je m'autorise à les générer. En ce sens, j'essaie de montrer " l'exemple" en prenant ostensiblement la liberté de manipuler les enoncés de mon choix, y compris les enoncés d'apparence métaphysique. Dans les laboratoires de science dure, flirter avec la métaphysique n'est pas encouragé (voir mal vu): les jeunes (et les moins jeunes) ne s'y risquent donc pas ce qui, il me semble, freine l'émergence de nouveaux paradigmes.

Remplacer la critique par l'interrogation

Beaucoup de scientifiques pensent que c'est la critique intersubjective qui permet l'émergence de l'objectivité d'où la fameuse revue par les pairs. A mon sens, il n'y a pas de critiques constructives. La critique cherche à imposer sa réalité à l'autre : elle est toujours violente (contrairement aux apparences). De mon point de vue, la critique est un "parasite" qui se fait passer pour un élément de "l'hôte" (la science). L'interrogation est beaucoup plus pure car elle inclut la réflexivité sur soi-même. Elle seule est un élément indiscutable de "l'hôte". Cette substitution de la critique par l'interrogation peut sembler anodine mais elle pourrait profondément modifier notre manière de faire de la science.

Evaluer une souffrance

L'interrogation est très étroitement associée à la notion d'effort, de souffrance ou de "grande santé ". Ceux qui s'interrogent beaucoup sont ceux qui sont capables de surmonter une grande quantité de souffrance. A partir de là, il y a quelques choses qui me semble absurde dans le fait de vouloir évaluer, classer, établir la gaussienne des niveaux car cela revient à classer des corps, des souffrances. Mettre en exergue " l'excellent" pourrait bien être sous-optimal si notre but consiste à constuire ensemble.