Fondements épistémologiques de SPOPS

[2023: le site web SPOPS a été attaqué et détruit quelques années aprés sa création, en 2013.]

Ce document a deux objectifs distincts :

Chaque partie a donc pour titre, un argument de la partie adverse : celles et ceux qui défendent le système classique dit « peer-review ». Notez cependant que nous n’avons rien contre la revue par les pairs en tant que telle. SPOPS propose d’ailleurs la revue par les pairs à ses auteurs. En revanche, nous nous opposons au système qui place la critique des pairs a priori en lui conférant un pouvoir décisionnel sur l’acceptation et donc la publication finale d’un article donné.

Nous ne sommes pas les premiers à critiquer le système « peer-review ». Ces critiques ne sont pas, selon nous, le simple reflet de chercheurs aigris ou frustrés par un processus de revue qui ne leur serait pas favorable. Non, ces critiques sont de plus en plus nombreuses et elles viennent de toutes parts. Elles montrent que ce système n’est plus en mesure de satisfaire une part grandissante des scientifiques. Le texte qui suit est volontairement critique : il vise à convaincre le lecteur. Cependant, nous ne nous contentons pas de critiquer : SPOPS est justement une alternative très concrète au système que nous nous proposons de dépasser.

« La science repose sur des fondements solides… »

Selon nous, la plupart des scientifiques pensent que la science doit être vérifiable et que les expériences doivent être reproductibles. Ils considèrent qu’il existe une méthode expérimentale incontestable qui doit être suivie. Et le bon suivi de la méthode expérimentale est justement l’objet de la vérification par les pairs : d’où le processus de « peer-review ». Mais ces scientifiques ont-ils conscience, en défendant un tel point de vue, de se placer dans le cadre d’une et une seule épistémologie (théorie de la connaissance) : l’épistémologie positiviste ?

Cette épistémologie a été introduite au 19ème siècle par Auguste Comte qui souhaitait « Éliminer les spéculations métaphysiques abstraites et établir les critères de la rationalité des savoirs ». Cette épistémologie positiviste est encore aujourd’hui l’épistémologique institutionnel : celle qui est appliqué dans la plupart des centres de recherche scientifique dans le monde : l’idée que la science doit refuser les énoncés métaphysiques et ne doit accepter que les énoncés qui sont vérifiables provenant d’expériences reproductibles.

Ainsi, cher lecteur, si vous êtes un scientifique et que vous vous n’êtes jamais intéressé à la philosophie des sciences, il est probable que vous entrevoyez la science sous cet angle dit « positiviste ».

Pourtant, il faut savoir que l’épistémologie positiviste comme d’ailleurs n’importe quelle épistémologie, repose sur des hypothèses, c'est-à-dire sur des énoncés qui ne sont pas sûrs, pas vérifiables. Jean-louis le Moigne, dans son ouvrage « les épistémologies constructivistes », a montré que l’épistémologie positiviste repose sur :

Un autre type d’épistémologie bien connu, l’épistémologie constructiviste, repose quant à elle, sur des hypothèses différentes1 :

Ainsi, toute théorie de la connaissance se base sur des hypothèses et il convient de bien garder cela à l’esprit. C’est pourquoi SPOPS ne se revendique d’aucune épistémologie en particulier. Notre système les accepte toutes : épistémologies positivistes, constructivistes, anarchistes, relativistes…

« Il existe une méthode expérimentale qu’il convient de respecter… »

Une autre épistémologie intéressante est l’épistémologie anarchiste proposée par Paul Feyerabend. Dans son ouvrage « Contre la méthode » publié en 1975, cet auteur nie l'existence de règles méthodologiques universelles, il nie l’existence d’une démarcation stricte entre science et non science. Selon lui, en science, « tout est bon ».

En particulier, Paul Feyerabend a vivement critiqué les prétentions de la science théorico-expérimentale : l’attitude consistant à juger la qualité des théories scientifiques (prédictions) en les comparant avec des résultats expérimentaux (observations). Sa critique passe par une analyse de «l’argument de la tour ». A l’époque de Copernic, beaucoup pensaient que le fait qu'une pierre tombant d'une tour atterrisse juste devant la tour (observation) prouvait que la terre était immobile (théorie). Ils pensaient que si la terre tournait, les objets ne tomberaient pas à la verticale mais en diagonale. Or comme cela n’était pas le cas, cela prouvait l'immobilité de la terre. Avec le recul, nous savons bien sûr que ce raisonnement est faux.

Ainsi pour Paul Feyerabend, « une théorie peut être incompatible avec l’évidence empirique non parce qu’elle est incorrecte, mais parce que c’est l’évidence même qui est viciée ». Les faits sont impurs : ils « contiennent des composantes idéologiques […] qui n’ont […] jamais été formulées de façon explicite». Paul Feyerabend en déduit que les principes du positivisme rendent mal compte d’une science bien plus molle et irrationnelle que son image méthodologique2. Les moyens irrationnels tels l’émotion, la propagande, l’appel à des préjugés de toute sorte sont tout autant nécessaire à la création d’une connaissance solide, au progrès. Et les erreurs sont justement les conditions du progrès. La bonne méthode consiste donc à surtout ne rejeter aucune théorie. Il n’y aurait pas une seule règle qui reste valide dans toutes les circonstances. Aucune méthode à partir de laquelle, il ne faudrait jamais dévier. Pour Paul Feyerabend :

« Étant donné un but, l’ « a-méthode » [absence de méthode] de l’anarchiste [épistémologique] a une plus grande chance de réussir que n’importe quel ensemble de critères, règles ou prescriptions bien définis »

Ainsi au regard des deux parties précédentes, SPOPS a conservé les éléments suivants :

A partir de là, SPOPS ne retient, pour fondement ultime, qu’un seul principe :

«SPOPS est un système de publication libre et ouvert à l’ensemble des lecteurs et des auteurs »

Selon Nietzsche3,

« La quantité de stable, la quantité de croyance dont un homme a besoin et qu’on ne peut lui soustraire parce qu’il y prend appui, est une mesure de sa force, ou pour m’exprimer plus clairement de sa faiblesse »

Le principe fondamental ci-dessus représente le stable sur lequel SPOPS repose. Le stable qu’on ne peut lui soustraire car il prend appui. C’est le seul principe auquel nous ne toucherons jamais. Ce principe fondamental unique représente une quantité de stable extrêmement réduite et, selon nous, confère ainsi à SPOPS sa grande robustesse.

« La science progresse via des démonstrations… »

Dans son ouvrage « la Structure des révolutions scientifiques » publié en 1962, Thomas Kuhn s'efforce de montrer pourquoi le développement scientifique n’est pas un processus linéaire / cumulatif. En effet, selon lui, la science progresse de manière fondamentalement discontinue, c’est-à-dire non par accumulation mais par rupture. L’évolution des idées scientifiques s'organise en deux grandes phases alternatives, qualifiées de science normale et de science extraordinaire. La phase de science normale est la phase usuelle, celle qui constitue en durée l'essentiel de l'histoire des sciences. Un groupe de scientifique adhère massivement à un paradigme qui, par ses « accomplissements scientifiques passés » et sa logique, fournit « le point de départ d'autres travaux ». Un paradigme est une représentation du monde qui repose sur une base définie (une forme de rail de pensée). C’est l'ensemble des croyances, des techniques, des règles admises et intériorisées comme « normes » qui sont partagées par les membres d'un groupe de scientifique, au cours d'une période de consensus théorique. Il faut se représenter le paradigme comme un cercle. La science qui est y faite est essentiellement prédictive : les scientifiques testent inlassablement le paradigme en concevant de nouvelles énigmes de manière à le renforcer (à élargir le cercle). Les scientifiques normalisent tout l’espace à l’intérieur du cercle par des exercices de nettoyage, de sorte à faire entrer « la nature dans leur boîte ». Les problèmes qui y sont résolus sont de taille limitée. Mais inévitablement, des anomalies apparaissent, généralement dénoncées par des théories concurrentes. La plupart d’entre elles seront expédiées par des raisonnements « ad-hoc » pour sauver le paradigme. Mais si ces anomalies sont prises en considération, alors une crise s’installe et c’est le début d’une révolution scientifique : on passe dans la phase du régime extraordinaire. On voit alors apparaitre de nouvelles théories (des nouveaux petits cercles) cherchant à expliquer les anomalies et à remplacer le paradigme mis en défaut. Ces théories sont donc candidates au titre de nouveau paradigme. Bien sûr, durant la crise, de nombreux scientifiques (ceux qu’une carrière féconde avait profondément engagés dans l’ancien paradigme) gardent «la certitude que l'ancien paradigme parviendra [finalement] à résoudre tous les problèmes ». Ces résistances sont utiles car elles « empêchent que le paradigme soit trop facilement renversé » ce qui évite que « les scientifiques [soient] dérangés sans raison ». Le processus de révolution n’est pas immédiat. Il progresse par des prises de positions successives de la part des groupes scientifiques confrontés à une crise. Lorsque ces différents groupes se rallient finalement à une nouvelle théorie consensuelle, celle-ci devient un paradigme et la révolution est achevée. La science normale, prédictive, réapparait et les scientifiques sont chargés de nettoyer et d’élargir le cercle jusqu’à ce que de nouvelles anomalies apparaissent.

« Les adeptes de paradigmes concurrents ne s’entendent jamais complètement […] leur discussion est inévitablement un dialogue de sourds. Chacun peut espérer convertir l’autre à sa conception de la science et de ses problèmes, aucun ne peut espérer prouver son point de vue. La concurrence entre paradigmes n’est pas le genre de bataille qui puisse se gagner avec des preuves […] Les deux groupes voient des choses différentes quand ils regardent dans la même direction à partir du même point […] pour comprendre comment se font les révolutions scientifiques, il nous faudra étudier […] les techniques de persuasion par discussion qui jouent un rôle au sein de ces groupes assez particuliers qui constituent le monde des sciences »

Comme le précise Thomas Kuhn, une révolution scientifique aboutissant à un changement de paradigme, n’utilise pas, comme outil, la démonstration mais la persuasion. Le système « peer-review» est peut-être adapté à la phase de science dite « normale ». En revanche, il y a un risque fort de censure lors de la soumission de publications amorçant un nouveau paradigme. Ces publications ne peuvent pas « démontrer » leur valeur, elles ne peuvent que « persuader ». Si elles échouent dans leur tentative de persuasion, elles seront censurer alors même que ce type de travaux représente des « ruptures » à l’origine d’avancés très rapides du progrès. Nous sommes donc obligé de considérer l’hypothèse que le système actuel freine le progrès en censurant des publications annonciatrices de rupture. Bien sûr, il est impossible de prouver cette hypothèse puisque ce type de travaux reste inconnu. SPOPS ne peut se permettre de prendre un tel risque c’est pourquoi SPOPS accepte tout.

« Sans censure, le loup rentrerait dans la bergerie… »

Selon nous, un des arguments principaux avancé par le système classique « peer-review » est la possibilité d’opérer une démarcation pragmatique entre science et pseudoscience. Beaucoup pense que l’existence d’un « filtre » permet d’opérer une frontière nette entre l’astrologie et l’astrophysique, par exemple. Pour séparer un médicament efficace d’une pilule miraculeuse relevant de la charlatanerie, il faut pouvoir soumettre la publication à des pairs qui se chargeront de vérifier le bon respect de la méthode scientifique. De même, ce processus de « peer-review » permet également d’écarter des auteurs qui voudraient se servir abusivement du mot « science » pour assoir leur intérêt commercial : le dentifrice qui rend vos dents plus blanches grâce à la triple action d’un composé révolutionnaire breveté et testé scientifiquement. Cette manière de voir les choses peut sembler logique a priori, mais elle ne l’est pas selon nous. Voyons les contre-arguments que nous avons à opposer.

Repartons de Galilée qui prétendait que la terre tournait autour du soleil et non l’inverse. Quelle a été l’attitude de l’église ? La censure associée à l’obligation de prononcer le texte de rétractation suivant:

«Moi, Galiléo, […] âgé de soixante dix ans, ici traduit pour y être jugé, agenouillé devant les très éminents et révérés cardinaux inquisiteurs généraux contre toute hérésie dans la chrétienté […] jure que j'ai toujours tenu pour vrai, et tiens encore pour vrai, et avec l'aide de Dieu tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église Catholique et Apostolique affirme, présente et enseigne. […] j'ai été tenu pour hautement suspect d'hérésie, pour avoir professé et cru que le Soleil est le centre du monde, et est sans mouvement, et que la Terre n'est pas le centre, et se meut.»

A l’époque, penser que celui qui dit que la terre tourne est un fou, semble, après tout, assez logique dans la mesure où notre expérience directe ne nous fait pas ressentir le déplacement de la terre. De même, nous croyons voir un « fait » lorsque, durant la journée, le soleil change de position, tourne dans le ciel. Mais bien sûr, les faits sont impurs.

Or notre argument est le suivant : la communauté scientifique, en refusant de publier, via le processus de « peer-review », les travaux d’apparence « magique » d’un auteur qui se proclamerait de la science, se comporte exactement comme l’église : en censeur, en inquisiteur. Les arguments qui sont invoqués sont très proches de ceux de l’église: « les énoncés censurés sont contraire à l’expérience la plus évidente, ne respectent pas ce que le temple positiviste affirme, présente et enseigne». Les menaces et sanctions de la communauté scientifique se sont sans doute adoucis (ce n’est plus la torture ou la prison) mais elles existent toujours : les demandes de modifications peuvent être exigé par les rapporteurs et se rapprochent dans une certaine mesure de « la rétractation ». Si l’auteur s’entête et refuse les modifications, sa publication sera dans doute rejetée. L’auteur sera alors privé des récompenses associées aux publications : obtention de postes, de grants…

En voulant censurer les travaux trop éloignés des paradigmes en vigueur, en voulant « normaliser » les travaux selon une méthode scientifique prédéfinie, en voulant « couper les cheveux » des publications pour qu’elles se ressemblent toutes, la communauté scientifique se comporte de manière dogmatique en prétendant justement combattre le dogmatisme ou les pseudosciences.

Il faut donc créer un système où toute personne qui se réclame de la science puisse publier ses théories, ses résultats en ayant l’assurance de n’être ni censuré ni sanctionné. On ne peut pas se permettre de passer à coté de futurs Galilée potentiels or c’est ce que nous faisons, cela est très probable et surtout dommageable.

Car au final, pourquoi vouloir à tout prix empêcher la publication d’un charlatan traitant d’une nouvelle pilule miraculeuse ? Peut-être nous diriez-vous: pour empêcher ces gens-là de donner des faux espoirs au patients malades par exemple. Mais ne vaut-il pas mieux accepter la publication de l’article, au non de la liberté d’expression, puis de le critiquer vigoureusement après? C’est ce que permet SPOPS. Dans SPOPS, les critiques ne peuvent jamais bloquer la publication d’un article car elles ont lieu a posteriori de la publication. C’est le lecteur qui, ultimement, jugera si c’est à l’article ou à la critique qu’il accorde le plus de crédit. Cette manière de procéder nous semble plus logique que celle en vigueur dans le système classique. En effet, dans ce dernier, si le rapporteur est trop critique ce qui aboutit au rejet / à la censure de l’article, le lecteur n’aura donc au final, ni accès à l’article ni à sa critique et ne pourra donc pas se forger sa propre opinion. Notez également que dans SPOPS, l’auteur peut réviser son manuscrit s’il le souhaite : par exemple, s’il juge les critiques des rapporteurs constructives. Cette manière de procéder évite que les auteurs ne modifient l’article ou effectuent des contrôles, non pas parce qu’ils pensent fondamentalement que les modifications sont nécessaires, indispensables mais uniquement pour maximiser l’acceptation de l’article et bénéficier des avantages qui y seront associés (postes, grants, reconnaissance). Ce biais est néfaste à la science. C’est pourquoi, dans SPOPS, les auteurs restent totalement libres d’effectuer ou non les modifications proposées.

Encore une fois, la liberté est placée au centre du fonctionnement de SPOPS. L’église a forcé Galilée à modifier ses paroles, la communauté scientifique force couramment les auteurs à modifier leur publication. Ce ne sera pas le cas de SPOPS. Les auteurs ne subiront aucune pression -- directe ou indirecte --. Car il s’agit, selon nous, de méthodes violentes et contre-productives indigne de la science du 21ème siècle. Que ce soit à notre époque ou à celle de Galilée, la liberté de faire et de dire inspire la méfiance de ceux qui préfèrent la censure au désordre. Ces personnes là n'admettent ni la valeur pédagogique de l'erreur ni la mise en danger du savoir établi. Ils ne croient pas à l'éducation mais au dressage4.

« SPOPS ne sombre-t-il pas dans le relativisme ?… »

En tant qu’éditeurs, nous ne souhaitons pas prétendre être en mesure de discriminer ce qui est « scientifique » de ce qui ne l’est pas, d’opérer une démarcation entre science et non-science. En d’autres termes, nous ne pensons pas être en mesure de proposer une définition de la science. Cela implique que ce sont les auteurs qui seront seuls à même d’estimer si leur article correspond ou non à de la science. Par conséquent, nous ne craindrons et donc nous ne ferons pas la chasse à la médiocrité, à l’insignifiant, aux canulars ou aux erreurs. Nous ne prétendons pas savoir ce qui est vrai, ce qui est juste ou ce qui est bon. A l’inverse, nous ne prétendons pas non plus que la vérité, la justice ou la bonté n’existe pas.

Nous ne sommes ni relativistes ni non-relativiste. Y a-t-il une différence de valeur entre les énoncés qui décrivent le vrai médicament de ceux qui décrivent la pilule miracle ? Ce n’est pas à nous de nous prononcer sur une telle question. En l’état actuel des connaissances, il n’existe actuellement aucun moyen fiable de prouver qu’il existe une asymétrie entre deux énoncés donnés (par exemple, un vrai et un faux). Mais cela ne signifie pas non plus que cette asymétrie n’existe pas. Ainsi SPOPS ne craint pas de mélanger science et pseudoscience sans pour autant considérer qu’elles sont identiques.

En proposant un système qui accepte tous les énoncés, nous ne disons pas que toutes ces énoncés se valent, sont égaux. Certains se dupliqueront, se propageront tel les « memes » de Richard Dawkins. D’autres n’auront pas cette chance mais ils la conserveront toujours. Il arrive parfois qu’une publication, un énoncé passe inaperçu pendant quelques années, décennies, puis soit redécouvert plus tard et commence sa propagation. Ce n’est pas parce qu’un énoncé ne se propage pas (n’est pas cité, récupéré, utilisé, remanié) qu’il est mauvais. Cela signifie simplement qu’il est insignifiant à un temps donné. Sur SPOPS nous ne craignons pas l’insignifiant car l’insignifiant (une publication qui n’intéresse personne, qui semble médiocre, creuse, sans originalité) n’a qu’un coût négligeable. L’insignifiant ne fait de tort à personne tout en conservant sa chance d’être repérée un jour et donc de devenir « signifiant ». Si une personne juge qu’une de ses idée/un de ses résultat est suffisamment intéressant pour qu’elle fasse l’effort d’écrire la publication correspondante dans le but de la/le transmettre à l’humanité gratuitement, il nous semble idiot de refuser d’accueillir, d’héberger cette publication, cette information. Une publication sur SPOPS n’occupera, sur le serveur, que quelques kilo-octets / mega-octets c'est-à-dire un espace devenu négligeable. Le stockage d’ 1 million de publications de 1 Mo (soit 1 téraoctet) coûte aujourd’hui moins d’une centaine d’euro. Ce qui est important, aujourd’hui, c’est de créer un système capable de classer ces idées et de les présenter au lecteur en fonction de leurs notoriétés c'est-à-dire leur faculté d’orienter autrui.

Dans SPOPS, la censure n’existant pas, science et pseudoscience cohabiteront. Mais ce qu’il faut remarquer, c’est que SPOPS a vocation à devenir un réseau dense de publications : les interactions représentant, entre autre, les citations des auteurs. En décloisonnant science et non science, on va pouvoir analyser la topologie du réseau de la connaissance scientifique. Autrement dit, on va pouvoir observer les liens, les interactions qui unissent, ou pas, science et non-science. On va pouvoir traiter scientifiquement la question de la démarcation entre science, pseudoscience, métaphysique et philosophie : s’agit t’il de réseaux indépendants qui ne se mêlent pas, ne se voient pas ou sont ils densément connectés par les citations ? En plus d’être un système de publication, SPOPS est donc un laboratoire pour analyser scientifiquement la question « qu’est ce que la science ? ». C’est une manière de répondre à la proposition d’Edgar Morin qui suggère que « la science apprennent à s’auto-étudier ». Ces caractéristiques « d’auto-analyse » permises par SPOPS sont impossibles dans le système classique, qui en opérant une démarcation arbitraire entre science et non science, ne révèle que sa difficulté, son angoisse à reconnaitre que l’objet « science » est beaucoup moins bien défini qu’il n’y paraît.

« Il y a beaucoup trop de publications, il faut privilégier le qualitatif… »

Beaucoup de scientifiques pensent qu’il y a trop de publications. Par conséquent, ils préconisent de renforcer les filtres pour épurer. Leur règle c’est « moins mais mieux », le « qualitatif avant le quantitatif ». Le trop grand nombre d‘articles les effraie : ils ont peur de ne pas tout contrôler, de ne pas tout savoir, de ne pas réussir à être exhaustif. Ils raisonnent selon des vieux schémas issus de la science du 19ème siècle où le scientifique pouvait encore être un « gentilhomme » capable de suivre et de comprendre l’ensemble des domaines scientifiques et culturels. Nous sommes au 21ème siècle, le siècle de la société de l’information. Vouloir être exhaustif est devenu impossible. Nous ne pouvons pas lire beaucoup plus de 5000 livres et 10000 publications durant notre vie. Nous devons donc apprendre à faire naviguer notre pensée, à danser avec dextérité sur le réseau gigantesque de l’information. L’objectif n’est pas de mettre en place des filtres qui limitent la quantité absolue d’information (de bits): ce serait totalement inutile et contre-productif. Non, ce qu’il faut c’est créer des filtres, des algorithmes qui fouillent l’océan d’information et présentent à l’utilisateur, la bonne information, celle qu’il recherche.

Pour illustrer la nécessité de ne pas limiter la quantité absolue d’articles, d’information, je vais partir de l’exemple de la communauté informatique. Les informaticiens qui apprennent des langages de programmation (HTML, PHP, C, C++ etc…) savent qu’il est essentiel de laisser la communauté discuter librement sur les forums pour résoudre les problèmes. La modularité intrinsèque des langages de programmation va rapidement confronter le développeur à des problèmes spécifiques. Pour résoudre ces problèmes, le programmeur peut lire le manuscrit (le classique RTFM5 ). Pourtant, si le manuscrit est souvent jugé « de qualité » car standardisé et correctement corrigé, sa lecture ne suffira pas à résoudre l’ensemble des problèmes très spécifiques que rencontrera forcement le développeur. Ce dernier ne compte généralement plus le nombre de fois qu’une solution proposée sur un forum lui a fait économiser des heures de travail. Les « posts » qui le sauvent ne sont pas une information standardisée, formatée. Au contraire, il s’agit en général de quelques lignes écrites rapidement avec des fautes d’orthographes mais contenant -- et c’est cela qui compte -- la solution. Bien sûr, pour 10 solutions potentielles proposées en réponse à un problème donné, il n’y en a souvent qu’une seule qui apporte effectivement la bonne solution. Et cette solution est accessible seulement parce qu’on a laissé les 9 autres auteurs proposer librement ce qui s’avère en fait être une erreur, ou disons une solution inefficace vis à vis d’un problème spécifique.

Ainsi c’est parce qu’il y a DES erreurs qu’il y a LA solution. Toute volonté de filtrer, de censurer pour n’accueillir que des bonnes solutions gripperait immédiatement le système. Ce qui marche c’est une communauté qui discute librement et fait émerger des erreurs et des solutions. Toute tentative pour filtrer les erreurs aboutira au filtrage des solutions. Ainsi la communauté informatique doit une partie de son efficacité à la libre communication. Cette libre communication génère une forte granularité de l’information. Explicitons ce concept de granularité :

Prenons un bac qui représente toutes les questions possibles. Si vous remplissez ce bac avec des gros galets (les réponses possibles) comme par exemple le manuel « de qualité » bien standardisé et bien corrigé, il restera encore énormément d’espaces vides représentant les problèmes pour lesquels les développeurs ne trouveront pas la solution. Il faut donc laisser le bac se remplir avec des petits cailloux, et des grains de sables qui combleront l’espace des problèmes. Vous disposez alors d’une aide « hautement granulaire » à proposer à vos utilisateurs: la clé pour qu’un langage de programmation rencontre du succès.

Or pourquoi ce concept de granularité facilement compréhensible pour l’informatique, ne serait-il pas valable pour la science en générale ? Pourquoi la communauté scientifique ne laisse pas le processus de publication ouvert pour permettre aux galets, cailloux et grains de sable de remplir l’espace des problèmes et questions possibles ?

Pour tenter de convaincre que la transition de l’informatique à la science est possible, sur cette question de la granularité de l’information, je vais prendre pour exemple, le domaine dans lequel je travaille : la biologie synthétique. Il s’agit d’un domaine à mi-chemin entre biologie et informatique : le but étant de programmer une fonction biologique donnée dans de l’ADN – programme qui sera ensuite exécuter par un organisme vivant (équivalent de l’ordinateur). Le développement de la biologie synthétique est limité par les difficultés de standardisation du matériel biologique utilisé. Contrairement aux portes AND de l’électronique, le matériel biologique est plus difficile à manipuler et échappe souvent au but de l’expérimentateur à cause, entre autre, des phénomènes évolutifs. Mais les problèmes de standardisation ne représentent pas l’unique frein au développement de la biologie synthétique. La libre publication/discussion des résultats entre biologistes synthétiques est entravée par le processus de « peer-review ». Celui qui crée demain une nouvelle porte AND robuste et efficace attend parfois plusieurs années avant de pouvoir publier ses travaux, à cause des contrôles, règles, filtres toujours plus chronophages imposés par les rapporteurs. Ces filtres freinent l’apparition d’une granularité de l’information suffisante en biologie synthétique ce qui est, de notre point de vue, en partie responsable des difficultés d’extension de ce domaine. Bien sûr, nous pensons que ce qui est valable pour la biologie synthétique peut être étendu à l’ensemble des sciences…

Peut-être nous rétorquerez vous que les scientifiques sont libres de publier leur travaux sur internet ou de discuter sur les forums. C’est vrai en théorie. Mais en pratique, ils utilisent beaucoup moins cette possibilité que leurs collègues informaticiens. Pourquoi ? Parce que contrairement aux informaticiens, il y a très peu de scientifiques amateurs. Le scientifique d’aujourd'hui est avant tout un professionnel. Or il sait que la publication de ses travaux sur internet ne bénéficiera pas de la reconnaissance et de l’impact dont elle pourrait bénéficier en passant par le système classique « peer-review ». Or sans reconnaissance, pas de récompense. Au final, les scientifiques conservent dans leur tiroir beaucoup d’informations qui pourraient accroitre la granularité globale de leur domaine si elles étaient publiées facilement. Mais ils n’y ont aucun intérêt direct car l’institution ne les y encourage pas c'est-à-dire ne les récompense pas. L’institution reste braquée sur le système classique « peer-review » et refuse de s’adapter à la société de l’information du 21ème siècle.

Etudions maintenant les raisons historiques qui expliquent au moins partiellement pourquoi la communauté scientifique échoue à créer un système de publication permettant d’atteindre un haut niveau de granularité. Historiquement, les filtres instaurés en science trouvaient leur légitimité dans la limitation des ressources :

Mais aujourd’hui, le problème des limites des ressources physiques, a disparu avec l’arrivé d’internet. Le coût de stockage d’un texte avec des images est devenu presque négligeable. De même le problème des limites des ressources intellectuelles s’est modifié. L’apparition des moteurs de recherche, extrêmement efficace, permet aujourd’hui de retrouver une information très précise dans un océan d’informations insignifiantes, et ce de manière quasi instantanée, ce que tout le monde expérimente chaque jour avec Google. Il est donc possible de préserver son « capital lecture » en ne lisant que l’information recherchée.

Ainsi les deux verrous pragmatiques qui justifiaient l’existence des filtres au cours du 20ème siècle, avant l’arrivée d’internet, ont disparu subitement au 21ème siècle. Pourtant les filtres persistent à cause d’un changement a posteriori des explications sur la justification de ces filtres. Des justifications pragmatiques au 20ème siècle, on est passé à des justifications idéologiques : la volonté de filtrer pour séparer science et non science alors que la plupart des philosophes des sciences s’accordent à dire que l’existence d’une telle démarcation reste, aujourd’hui, non démontrée.

Il semble que la communauté scientifique s’entête à vouloir conserver ses filtres et tarde à opérer la transition vers un système plus libre. Transition qui nous apparait comme inéluctable. La conséquence de ce retard est simple : les grandes révolutions de la société de l’information du 21ème siècle, celles qui ont changé nos vies d’une part et notre manière de faire de la science, d’autre part, ne sont pas directement issues de la communauté scientifique académique. Wikipedia a été créé par un financier Jimmy Walles et non pas par un scientifique. La communauté scientifique ne peut donc pas afficher sur son tableau de chasse ce qui correspond à la plus grande diffusion de la connaissance de tous les temps. Il en va de même pour Google. La communauté scientifique profite donc de ces révolutions sans réellement les avoir initiés ni vu venir. Pourquoi ? Parce qu’elle ne fait pas confiance à l’homme. A l’inverse, Wikipedia a ouvert l’écriture et les modifications de ses articles à l’ensemble des lecteurs. Ce type de stratégie basé sur la confiance a parfaitement fonctionné. Pourtant, la communauté scientifique ne semble pas presser de l’imiter.

De même, le moteur de recherche Google, lors d’une requête, présente les résultats aux lecteurs via un algorithme basé sur des paramètres les plus « neutres » possible tentant d’évaluer de la manière la plus « juste » possible la popularité réelle d’une page. La communauté scientifique préfère évaluer la crédibilité d’une publication avec des paramètres nettement plus subjectifs que sont le nom des journaux, l’affiliation de l’auteur, la revue par les pairs... Son complexe de supériorité aristocratique lui fait maintenir une distance entre « elle » et le reste de la société car elle ne fait pas confiance à l’Homme, elle fait confiance aux scientifiques. L’aristocratie ( aristos, les meilleurs) n’est pas en soi une mauvaise chose lorsqu’il s’agit de présenter une information « orientante ». Dans son algorithme de page Rank, le moteur de recherche Google implémente des concepts aristocratiques tel le concept de « jus de liens » : une page Web, qui a beaucoup de liens pointant vers elle, crée des liens vers les autres qui ont beaucoup de poids. Ce poids sert à définir des scores qui servent à définir l’ordre de présentation des résultats aux lecteurs. Ainsi, les filtres aristocratiques sont une bonne chose s’ils ne sont pas biaisés c'est-à-dire s’ils sont centrés sur les idées non sur les hommes.

Pour synthétiser, il faut donc que la communauté scientifique supprime d’urgence sa peur du quantitatif d’une part, et de l’insignifiant d’autre part. Il en va de sa survie en tant qu’entité crédible et non dogmatique. Elle doit s’ouvrir et promouvoir tout système capable de générer une haute granularité. PLOS a commencé à le comprendre et publie des dizaines de milliers d’articles chaque année en ignorant le facteur d’impact calculé selon la règle Nombre d’articles/Nombre de citations. Car seule la valeur absolue du nombre de citation doit être prise en compte. L’insignifiant, qui ne sera pas cité, gonfle le nombre d’articles et fait donc chuter le facteur d’impact. Or l’insignifiant est par définition « insignifiant » et devrait donc, en toute logique, être ni craint ni chassé. D’autant que son coût, nous l’avons dit, est lui aussi devenu insignifiant.

« Le système peer-review est le moins pire des systèmes… »

Ce processus de « revue » est souvent considéré comme « le moins pire » des systèmes car cela permet aux scientifiques d’être évalués par leurs pairs (d’autres scientifiques du même domaine) ce qui vaut mieux qu’une évaluation menée par un homme politique ou par un financeur c'est-à-dire des personnes qui ne connaissent rien à la science. Pourtant, des énoncés comme « le système peer-review est le moins pire des systèmes » ou comme « c’est le seul système qui a fait ses preuves » possèdent certaines caractéristiques d’infalsifiabilité selon Popper. Ce ne sont pas des énoncés qui sonnent « scientifiques » c'est-à-dire qui acceptent de se prêter aisément à la réfutation. Car ils sont prononcés, en général, lorsque, justement quelqu’un propose un système alternatif, c'est-à-dire propose une expérience qui si elle s’avérait réussie, démontrerait que les énoncés ci-dessus sont faux. SPOPS est « cette expérience ». Il semble donc paradoxal (et peu Poppérien) de vouloir nous opposer les énoncés que SPOPS tente justement de réfuter.

Ainsi la défense du système « peer-review » repose principalement sur des énoncés qui se veulent infalsifiable tel « le système peer-review est le moins pire des systèmes ». Cette défense ne s’appuie pas sur un socle épistémologique clairement revendiqué. A l’inverse, SPOPS annonce ostensiblement par ce document les fondements épistémologiques auxquels il se réfère. Quel journal scientifique justifie la revue par les pairs en citant un philosophe des sciences reconnu ? Nous n’en connaissons pas. Quel épistémologue justifie la nécessité du système « peer-review » ? Nous n’en connaissons pas.

Il nous semble que pour justifier leur système « peer-review », les journaux scientifiques préfèrent se référer à la politique plutôt qu’à la philosophie des sciences. Car le but de ce système est devenu, avec le temps, l’évaluation des chercheurs. Le facteur d’impact d’un journal faisant presque office de note. Bien sûr, l’évaluation a pour but d’implémenter les récompenses (postes, grants…). Publier devient de moins en moins un « don à l’humanité » et de plus en plus un moyen de reconnaissance par l’institution pour obtenir en retour des récompenses. Ceci introduit un biais qui est, selon nous, néfaste à la science. Car pour maximiser l’acceptation des articles, les chercheurs sont obligés d’intégrer a priori dans leurs articles, les exigences supposées des reviewers. Cet ajustement correspond souvent à une manière plus ou moins consciente d’arrondir les angles c'est-à-dire de gommer les aspérités. Eviter de donner les détails qui vont attirer les reviewers là où on préfère qu’ils ne mettent pas leur nez. Eviter de donner le bâton pour se faire battre. La plupart des scientifiques devraient voir de quoi nous parlons. Or justement, ces aspérités sont cruciales pour ceux qui seront chargé des reproduire les résultats. Le fait de les gommer complique leur tache et est donc sous-optimal pour la production scientifique. SPOPS, en supprimant la revue a priori, supprime ce type de biais cognitif car SPOPS se veut l’ami des aspérités et ne veut surtout pas qu’elles soient gommées.

Ainsi le système actuel considère, plus ou moins consciemment, que la production scientifique mondiale est directement dépendante de l’existence d’un système qui établit la gaussienne des niveaux. Un système qui classe les bons et les mauvais. Selon le système actuel, ne plus chercher à « classer » les chercheurs, c’est prendre le risque inconsidéré qu’ils ne cherchent plus. Avec cette manière de voir, le classement et donc la volonté de se situer « à droite de la Gaussienne » représenterait le fondement de l’agir des scientifiques d’où la nécessité de ne surtout pas y toucher. Pourquoi cette idée que la dérivée du progrès scientifique est directement dépendante du maintien d’un classement est-elle si ancré dans l’inconscient des scientifiques ? Parce qu’ils ont baigné, jusqu’à l’obtention de leur doctorat, dans un système scolaire qui classe et parce qu’ils ont aimé être classé, le plus souvent, à droite de la gaussienne. Ils ont donc d’immenses difficultés à concevoir l’idée que la production scientifique, la dérivée du progrès repose plus sur la curiosité et l’interrogation que sur la mise en place d’une compétition. On voit donc ici l’émergence de la politique dans le fonctionnement scientifique : l’idée très profondément ancrée que l’esprit « compétitif » avant l’esprit « interrogatif » est responsable de la dérivée du progrès.

Cette évaluation, cette compétition, qui est présente aujourd’hui dans l’acte de publier, revêt une certaine part de violence. Violence que l’on peut par exemple mettre en exergue en considérant l’anonymat octroyé aux reviewers. Pourquoi le système préfère-t-il rendre les reviewers anonymes ?

L’anonymat des reviewers est considéré comme une nécessité permettant aux reviewers d’être plus « objectifs », de pouvoir formuler librement un avis sans avoir à évaluer les risques pour leur carrière. Autrement dit, on rend le « reviewer » anonyme pour qu’il puisse librement se montrer « violent » dans ses critiques c’est à dire sans qu’il y ait de risques que l’auteur « violenté » se venge. Là où le système actuel justifie l’anonymat par le gain « d’objectivité », SPOPS condamne l’anonymat par la violence qu’il rend possible.

Sans l’anonymat, c'est-à-dire dans la vie de tous les jours, les chercheurs « critiquant » sont plus « tendre » : ils introduisent du doute dans leur jugement via des « il me semble », des « selon moi », des « de mon point de vue ». Avec l’anonymat, toutes ces phrases qui symbolisent « le doute » disparaissent. Le reviewer devient prétentieux (au sens de prétention à la vérité) : il « sait » alors qu’avant il « lui semblait». On passe de l’interrogation à l’affirmation ce qui, selon nous, est néfaste. Edgar Morin dit que « la science se définit non pas par la certitude mais au contraire peut-être par l’incertitude ». SPOPS considère donc que le doute et l’interrogation sont cruciaux, ils signalent une bonne démarche scientifique et philosophique. C’est une démarche plus pacifiste que celle qui consiste à imposer son opinion, par la violence et de manière anonyme. Ainsi SPOPS encourage ses reviewers à assumer ce qu’ils écrivent en leur nom propre bien qu’ils conservent la possibilité d’utiliser un pseudonyme. Enfin SPOPS suggère aux reviewers de formuler leur critique à l’interrogative de manière à inclure la réflexivité sur eux-mêmes ce qui gomme toute violence.

Pour synthétiser, SPOPS ne croit pas que le système « peer-review » soit le moins pire des systèmes et pense qu’il s’agit d’un système violent bourré de présupposés politiques plutôt qu’épistémologiques. A l’inverse, SPOPS se considère comme un système de publication non violent, précisant ostensiblement ses références épistémologiques, et replaçant l’interrogation au cœur même de ses fondements. En cela SPOPS se revendique de Socrate et en particulier de sa méthode dialectique : la discussion, l’écoute, l’interrogation, le fait de convaincre et d’accepter de se laisser convaincre, la volonté de construction commune sont au cœur du système que SPOPS propose à ses auteurs et à ses lecteurs.

« Pourquoi devrions-nous-vous croire ? »

Ne nous croyez pas sur parole. Une information est d’autant plus sûre qu’elle est corroborée par plusieurs sources d’information indépendantes. Vérifier nos sources. Vérifiez également que nous les ayons bien compris. Utilisez Wikipedia, achetez des ouvrages, lisez des publications, surfez sur internet : faites-vous votre propre idée. Et soyez-sûr que cette dernière ne sera pas identique à la notre. Il y aura forcement des divergences, petites ou grandes.

Nous vous proposons une base épistémologique mais elle n’est pas gravée dans le marbre : elle ne reflète que nos connaissances limitées, notre point de vue forcement subjectif. Ainsi à l’exception du principe fondamental « publication libre, ouverte et gratuite à l’ensemble des lecteurs et des auteurs », tout le reste, y compris la base épistémologique que nous proposons comme point de départ, est modulable, modifiable. Nous comptons sur vous pour nous indiquer ce que nous avons oublié, ce que nous devrions améliorer, le changement de perspective que nous devrions opérer. Car SPOPS est comme une éponge à information : elle accepte tout.

Comme vous pourriez le constater en vous dirigeant à la fin de ce texte et en remarquant le champ commentaire, SPOPS accepte tout, y compris les critiques. Critiquez, vous ne serez pas censuré. Le système classique « peer-reviewed » peut-il en dire autant ? Pouvons-nous aisément, nous qui sommes « inconnus », publier ce texte tel quel, dans un journal « peer-reviewed » ? Il nous semble peu probable qu’un éditeur accepte de jouer le jeu d’une part et que les rapporteurs ne nous impose pas des modifications d’autres parts. Ainsi, nous pensons que la possibilité de critiquer facilement le système de publication est asymétrique : elle est réelle et effective dans SPOPS alors qu’elle est beaucoup plus contraignante et difficile dans le système classique.

Pour synthétiser, les arguments que nous avançons sont vérifiables, ils sont améliorables et ils sont critiquables. SPOPS est un donc environnement beaucoup plus libre et modulaire que le système classique.

« Vous n’êtes même pas des épistémologues reconnus… »

Le système classique n’ouvre pas facilement les portes aux auteurs qui ne bénéficient pas d’une affiliation académique. Cette affiliation n’est jamais obligatoire en soi. Cependant elle est fortement recommandée pour des raisons de crédibilité. Pour une idée, une découverte, un résultat identique, il nous semble que Monsieur tout le monde a une probabilité de publication inferieure à un professeur de Harvard. La raison est simple : les rapporteurs s’attendent à identifier un certain nombre de codes « aristocratiques » au sens grec ( aristos : les meilleurs) qui marque l’appartenance à la communauté scientifique (citation des pairs, style écrit « académique », affiliation ostensible en haut de l’article). L’absence de ces codes est déroutante pour le rapporteur qui aura une tendance statistique, plus ou moins consciente, à rejeter/censurer l’article. Dans SPOPS, que vous soyez un académicien ou un civil sans affiliation particulière ne fait aucune différence. Nous prenons les idées, les résultats pour ce qu’ils sont sans se soucier de qui les écrit et pourquoi. SPOPS est centré sur l’information pas sur l’affiliation. Et ce schéma nous est également applicable car il est vrai que nous ne sommes pas des épistémologues reconnus.

Nous pensons qu’une des dérives du système classique est de privilégier les hyper-spécialistes au détriment des généralistes. Edgar Morin nous fait remarquer, non sans humour, que :

« On arrive à une clôture interdisciplinaire, hyper disciplinaire, ou chacun évidemment est propriétaire d’un maigre territoire et compense son incapacité à réfléchir sur les territoires des autres par l’interdiction rigoureuse faite à autrui de pénétrer sur le sien. Vous savez que les éthologistes ont reconnu cet instinct de propriété territoriale chez les animaux. Dés qu’on entre sur leur territoire : les oiseaux s’égosillent, les chiens aboient, etc… Ce comportement a beaucoup diminué dans l’espèce humaine, sauf chez les universitaires et les scientifiques. »

Aujourd’hui, l’essentiel des scientifiques dans le monde est composé d’ultra-spécialistes. Les scientifiques qui choisissent le chemin inverse et élargissent leurs connaissances à d’autres domaines, bénéficient alors de la possibilité de créer des ponts et d’ouvrir de nouvelles perspectives. Or acquérir des compétences transversales est au moins aussi utile et difficile qu’acquérir des compétences ultra spécialisées. Pourtant ce type de scientifique devient rare car ils rencontrent des difficultés pour publier : les hyper-spécialistes leur opposent sans cesse leur absence d’exhaustivité. Les jeunes (thésards et post-doc) sont encouragées à s’hyperspécialiser pour publier facilement et rapidement. Ils ne voient pas l’intérêt d’élargir leur vues à d’autres domaines car ils savent que de toute manière ils ne pourront pas publier aussi facilement et ne seront donc pas reconnus pour ce travail difficile.

SPOPS est l’ami des scientifiques et des philosophes qui osent franchir les barrières interdisciplinaires. Comme SPOPS accepte tout, les auteurs ne courent pas le risque de se voir opposer un manque d’exhaustivité. C’est encore ici une différence fondamentale avec le système classique: il suffit de remarquer que la plupart des journaux scientifiques se définissent par un nom / une thématique particulière comme par exemple « journal of molecular biology » excluant de fait, tout approche transversale. Les éditeurs de SPOPS pensent d’ailleurs que les barrières disciplinaires vont s’éroder au cours du 21ème siècle et l’ensemble des disciplines vont petit à petit converger vers la compréhension des systèmes complexes.

Ainsi SPOPS accepte toute les approches -- « hyperspécialisées » et « transversales » -- et tous les auteurs -- « reconnus » et « inconnus » -- . Il n’y a pas un type d’approches qui est favorisé et tout le monde est bienvenu et est placé sur un plan d’égalité. Cette démarche égalitariste nous semble la plus saine. Mais si SPOPS est égalitariste pour les approches et les personnes, il ne l’est pas pour les idées. Inexorablement, certaines idées/résultats se dupliqueront, se propageront (seront citées, réutilisées…) d’autres non.

« Vos idées sont bonnes mais vous n’avez aucune chance de réussir… »

Nous proposons une révolution paradigmatique au sens de Thomas Kuhn : nous souhaitons refonder un système de publication plus libre et plus ouvert. Nous nous attendons à rencontrer des résistances et ces résistances sont normales. Elles proviendront de « ceux qu’une carrière féconde avait profondément engagés dans l’ancien paradigme » et qui gardent « la certitude que leur paradigme finira par résoudre tous les problèmes ». Dit autrement, ces résistances proviendront de ceux qui n’ont pas intérêt à changer de système car ce dernier leur est favorable ou de ceux qui pensent qu’un système de publication qui filtre est indispensable. Ceux, en revanche, qui croient en nos idées devraient, à notre sens, rejoindre SPOPS pour qu’il y ait adéquation entre leurs pensées et leurs actes. Les révolutions scientifique/paradigmatiques (comme toute révolution d’ailleurs) nécessitent des acteurs capables de prendre ouvertement position pour défendre les idées auxquels ils croient y compris s’il ne s’agit pas des idées dominantes. La propagation d’une idée dépend crucialement de la présence d’hommes libres capables de se laisser convaincre, puis d’agir en conséquence.

Ainsi, Il est vrai que notre initiative est une initiative un peu folle avec une probabilité infime de réussite étant donner le monstre qu’elle tente de renverser. Oui, il est vrai que nous sommes comme Don Quichotte face aux moulins. Pourtant Wikipedia était aussi une initiative folle. Qui aurait parié sur sa réussite il y a 15 ans ? Qui aurait parié sur une encyclopédie que tout le monde peut modifier, qui est gratuite pour les auteurs, pour les lecteurs et sans publicité tout en restant viable économiquement ? Qui ?

Ainsi, même si nous ne sommes pas sûrs de réussir, nous voulons rester optimistes. Il va falloir convaincre et nous sommes pour l’instant peu nombreux. La capacité à générer une communauté active est sans doute le point clé qui déterminera la réussite ou l’échec de SPOPS. Pourtant, même si l’implémentation « pratique » de SPOPS échoue, cela ne signera pas forcement son échec théorique: car nous l’avons dit et redit : SPOPS est avant tout un « meme »6 , une idée qui se propage. L’idée qu’il nous faut refonder notre système de publication scientifique en intégrant les découvertes en épistémologie du 20ème siècle et en prenant exemple sur les belles réussites de l’internet du 21ème siècle (Wikipedia, Google). Nous ne connaissons pas la vitesse de propagation de ce « meme » mais nous jugeons sa propagation inéluctable. Et cette vitesse de propagation dépend de vous, cher lecteur.

« Je suis lecteur et je veux une source d’information fiable… »

Le système classique « peer-reviewed » est un système qui feint de protéger le lecteur en lui garantissant un contenu filtré et donc « excellent ». L’estampillage « peer-review» laisse entendre que le lecteur peut lire l’article en laissant de coté son esprit critique. Pourtant en pratique, on trouve de nombreux articles « peer-reviewed » qui sont :

On voit donc que les filtres jugés si indispensables ne sont pas si efficaces que cela.

Dans SPOPS, nous ne voulons pas surprotéger le lecteur ni lui laisser entendre que chez nous, il ne trouvera que du « vrai ». D’une part, SPOPS souhaite « apprendre » au lecteur à nager dans un océan d’information pour qu’il trouve celle qui l’intéresse. D’autre part, SPOPS veut responsabiliser le lecteur pour qu’il se charge lui-même d’évaluer la fiabilité d’une information.

SPOPS indique aux lecteurs les paramètres qui permettent de donner crédits à une information : le nombre de citation, le nombre de « j’aime », la lecture des commentaires déposées, la reproduction d’un résultat donné par une équipe indépendante, le nombre de téléchargement/lecteurs etc... Si SPOPS arrive à constituer une base d’articles importantes, il deviendra alors possible de filtrer, non pas l’information publiée, mais l’information sur lequel on désire surfer : par exemple, le lecteur peut lancer une requête de type : « je veux lire tous les articles de biologie moléculaire qui ont été cité plus de 10 fois et qui possèdent des commentaires ». Le filtre intervient a posteriori. Ce n’est pas un filtre qui limite et censure la publication des articles, c'est-à-dire le nombre absolu de bit : non c’est un algorithme qui traite, filtre une information accessible et limite les réponses en fonction des paramètres que le lecteur a choisi. Ainsi, le lecteur décide, seul, quelles sont les paramètres qui donnent, selon lui, crédit aux publications. Il n’est plus pris pour un enfant qu’on surprotège des attaques supposées des pseudosciences. C’est un lecteur averti qui sait que dans la société du 21ème siècle, il doit apprendre à danser sur le réseau de l’information et garder une part de doute vis-à-vis de l’information qu’il rencontre. Nous ne sommes plus dans le siècle où l’instituteur, le prêtre et le médecin était ceux qui « savaient » et qui « communiquaient » l’information à ceux qui écoutaient. Aujourd’hui, l’information doit pouvoir être recherchée et créée par chacun. Et chacun doit être responsable, pour lui-même, du crédit qu’il accorde à une information donnée. Pour arriver à cet objectif, nous devons former nos écoliers et c’est comme cela que nous en ferons des hommes libres. Pas en leur demandant de faire une confiance aveugle à une information qui avec le temps, montre souvent des signes de faiblesse (Certaine idées de Freud, le positivisme, le soleil tourne autour de la terre etc…).

Avec le système actuel, le nombre de citations est un paramètre biaisé. Les articles publiés dans des journaux scientifiques très populaires comme Science ou Nature bénéficient de la renommée et donc de l’impact de ces journaux ce qui peut gonfler artefactuellement leur nombre de citations. Ce nombre reflète alors la forte « exposition » de l’article plutôt que sa qualité intrinsèque. Pas de biais de ce type dans SPOPS car tous les articles sont acceptés sur un même pied d’égalité. Les articles qui se démarqueront nettement sont des articles qui ont réellement influencé, orienté la communauté scientifique. Dans SPOPS, les lecteurs ne pourront pas, comme dans Science ou Nature, lire chaque semaine, chaque mois, les nouveaux articles jugés subjectivement « excellents » par les éditeurs de ces revues. En revanche, si la base d’articles devient conséquente, les lecteurs pourraient lire chaque semaine, chaque mois, les articles qui se démarquent (en nombre absolu de citation ou de « j’aime ») nettement de la masse d’articles insignifiants. Cette démarcation, cette mise en exergue est nettement moins biaisée car elle n’est plus liée à un choix éditorial mais à la préférence effective des lecteurs devenus acteurs car issus de la société du 21ème siècle : celle du WEB 2.0.

Il est à noter qu’un article qui se démarque dans SPOPS n’est pas forcement un article qui représente une découverte incroyable. Un article qui présente des idées clairement ou propose une synthèse ou une mise en perspective particulièrement bien construite pourrait être plébiscité par les lecteurs et cela est une bonne chose. De même, la présentation d’un concept qui, en soi, est un peu dépassé pour une communauté X, mais particulièrement bien expliqué et donc attirant les lecteurs d’une communauté Y, est quelque chose de tout à fait acceptable car cela peut représenter un tremplin qui mènera les lecteurs de la communauté Y à la découverte des concepts de la communauté X, élargissant ainsi leur vue. Par exemple, la notion de paradigme proposée par Kuhn est un peu dépassée aujourd’hui pour les philosophes des sciences qui ont développés des concepts à la fois plus complexes et plus explicatifs du fonctionnement des sciences. Pourtant, le concept de paradigme continue d’être très « orientant », très « parlant » pour les scientifiques et ce concept représentent donc toujours un excellent tremplin permettant aux scientifiques de faire un saut en philosophie des sciences.

« L’orientant » c'est-à-dire ce qui oriente effectivement les personnes n’est pas forcement le nouveau, l’original ou l’hyperspécialisée. Dans SPOPS, ce qui se démarque, « l’orientant » est multiple (clarté, reproductibilité, nouveauté, précision, sensationnel, didactique…). Ce qui plait, ce qui attire, ce qui se propage, ce qui se démarque et donc ce qui créera les modes ou paradigmes de demain, n’est pas le fruit de choix éditoriaux mais la conséquence des actions et prises de position de lecteurs avertis.

Et que dire de l’insignifiant. L’insignifiant n’est et ne sera jamais dénigré, méprisé par SPOPS. L’insignifiant est la raison pour laquelle le signifiant existe. Il est indispensable pour accroitre la granularité de l’information. De plus, ce n’est pas parce qu’un texte n’est pas lu, n’est pas cité, n’est pas « aimé » qu’il est mauvais. Les idées peuvent être excellentes mais trop difficiles d’accès. Leur propagation aura donc un démarrage beaucoup plus lent, le temps que le « bon » lecteur, c'est-à-dire celui à qui se destinait l’information, celui capable de la comprendre, tombe dessus et déclenche enfin le processus de propagation du « meme ».

Enfin, les articles qui sont cités des centaines de fois pour des erreurs qu’ils contiennent pourraient être jugés « injustement mis en valeur ». Ce n’est pas notre avis. Tous les jours nous lisons des textes imparfaits, des points de vue avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, des résultats que nous jugeons non reproductibles : nous mettons tous cela dans le sac de l’insignifiant qui, ainsi, le reste [insignifiant]. Qui citerait un article pour mettre en exergue une faute d’orthographe ? Ceux qui prennent la peine et le temps de citer un article pour une erreur qu’ils ont relevée considèrent que cette erreur n’était peut-être pas si évidente que cela sinon pourquoi prendraient-ils le temps de la citer ? Les erreurs font intrinsèquement parties de l’algorithme à la base du progrès scientifique. Tout comme l’insignifiant, elles ne sont pas à craindre car elles sont indispensables.

« La science est quelque chose de sérieux… »

Quand Galilée décrit les mouvements de ses boules le long de son plan incliné, il a bien conscience de décrire « comment » les choses se passent et non « pourquoi ». Cette distinction entre « comment » et « pourquoi » est fondamentale car aucun scientifique ne peut vraiment expliquer le « pourquoi » d’une loi donnée, par exemple pourquoi E=1/2 mv2. En effet, le « pourquoi » renvoie vers les notions de cause (déterminisme) ou de finalité (téléologie) et cette question renvoie donc plutôt à la métaphysique.

De même, nous ne pouvons pas prouver que nous ne vivons pas dans une sorte de grande matrice, un grand jeu vidéo tridimensionnel dans lequel les murs que nous touchons et les personnes que nous rencontrons ne seraient pas réellement constitué d’atomes mais plutôt de bits. Dans le même ordre d’idées, comment prouver que nos expériences quotidiennes ne sont par la résultante d’un cerveau placé dans un cuve et connecté à des électrodes qui enverraient des signaux responsables de ce que nous pensons, voyons etc… ? Hillary Putnam a bien montré que cela est impossible.

Enfin nous avons vu qu’en l’état actuel de la connaissance, nous ne sommes pas en mesure de prouver l’existence d’une asymétrie entre deux énoncés. Et nous ne sommes pas non plus en mesure de prouver que cette asymétrie n’existe pas.

A partir de là, toute critique contient une part de relativité dans sa prétention à la vérité. Beaucoup trop de scientifiques perdent leur sang-froid et s’étripent pour démontrer qu’ils ont raison, qu’ils détiennent la vérité ce qui, au final, ressemble plutôt à une attitude irrationnelle dont les fondements sont la volonté d’avoir raison sur l’autre. Comme nous le propose Isabelle Stengers, l’attitude la plus pragmatique lorsque nous avons un désaccord sur le plan épistémologique est le rire. Pas un rire ironique qui sous-entendrait « vous croyez savoir mais au fond vous ne savez rien » mais bien un rire partagé, basé sur l’humour, qui dépasse les désaccords pour arriver à un accord ultime : le partie d’en rire. La quantité de « sérieux » que nous devrions accorder à l’existence d’une controverse en épistémologie ou en science devrait être systématiquement limitée par un rire final et partagé par tous les protagonistes de la dite controverse.

Ce parti pris « d’en rire » nous semble en revanche moins adaptée sur le plan politique où la science doit rester quelque chose de sérieux car des vies sont en jeux. Quand on construit un pont et que l’on calcule sa résistance, ce n’est pas le moment de rire. Quand on teste la fiabilité d’un médicament susceptible de sauver des vies, ce n’est pas le moment de rire. Nous en avons parfaitement conscience et nous considérons que SPOPS se base sur des fondements plus pragmatiques que ceux du système classique. L’idée de SPOPS consiste à simplifier à l’extrême le processus de publication pour éviter de faire perdre leur temps aux chercheurs. Le gain de temps obtenu peut être immédiatement réinvesti dans la recherche. SPOPS aide les scientifiques à faire ce qu’ils aiment : de la science. Or le système classique, où les scientifiques se battent parfois des années pour faire accepter leur publication, est devenu « Kafkaïen ». La perte de temps, d’énergie et de moral que cela occasionne engendre un déficit de productivité scientifique plus fort, selon nous, que le gain de qualité supposée permise par le « peer-review ».

L’autre idée très pragmatique de SPOPS consiste à systématiquement rendre possible l’existence d’un débat contradictoire. En effet, les publications ne sont jamais censurées et les critiques sont toujours permises. Popper écrit que « l’objectivité des énoncés scientifiques réside dans le fait qu’ils puissent être inter-subjectivement soumis à des tests » . Et Edgar Morin de souligner :

«L’objectivité se fonde sur la mobilisation ininterrompue de l’esprit humain, de ses puissances constructives, de ferments socioculturels et de ferments historiques […] si l’on veut chercher quelque chose de crucial, c’est la libre communication ; c’est la critique intersubjective qui est le point crucial et nodal de l’idée d’objectivité »

Cette possibilité de « débat contradictoire » qu’offre systématiquement SPOPS quelque soit l’idée proposée, représente donc une avancé nette par rapport à l’archaïsme et les prétentions du système de censure actuel. Sur le plan politique, SPOPS pense donc être un système plus pragmatique, plus performant, plus robuste et plus sérieux : une sorte de version 2.0 du système actuel qui, de notre point de vue, a fait son temps et doit donc être modifié.

Sur le plan politique, il y a également quelque chose qui ne nous a pas fait rire. Nous voulons parler de la mort d’Aaron Swartz. Ce jeune hacker américain, engagé dans de multiples causes justes, a téléchargé illégalement des milliers d’articles académiques puis les a mis à disposition gratuitement sur internet. Il a été inculpé pour cet acte et il risquait 35 ans de prison et 1 million dollar d’amende. Il s’est finalement pendu au bout de deux ans de procédure. Nous pensons que la communauté scientifique a une part de responsabilité dans la mort d’Aaron Schwartz. Responsabilité que nous assumons donc en tant que membre de cette communauté. Si cette dernière ne vendait pas pour une bouchée de pain, le fruit d’un travail acharné à quelques éditeurs, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Car les scientifiques ressentent, pour la plupart, le caractère de « bien public » de la connaissance scientifique. Que nous fassions appel à des prestataires privés pour imprimer un article, maintenir un site Web ou contacter un rapporteur c'est-à-dire une gestion limitée a de l’administratif et de la logistique, nous ne voyons aucun inconvénient à cela. Que ces prestataires extérieurs contrôlent la connaissance scientifique et son accès aux lecteurs, qu’ils dictent leurs règles et mettent leur nez dans la manière dont le scientifique veulent ou non être évalués, est une très mauvaise idée. Les intérêts économiques ne sont pas un problème à condition qu’ils soient correctement découplés du fonctionnement interne de la communauté scientifique : c’est la condition pour que cette dernière garde son indépendance. De notre point de vue, la communauté scientifique n’aurait jamais dû accepter de perdre le contrôle de la connaissance scientifique qui est sa principale force et son seul contre-pouvoir. Il ne s’agit pas ici de défendre un point de vue « scientiste » : Il s’agit de conserver notre prérogative sur la connaissance scientifique afin de pouvoir la mettre à disposition gratuitement à l’ensemble de l’humanité. Aaron Schwartz est mort pour avoir voulu nous rappeler cette évidence mais malheureusement, nous ne l’avons pas entendu. SPOPS est né le 11 janvier 2013, jour de sa mort, afin de lui rendre hommage.

Notes de bas de page

  1. Ce paragraphe est retranscrit, en substance, de l’ouvrage de Jean-Louis le Moigne « les épistémologies constructivistes ».
  2. Ce paragraphe est retranscrit, en substance, de l’ouvrage de Paul Feyerabend « Contre la méthode ».
  3. Nietzsche, Le gai savoir
  4. Phrase adaptée depuis une citation de Jean-Noël Lafargue.
  5. RTFM :Read This F…. Manuscript
  6. Concept introduit par Richard Dawkins dans son ouvrage « Le gène égoïste ».