Remise de Choix Ultime (RCU)

J’assume la position politique suivante 1 :

La République Française devrait rendre le choix ultime de mettre fin à ses jours à un patient demandeur et déterminé, atteint d’une maladie mortelle à court terme, incurable et insupportable.

Le texte est écrit en considérant l’exemple d’un patient atteint d’un cancer en phase terminale mais il ne se limite pas à ce cas précis. Je propose les repères suivants :

Remise de choix ultime : Cette formulation sera largement expliquée et discutée dans la suite de mon propos. Elle vise à remplacer la formulation « suicide assisté ».

Patient demandeur et déterminé : Il s’agit d’un patient qui demande à ce qu’on lui rende son choix ultime. Il doit être déterminé et sa demande ne doit pas être la conséquence de pressions exercées par ses proches ou par l’équipe soignante.

Maladie mortelle : Au regard des connaissances scientifiques et médicales disponibles, une équipe composée d’au moins deux médecins, estime que la pathologie qui touche le patient va certainement le faire mourir.

A court terme : Au regard des connaissances scientifiques et médicales disponibles, une équipe composée d’au moins deux médecins, estime que le patient va probablement mourir dans moins d’un trimestre, potentiellement dans moins d’un mois.

Incurable : Au regard des connaissances scientifiques et médicales disponibles, une équipe composée d’au moins deux médecins, estime que la pathologie du patient ne peut pas être guérie.

Ceci n’est pas redondant avec le caractère mortel de la pathologie. Une maladie peut être mortelle mais curable (par exemple une pneumonie très grave) ou alors non mortelle mais incurable (par exemple un mal de dos non guérissable).

Insupportable : Une équipe composée d’au moins deux soignants (médecin, infirmier ou interne) affirme avoir entendu le patient se plaindre, pendant au moins 1 semaine, de souffrances psychologiques et/ou physiques non soulagées malgré les efforts des médecins et ce, de manière répétée, constante et sans ambiguïté.

Situation actuelle

En France, l’euthanasie est interdite et le suicide assisté aussi. Cela signifie que 100 % des patients gravement malades doivent mourir de manière passive, naturelle. Néanmoins, la législation indique qu’il est possible pour le médecin, dans l’objectif de soulager les douleurs de son patient, d’utiliser des médicaments et des dosages qui pourraient avoir pour effet mécanique d’accélérer ou de précipiter la mort du patient. En d’autres termes, priorité est donnée au fait de soulager correctement le patient et non de s’acharner à le maintenir en vie le plus longtemps possible.

Je suis opposé à l’euthanasie : je crois que la société ne doit pas confier au médecin, la responsabilité de donner la mort à un patient malade, même si ce dernier est consentant. La mission des médecins -- guérir ou à défaut, soigner et soulager -- est déjà suffisamment lourde. Néanmoins, je crois qu’il nous faut aujourd’hui repenser ce cadre législatif pour offrir, non pas plus de latitude aux médecins, mais plus de latitude aux patients.

Dans la législation actuelle, les médecins mettent en place des moyens pour soulager efficacement les souffrances physiques et psychologiques de leurs patients en fin de vie, sans néanmoins donner la mort activement. Je qualifierai cette approche de « passive ». Dans la grande majorité des cas, je pense que cette approche est la bonne. Je ne vais donc pas la critiquer. Néanmoins, dans un nombre restreint de cas, le côté « stricte » de l’approche passive pose problème. En effet, certains patients, placés dans des situations insupportables, vont subir un cauchemar jusqu’au tout dernier moment de leur existence, sans possibilité d’en sortir. Il me semble qu’une dose « d’active » devrait être introduite dans la législation pour prendre en compte correctement la situation de ces hommes et de ces femmes.

Un des freins qui bloque l’introduction d’une dose « d’active » dans la législation française est l’idée que les médecins disposent de moyens pour soulager efficacement les souffrances physiques et psychologiques de leurs patients en fin de vie (1) et qu’une fois ces souffrances prises en charge, on observe souvent, chez les patients qui demandaient la mort, un regain d’intérêt pour la vie (2). La préférence va donc au développement des soins palliatifs plutôt qu’à l’introduction d’une dose d’active dans la législation. Or il me semble que ces deux approches ne sont pas antagonistes et pourraient donc être menées en parallèle.

En effet, s’il existe aujourd’hui des moyens de soulager efficacement les souffrances grâce au développement des soins palliatifs ces 50 dernières années, il ne peut y avoir d’engagement possible sur le résultat, ni de la part du médecin ni de la part de la société. Je donnerai trois arguments pour tenter de montrer qu’on peut trouver de la souffrance, lorsqu’on est très malade, en France, en 2017. Mes critiques ne porteront jamais sur la compétence des médecins ou des soignants. Au contraire, dans chacun des trois arguments que je vais développer, je considère que la compétence, les moyens, l’humanité et la bonne volonté de tous est là. Tout est là sauf une chose : le résultat (entendu ici comme l’absence de souffrance) car comme toujours, le diable est dans les détails.

Argument 1 : Sur le territoire national, quel est le nombre d’agonies qui se produisent chaque année sans sédation ?

En maison de retraite, je soupçonne sans l’affirmer qu’un grand nombre d’agonies se produisent sans que la personne âgée n’ait été préalablement sédatée, endormie. Techniquement, je veux dire par là qu’elle n’a pas pu bénéficier d’Hypnovel, un médicament hypnotique, afin de réduire ses angoisses pour qu’elle ne se voit pas agoniser.

Il me semble que la raison n’est pas liée à un manque de compétence ou de formation des soignants mais plutôt liée à des raisons systémiques et symboliques. Systémique car une maison de retraite est avant tout un lieu de vie avant d’être un lieu de soin médicalisé. Il n’est pas possible ni forcément souhaitable qu’une maison de retraite ressemble à une unité d’oncologie spécialisée en soins palliatifs. Symbolique car la fin de vie d’une personne âgée de 90 ans semble moins grave, disons moins injuste que celle d’un « jeune » de 68 ans. A ces âges très avancés, faiblesse physique et parfois mentale ont déjà bien entamées le muscle de l’affirmation de « soi ». La personne très âgée éprouvera donc plus des difficultés à exprimer ses angoisses, ses besoins et donc à être entendue par ses proches et l’équipe soignante. On parle de « mourir de vieillesse » ou de « mourir de sa belle mort » et chacun constate la chance qu’a eu la personne âgée de jouir de la vie jusqu’à un âge si avancé. Or je soupçonne que cette symbolique plutôt positive biaise notre jugement et nous fasse passer à côté d’éventuelles souffrances telles que de fortes angoisses ressenties dans les derniers moments. Le « nous » ici signifie « nous-la société des bien-portants » et non pas les soignants.

Argument 2 : peut-on réellement évaluer objectivement tous les types de souffrance ?

Imaginons un patient qui rentre doucement dans l’agonie, dans un service d’oncologie spécialisé en soins palliatifs. Conformément au protocole, le patient est placé sous Hypnovel (pour être sédaté) et sous morphine (pour les douleurs physiques). Le samedi à 11h, tout semble aller pour le mieux. Mais à 14h, une fois que l’interne est parti et il ne reviendra que le lundi matin, un des membres de la famille trouve qu’« il y a quelque chose qui ne va pas ». Le patient a les yeux ouverts, le visage crispé et semble communiquer en serrant la main de son proche. D’autre part, dès qu’on le bouscule un peu, tout son corps se contracte. Néanmoins, le patient n’est pas vraiment conscient, il ne crie pas, ne se plaint pas oralement de douleurs. Le proche décide donc d’appeler une infirmière qui examine alors le patient. Mais peut-être que les signes que le proche a vus, ne se reproduiront pas exactement de la même manière, seront moins convaincants ? De la perspective de l’infirmière, le patient est inconscient et ne semble pas souffrir. Elle est réticente à déranger le médecin de garde (nous sommes le week-end) et tente de rassurer le proche comme elle peut sur le fait que le malade ne souffre pas. Celui-ci se laisse convaincre : il ne veut pas être désagréable ni se mettre à dos l’équipe soignante même s’il sent, pourtant, que « quelque chose ne va pas ». Le lundi matin, l’interne est de retour, le proche lui montre à nouveau ce qu’il interprète comme du « mal-être » (visage crispé, semi-conscience, mouvement brutal dès que le malade est touché) : l’interne en convient et augmente significativement les doses d’Hypnovel et de morphine. Le proche constate quelques heures après, que son malade lui semble alors maintenant plus « apaisé ». Nous sommes le lundi et il est 14h. Pendant au moins 48h, « quelque chose n’allait pas ».

Or personne ne peut prétendre disposer du mot juste pour définir ce quelque chose « qui n’allait pas ». Chacun y voit ce qu’il peut y voir : le patient a-t-il, pendant ces 48 heures, expérimenté de la gêne, de l’inconfort, de la douleur, de l’angoisse, un calvaire, un cauchemar ? On nage ici en plein invérifiable et quel que soit le mot employé, il ne s’agit que d’une supposition.

Ma conclusion est donc que, même dans un service spécialisé en soins palliatifs, il peut exister un certain nombre de périodes temporelles où un malade agonisant expérimente un mal-être que personne ne peut vraiment quantifier objectivement en termes d’horreur.

Argument 3 : peut-on affirmer qu’un patient atteint d’une maladie chronique mortelle ne souffrira pas ?

Imaginons un patient très malade se plaignant de douleurs. Le médecin va lui prescrire de la morphine pour le soulager. Chacun comprend que derrière ce mot « soulager » se dissimule à la fois la compétence du médecin et son échec à garantir l’absence de souffrance. En effet, le médecin a dû prescrire de la morphine ou en augmenter les doses suite aux plaintes du patient. Cet acte intervient donc a posteriori d’une douleur qui a préalablement existé. Mon argument fonctionne par l’absurde et il ne viendra donc à l’idée de personne de le réfuter. Néanmoins, il induit une conséquence simple : aucun médecin ne peut garantir qu’un patient atteint du cancer ne souffrira pas. Au contraire, un médecin peut affirmer sans risque de se tromper qu’un patient atteint du cancer souffrira.

Je ne veux pas dire par là que le patient souffrira « une fois » avant que sa douleur ne soit prise en charge. Au contraire, durant la guerre qu’il va livrer contre son cancer, le patient va légitimement se plaindre des centaines voire des milliers de fois d’expériences douloureuses qui le font basculer dans le mal-être. Ce peut être, entre-autre, des plaintes sur :

Des plaintes, des souffrances de ce type, de nombreux malades en expérimenteront effectivement chaque jour de dizaines. On voit donc ici la limitation intrinsèque d’une phrase théorique comme « la médecine a les moyens de soulager efficacement vos souffrances physiques et psychologiques » qui, face au principe de réalité, ne fait pas suffisamment le poids.

Ainsi donc, je crois que la médecine ne peut que s’engager à minimiser autant que possible les souffrances des malades. Or une minimisation ne signifie pas que les souffrances endurées sont minimes mais qu’elles ont été minimisées : elles sont par exemple passées de très très sévères à très sévères, ou de sévères à tolérables. Cette échelle est subjective et dépend de chaque patient.

A mon sens, ce n’est qu’une fois qu’aura été reconnue, dans l’hémicycle, la différence entre les mots « minimisation » et « minime » d’une part et le caractère subjectif de toute souffrance d’autre part, que la voie sera ouverte à une modification de la législation pour y introduire une dose d’active.

Cette dose d’active ne doit pas être confiée au médecin (euthanasie) ni être pensée comme de l’assistance au suicide. Elle doit s’arrêter « net », en terme politique, à la remise d’un choix au patient. Le choix de mettre un terme à ses souffrances. La suite, le fait que le patient décide ou non de se donner la mort, doit politiquement être considérée comme relevant de la sphère privée.

Un canevas possible

Un premier palier

On imagine un patient de 65 ans, atteint d’un cancer des poumons depuis 15 mois. Au regard des derniers résultats d’imagerie (nombreuses métastases) et d’une dégradation visible de son état général, une équipe médicale interdisciplinaire (par exemple le médecin généraliste, l’oncologue, le pneumologue et le radiologue) s’accordent, par courrier ou en réunion, à définir l’état de santé de leur patient comme étant très grave et très préoccupant, correspondant à ce qu’on appelle communément une probable « phase terminale ».

Sur le plan déontologique, le médecin doit être honnête avec son patient : il lui doit une certaine forme de vérité. Néanmoins, le médecin garde toute la latitude nécessaire dans le choix de mots utilisés pour signifier à son patient la gravité de son état de santé. Fonction de l’état psychologique de son patient, de ce qu’il peut comprendre, de ce qu’il semble vouloir ou ne pas vouloir entendre, le médecin sait trouver le ton et les mots les plus justes pour que l’annonce soit la moins violente possible. Dans le canevas proposé ici, il n’est pas demandé au médecin de livrer une vérité brutale à son patient, ni de lui ôter tout espoir.

Le médecin reçoit donc notre patient imaginaire en entretien pour discuter avec lui de son état de santé qui est, rappelons-le, très grave et très préoccupant. Le médecin va choisir ses mots puis être attentif aux mots que le patient emploiera pour reformuler, à sa manière, ce que vient de lui expliquer le médecin. De manière très caricaturale, on peut imaginer deux types de reformulations très différentes. Deux pôles opposés, réunis bien-sûr par le gradient de tous les cas possibles.

Les patients qui semblent ne pas vouloir le choix :

Ces patients n’ont peut-être jamais entendu parler de « remise de choix ultime » ou n’ont apparemment pas envie qu’on leur en parle. Peut-être s’agit-il de patients qui éprouvent des difficultés à parler de leur mort prochaine, de patients qui ne souhaitent pas être embêtés avec « tout ça » ? Peut-être s’agit-il de patients dont les convictions religieuses ou spirituelles écartent, de fait, la question du suicide ? Peut-être s’agit-il de patients très âgés ou très fatigués souhaitant simplement s’en remettre aux choix de leur médecin ? Des patients souhaitant être guidés, accompagnés, soulagés sans être placés dans la situation peu confortable de celui qui doit choisir ?

Ce serait un cruel manque de tact voire une forme de violence que d’imposer à des patients un choix qu’ils n’ont pas demandés. Ces patients, il ne leur viendrait jamais à l’idée de prononcer une phrase comme celle-ci : « Docteur, je vais bientôt mourir et je souffre énormément, promettez-moi que toutes les démarches ont été entreprises pour que le moment venu, la décision ultime de vivre ou de mourir m’appartienne ».

Il me semble que ces patients sont les plus nombreux. Ils ne sont pas concernés par ce canevas.

Les patients qui semblent vouloir le choix :

Ce sont des patients qui reformulent clairement ou brutalement l’information que le médecin leur a donnée : « C’est bon, j’ai compris, je vais bientôt crever », « Ça y est, je suis en phase terminale », « Dois-je commencer à préparer mon départ, Docteur ? ». D’autre part, ce sont des patients qui font état de leur connaissance de la (potentielle) nouvelle législation : « avez-vous déjà rempli le premier feuillet du formulaire « RCU » ? » (Nous verrons plus tard à quoi correspond le formulaire « RCU »). Ou bien : « Docteur, je voudrais que soit initiée la procédure qui me rende le choix de mettre fin à mes jours » ou encore « OK, Docteur, je vois le topo, faites toute la paperasse nécessaire pour que je puisse me zigouiller » (patient en colère).

Pour résumer, nous sommes en présence de patients qui ont compris l’information qui leur a été donnée (1) qui la reformulent très clairement (2) qui font part de leur connaissance de la législation (3) qui demandent à ce que la procédure soit initiée.

Le canevas que je propose ne s’adresse qu’à ces patients-là. Et il n’y a qu’un seul sens possible : le patient comprend la gravité de son état de santé, il sait qu’il peut demander à ce que lui soit remis « son choix ultime », il demande l’initiation de la procédure. Il peut bien-sûr le faire avec ses propres mots. Le médecin veille à correctement décrypter la demande de son patient. En aucun cas, le médecin ne peut ni ne doit prendre l’initiative d’aborder un tel sujet. Le rôle du médecin est de constater la volonté et la détermination de son patient à ce que soit « déverrouillé » un certain nombre de possibles.

Dans ce canevas, il y a trois étapes, à la fois administratives et symboliques. A ces trois étapes correspondent 3 feuillets formant le formulaire dit « RCU » (de Remise de Choix Ultime). Nous verrons que le premier feuillet est signé par deux médecins, le deuxième feuillet par deux soignants, le troisième feuillet par le patient uniquement. Il faut se représenter ce formulaire comme étant standardisé et sécurisé et dans lequel, idéalement, on peut inclure des informations de manière manuscrites ou électroniques.

Une fois que le patient a demandé l’initiation de la procédure « RCU », le médecin doit remplir le premier feuillet en inscrivant la phrase suivante :

Au regard des connaissances scientifiques et médicales disponibles, je soussigné Dr « Nom, Prénom du médecin » estime que mon patient « Nom, Prénom du patient » est certainement atteint d’une maladie mortelle à court terme et incurable.

Ce feuillet est transmis à un deuxième médecin (équipe médicale interdisciplinaire) qui le remplit de la même manière. Ce feuillet n’est pas remis au patient : les termes employés sont trop brutaux. En revanche, le médecin peut signifier oralement à son patient « qu’il a fait le nécessaire » ou lui remettre un bordereau attestant que la procédure a été initiée.

A ce stade, un patient a demandé à son médecin que soit initiée une procédure de remise de choix ultime. Puis, deux médecins ont constaté puis formalisé le caractère mortel à court terme et incurable de la pathologie de leur patient. Cela marque le franchissement d’un premier palier. Dans toute la procédure « RCU », c’est le patient qui doit être moteur pour que soit franchi, un à un, les paliers successifs mais rien ne l’y force et la procédure peut très bien s’arrêter là.

Un deuxième palier

Une fois le premier palier déverrouillé, le patient a la possibilité de faire état, sur une période consécutive de 7 jours, du caractère insupportable de sa pathologie. Il doit faire état de souffrances psychologiques et/ou physiques insupportables (le « ou » est important) qui ne sont pas soulagées malgré tous les efforts entrepris par l’équipe médicale. Il doit le faire de manière répétée, constante, sans ambiguïté et sans pression évidente (de la famille ou du personnel soignant). Il doit aussi montrer sa volonté et sa détermination à ce que la République Française lui rende son choix ultime de mettre fin à ses jours. Il peut bien sûr le faire avec ses propres mots « ma vie est devenu un cauchemar, filez-moi le poison et qu’on en finisse ». Cette période de 7 jours peut sembler courte mais nous sommes potentiellement dans le dernier mois de vie du patient : une période plus longue serait un non-sens.

Le patient n’a pas besoin de signifier tous les jours le caractère insupportable de sa pathologie pendant la période d’une semaine. Néanmoins, il faut que l’équipe soignante composé au moins de deux soignants (médecin, infirmier ou interne) ait pu récolter au minimum, un total de 4 discours concordants, indépendants et étalés dans la semaine (par exemple, le médecin a entendu un tel discours 1 fois, l’infirmier 2 fois et l’interne 2 fois ce qui fait un total de 5).

L’équipe soignante ne peut pas remettre en cause la parole du patient qui prétend souffrir de manière insupportable. Elle n’a pas à estimer que le patient ment ou exagère dans l’objectif de mettre fin à ses jours. Ainsi, les soignants n’ont pas à se prononcer sur la souffrance réelle du patient « souffre-il ? » mais sur ses paroles « prétend-il souffrir ? ». Priorité est ainsi donnée à la parole du patient car l’évaluation d’une souffrance psychologique ou physique est subjective et c’est la personne qui en est victime qui est la mieux à même de l’évaluer.

Pour le deuxième palier, je propose le terme soignant (et non pas uniquement médecin) pour inclure les infirmiers et les internes. En effet, recueillir les paroles d’un patient concernant le caractère insupportable de sa maladie ne doit pas être un acte médical. Tout adulte honnête et responsable est en mesure de recueillir un tel avis. D’autre part, infirmiers et internes occupent souvent une position de choix pour recueillir les paroles de leur patient car ils le voient souvent. Il convient donc de les associer à la prise de décision concernant ce deuxième palier.

Au bout d’une semaine, l’équipe soignante se réunie. Si elle considère que 4 discours concordants ont pu être réunis, deux soignants inscrivent et signent, sur le second feuillet du formulaire « RCU », la mention suivante :

Je soussigné « Nom, Prénom, profession » affirme que Mr/Mme « Nom, Prénom du patient » s’est plaint de manière constante, répétée, sans ambiguïté et sans pression, du caractère insupportable de sa maladie.

Le deuxième palier est alors déverrouillé. Apposer sa signature sur un formulaire « RCU » n’est pas un acte anodin. Il est concevable que certains soignants y soient opposés pour des raisons morales, déontologiques, religieuses ou autres. Il convient donc de fixer une règle qui semble la plus juste à tous : nul ne peut forcer un soignant à signer le formulaire « RCU ». Ainsi, chacun, sans avoir à se justifier, peut et doit s’écarter de lui-même du processus de remise de choix ultime si ses convictions ou sa conscience le lui indique. Néanmoins, si un médecin refuse de signer le formulaire « RCU » pour des raisons personnelles, il doit en avertir son patient sans délai et l’orienter vers un autre médecin, acceptant lui la procédure pour que le patient ne se retrouve pas abandonné. Ce cadre permet ainsi de respecter la liberté de conscience de chacun tout en garantissant les droits du patient.

Un troisième palier

A ce stade, le médecin se rend au chevet de son patient avec le troisième feuillet du formulaire « RCU » prérempli : le feuillet du patient. Le médecin s’assure qu’il dispose du temps nécessaire pour cet entretien important et qu’il ne sera pas dérangé. Si le patient le souhaite, la personne de confiance peut assister à l’entretien. Le formulaire contient 7 mentions. Le médecin prend le temps de discuter de chaque mention avec son patient, idéalement de manière informelle et humaine.


Mention 1 :

Les Docteurs « Nom, Prénom » et « Nom, Prénom » ont reconnu le caractère très grave et très préoccupant de mon état de santé. Tous deux estiment qu’ils ne pourront certainement pas me guérir et que je risque de mourir dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

Le patient inscrit la mention « Je comprends bien ces informations » et signe.

Mention 2 :

Mr/Mme « Nom, Prénom, Profession » et Mr/Mme « Nom, Prénom, Profession » ont affirmé que je me plaignais du caractère insupportable de ma maladie, de manière constante et répétée.

Le patient inscrit la mention « Je reconnais ces informations comme étant exacts » et signe.

Mention 3 :

Mr/Mme « Nom Prénom, Profession » et Mr/Mme « Nom, Prénom, Profession » ont reconnu ma forte volonté et détermination à ce que la République Française me rende le choix ultime de mettre fin à mes jours.

Le patient inscrit la mention « Je reconnais ces informations comme étant exacts » et signe.

Mention 4 :

Étant donné les mentions 1, 2 et 3, la République Française me rend le choix ultime de mettre fin à mes jours. Ce document a valeur d’auto-prescription. Il me permet de récupérer, à la pharmacie de l’hôpital, un flacon contenant un médicament liquide mortel. Si je bois le contenu de ce flacon en entier, je vais m’endormir rapidement, en moins d’une minute puis je vais mourir. Je ne souffrirai pas.

Le patient inscrit la mention « Je comprends bien ces informations » et signe.

Mention 5 :

Personne ne peut récupérer ce médicament à ma place. D’autre part, rien ne m’oblige à récupérer ce médicament. Si je décide néanmoins d’aller chercher ce médicament à la pharmacie, je peux le faire au moment le plus opportun pour moi car ce document d’auto-prescription sera toujours valable.

Le patient inscrit la mention « Je comprends bien ces informations » et signe.

Mention 6 :

Si je décide néanmoins de récupérer ce médicament, rien ne m’oblige à en boire le contenu. Je peux le laisser dans le tiroir de ma boite de nuit aussi longtemps que nécessaire sans jamais l’en sortir. L’objectif principal de ce médicament est de me rassurer sur le fait que je dispose maintenant de l’entier contrôle sur mon existence et donc sur mes souffrances.

Le patient inscrit la mention « Je comprends bien ces informations » et signe.

Mention 7 :

La République Française aimerait que je ne boive pas le contenu de ce flacon si je sens qu’il subsiste encore en moi, quelques forces de surmonter la maladie et les souffrances.

L’équipe soignante tient à moi et quelle que soit ma décision, elle continuera de faire tout ce qui est en son pouvoir pour me soigner et me soulager.

Le patient inscrit la mention « Je comprends bien ces informations » et signe.


Un des objectifs des mentions 5, 6 et 7 est d’offrir la possibilité au médecin d’appliquer « une légère pression positive » pour signifier son attachement au patient et l’inciter ainsi, à rester dans la vie. Il pourra glisser par exemple un : « Rien ne vous oblige à aller à la pharmacie aujourd’hui » ou alors, il pourra insister sur le fait que, une fois le médicament dans la table de nuit, les inquiétudes et les angoisses diminueront et il sera alors plus aisé pour le patient de profiter de ce qu’il y a de beau dans l’existence (le sourire des petits enfants, la beauté du ciel…). Enfin, le médecin insistera bien sur l’idée qu’il n’abandonne pas son patient : « vous savez, je ne baisse pas les bras et je dispose encore de plusieurs possibilités pour essayer de vous soulager au maximum » puis dit avec humour « vous n’allez pas vous débarrasser de moi comme cela ». Le médecin signifie bien par là qu’il restera au côté du patient jusqu’au bout, quoi qu’il arrive.

Une fois l’entretien terminé, le médecin remet le 3ème feuillet à son patient. Ce dernier peut alors se rendre, s’il le souhaite, à la pharmacie de l’hôpital. En faisant ce chemin de lui-même2 , il marque une dernière fois sa détermination sans ambiguïté. Ce parcours de la chambre d’hôpital à la pharmacie a une importance symbolique car vont se rejoindre un citoyen malade d’une part (le patient qui fait la moitié du chemin) et l’ensemble symbolique des citoyens de la République Française d’autre part, qui fait la deuxième partie du chemin. Cette deuxième partie du chemin est symbolisée par le pharmacien qui va chercher le médicament (flacon de pentobarbital3 ) dans ses rayons pour le remettre au patient, sur présentation du troisième feuillet « RCU ».

Le pharmacien, conscient qu’il est le dernier maillon d’une chaîne, rappelle au patient que ce qu’on lui remet avant tout, c’est un choix. Il rappelle au patient que s’il boit le contenu de ce flacon, il va s’endormir puis mourir. Enfin, il applique lui aussi la légère pression positive pour signifier la préférence de la république avec les mots les plus adéquates possibles (mieux que ceux qui suivent) : « vous me laissez bien ce médicament dans le tiroir, c’est là qu’il est le plus efficace, courage, Monsieur ».

Le troisième et dernier palier est alors déverrouillé. A partir de là seulement, le patient dispose du choix ultime de mettre fin à ses jours. Il en disposera jusqu’au bout. Et l’équipe soignante et les proches devront s’astreindre à appliquer la légère pression positive jusqu’au bout. De cette manière, il n’y a pas d’ambiguïté possible pour le patient : en aucun cas, la République Française, l’équipe soignante ou ses proches ne cherchent à le pousser, à l’inciter à mettre fin à ses jours. On lui remet un choix uniquement. Pas un assentiment, ni un accord, ni une assistance.

Si le patient décide de mettre fin à ses jours, il ouvre la boite et trouve le flacon de pentobarbital avec une notice. Cette dernière doit être la plus simple possible avec une signalétique adaptée pour informer du danger mais pas trop anxiogène (pas de tête de mort). Si tel est son souhait, le patient peut se donner la mort sans avertir quiconque : il peut choisir de mourir seul. A l’inverse, il peut décider de se donner la mort en présence des siens, après leurs avoir dit « au revoir ». Néanmoins, le patient ne peut pas imposer la présence d’un membre de l’équipe soignante au moment où il se donne la mort. L’inverse est vrai aussi : le médecin ne peut pas imposer à son patient d’être présent au moment de son décès. L’un et l’autre doivent conserver leur entière liberté. Il ne s’agit ni d’euthanasie ni d’assistance au suicide : l’équipe soignante reste donc symboliquement à une certaine distance.

Pour qu’on lui rende son choix ultime, le patient a l’obligation de passer au minimum une semaine à l’hôpital afin de laisser une chance à la société, de tout mettre en œuvre pour le soulager correctement (deuxième palier). Si le patient n’a pu être soulagé suffisamment et a donc récupéré le médicament mortel, libre à lui de rentrer chez lui et de mourir à domicile si tel est son souhait.

Un des verrous psychologiques freinant la mise en place d’une telle législation est, me semble-il, lié à notre acceptation d’une sorte de cérémonial de fin de vie nous apparaissant comme très brutal voire effrayant : un père de 65 ans, épuisé par la guerre qu’il a mené contre son cancer depuis deux ans, déclare que ce soir, il va mettre fin à ses jours. Il souhaite le faire en présence de ses deux enfants, de 37 et 41 ans, qui vont, s’ils le souhaitent et s’ils le supportent, voir leur père avaler un médicament mortel, s’endormir puis partir. Le caractère binaire de la procédure (il vivait et nous parlait il y a une minute et maintenant il est mort) n’est pas facile à accepter pour les proches et, par extension, pour la société. L’agonie, au contraire, représente une sorte de transition lente et graduelle vers la mort. Plus naturelle, elle a l’avantage de laisser du temps pour se préparer à la mort de son proche. Néanmoins, une agonie longue et difficile peut laisser une empreinte plus profonde et perturbante dans l’esprit des proches y assistant. Mort volontaire rapide et mort naturelle lente ont chacune des avantages et des inconvénients quant à l’empreinte qu’elles laisseront dans l’esprit des vivants et la mort de ceux qu’on aime n’est jamais facile à accepter quelle qu’en soit la modalité. Notons que nous parlons ici de l’intérêt des proches (et par extension, de la société) et non de celui du patient. Or mon texte se concentre prioritairement sur l’intérêt du patient.

Arguments psychologiques et médicales en faveur de ce canevas

Se sortir d’un cauchemar

Toutes les fins de vie « des suites d’une longue maladie » ne représentent pas systématiquement un cauchemar. Une épreuve terrible sans doute, mais pas forcément un cauchemar. Néanmoins, il me semble que chacun a conscience de la vérité froide suivante : il existe une proportion de patients qui vont expérimenter une situation de cauchemar total. Ils sont en enfer : une situation insupportable et insurmontable qu’ils subissent totalement. Avec la législation actuelle, on peut mettre en place des moyens pour soulager autant que possible leurs souffrances mais on ne peut pas les sortir du cauchemar dans lequel ils sont enfermés seuls.

Le suicide d’une personne en bonne santé est souvent perçu comme étant « une fuite de la vie ». Le concept de fraternité nous interdit de laisser une personne, même inconnue, se suicider devant nous, sans y prêter attention. On se doit de tout faire pour lui trouver une échappatoire lui permettant la prise de recul nécessaire pour réinvestir l’existence. Échappatoire mis en place par la discussion ou si celle-ci ne suffit pas, par la force.

Il me semble que le malade en situation de cauchemar total, qui choisit de mettre fin à ses jours selon le canevas proposé dans ce texte, ne se suicide pas : il ne fuit pas la vie, il se sort d’un cauchemar. Il sort justement de ce qu’il ne considère plus comme étant « de la vie ». Son acte ne constitue pas un jugement négatif et définitif sur la vie en générale, ni sur son existence en particulier. Ici, la logique de la fraternité fonctionne à nouveau, mais en sens inverse : on se doit de tout faire pour trouver une échappatoire à un de nos frères-humains ou une de nos sœurs-humaines, enfermé seul dans un cauchemar total.

Ainsi, pour me répéter, je crois que le terme « suicide » connoté plutôt négativement, ne convient pas pour décrire l’acte final que commettrait un malade pour se sortir de son cauchemar. On ne retrouve pas « la fuite de la vie », ni le jugement définitif et négatif sur l’existence. Enfin, la logique de la fraternité semble inversée. C’est pour ces différentes raisons que le terme « suicide » n’est pas présent dans le canevas que je propose. J’ai préféré le terme « remise de choix ultime », moins connoté et signifiant que le domaine politique s’arrête « net » après la remise du choix. La suite, le fait que le patient décide ou non de se donner la mort, relève de la sphère privée. Je reviendrai plus tard sur cet argument.

Un argument « contre » ce canevas consiste à dire que rien n’empêche un malade de se suicider par ses propres moyens et donc sans impliquer, de fait, la société. Je crois que cet argument n’est pas recevable. En effet, après avoir effectué l’interminable marathon du cancéreux, le patient en fin de vie se retrouve épuisé et souvent très dépendant. Techniquement, réussir son suicide n’aura rien d’évident : il faut trouver un endroit pour se défenestrer, trouver une corde pour se pendre, trouver un couteau pour s’ouvrir les veines. Faire tout cela sans attirer l’attention puis disposer de suffisamment de temps seul pour ne pas être empêché par un soignant ou un proche. C’est beaucoup plus difficile qu’on ne l’imagine.

Mais la raison principale qui fait que les malades souffrants ne se suicident pas est d’ordre symbolique et non technique : alors même que vos proches vous ont soutenu de toutes leurs tripes pendant des mois, pensez-vous vraiment organiser votre fuite en douce ? Sans leur dire au revoir ? Puis en leur laissant pour dernière image, votre cervelle sur le bitume, votre corps pendu au bout d’une corde ou baignant dans 5 litres de sang ? La violence d’une telle mort pour le patient et pour ses proches et le fait qu’elle sera perçue symboliquement comme un suicide (et donc connotée plutôt négativement) font qu’il s’agit d’une voie rarement empruntée, me semble-il.

Les malades en situation de cauchemar total aspirent à partir dans un contexte plus serein et plus apaisé pour préserver leurs proches. Ils veulent pouvoir partir en sachant que leur acte aura été compris et reconnu comme n’étant justement pas un suicide.

Un effet anxiolytique

C’est un argument très important sur lequel j’ai déjà beaucoup insisté. Les angoisses associées à la peur de souffrir, de mourir en s’étouffant peuvent être très fortes. Or disposer dans sa table de nuit, d’un médicament permettant de s’endormir et de mourir en moins d’une minute pourrait induire un effet anxiolytique conséquent, permettant ainsi aux patients de réinvestir la vie, en ne s’inquiétant plus outre-mesure des souffrances potentielles de l’agonie terminale.

Ainsi, il me semble que le flacon de pentobarbital devrait avoir le statut réglementaire du médicament. Non-utilisé, il a un effet anxiolytique. Utilisé, il a un effet antalgique et mortel (suppression des souffrances et du cauchemar). Le mode de prescription est l’auto-prescription faisant suite à une procédure « RCU ». Le terme auto-prescription pourrait d’ailleurs servir de titre au troisième feuillet « RCU », qui rappelons-le, est uniquement signé par le patient. Remarquons enfin que la simple existence de la procédure « RCU » pourrait avoir un effet anxiolytique, bien en amont de la phase terminale : les patients malades sachant ainsi à l’avance que si le pire devait arriver (le cauchemar total), une échappatoire existe.

Ne pas mourir seul

Pour certains patients, il peut être difficile et angoissant de savoir qu’ils vont probablement mourir seul. On imagine une jeune femme de 30 ans, atteinte d’un cancer du sein, souhaitant quitter ce monde avec sa mère à ses côtés. Or les agonies longues ne sont pas rares et il n’est pas facile, pour les proches de veiller leur mourant jour et nuit pendant des jours voire des semaines. Pouvoir mettre fin à ses jours au moment de son choix permet de rassurer un patient angoissé sur le fait qu’il dispose d’un moyen effectif de ne pas mourir seul.

Vaincre sa maladie

C’est un argument secondaire mais qui peut néanmoins avoir un certain poids. Les patients atteints d’un cancer mortel vont livrer pendant des mois voire des années une guerre totale, épuisante et intérieure contre un ennemi intime : une partie de leur corps qui « veut » et va les emporter. Le rapport qu’ils sont susceptibles d’entretenir avec « leur » cancer peut être complexe. Pour le patient, contrôler le moment où il se donne la mort peut représenter une manière de vaincre symboliquement « sa » maladie. Une manière d’avoir le dernier mot. Car ultimement, c’est l’action volontaire de l’âme du patient se donnant activement la mort qui tuera les cellules cancéreuses avant que celles-ci n’aient pu le tuer. Pour le patient qui s’est tant battu contre son cancer, la logique peut être : « la médecine a échoué à t’avoir mais moi, je t’aurais avant que tu m’aie eu ; c’est moi qui décide quand tu meurs et non pas l’inverse ».

Arguments politiques et philosophiques en faveur de ce canevas

Démocratie et fin de vie

En France, la question des fins de vie des malades est considérée comme intrinsèquement politique. C’est donc dans un bureau de vote qu’elle est censée être tranchée, lors de l’élection présidentielle. En général, le citoyen vote pour un candidat qui s’est exprimé « pour » ou « contre » l’euthanasie. Il faut noter que le débat sur l’euthanasie est jugé secondaire c’est à dire sociétal. En ce sens, le vote du citoyen est dilué car ce dernier vote déjà pour le programme économique, social ou de politique étrangère du candidat. Il est aussi arrivé qu’un candidat se prononçant pour la mise en place d’une politique de fin de vie plus « active », soit élu président et une fois élu, change d’avis ou alors ne soit plus en mesure d’imposer la modification promise en campagne. En ce sens, le vote du citoyen, même « gagnant », n’implique pas de fait, la mise en place de la politique souhaitée. Enfin, en acceptant de se prononcer dans l’isoloir, le citoyen accepte de considérer que la fin de vie des autres, le concerne lui et ce, même si au moment où il vote, il n’est en général, pas directement concerné : il n’est pas en train de mourir ni de souffrir. En ce sens, le vote du citoyen contient une dimension quelque peu légère.

Pourquoi voulons-nous à tout prix, dans l’isoloir, en bonne santé, décider pour un autre (malade et souffrant) la manière dont il doit quitter ce monde ? Imaginons que nous ayons un enfant, par exemple une fille, qui pratique un sport à risque « le base-jump » ? Que lui dirions-nous, nous-parents ou nous-corps politique ? Nous lui dirions « C’est ta vie » (sous-entendu : « si tu te tues, tu te tues »). Nous faisons le même raisonnement avec un enfant, par exemple un fils, qui fume : « C’est ta vie » (sous-entendu : « si tu te chopes un cancer, tu te chopes un cancer »). Qu’il semble alors étrange que pour un malade en situation de cauchemar depuis des mois, à qui il reste 3 semaines de calvaire avant de mourir, nous n’arrivions pas à penser politiquement cette même phrase : « C’est ta vie » (sous-entendu : « si tu décides de partir, tu décides de partir »).

L’exemple de la péridurale

Je crois qu’il existe un certain de nombre de questions pour lesquelles le recours à la démocratie et donc au vote ne convient pas. Prenons l’exemple de la péridurale proposée aux femmes sur le point d’accoucher. Chacun conviendra qu’il serait pour le moins étrange de demander aux citoyens de se prononcer « pour » ou « contre » la péridurale afin d’imposer le résultat du vote à l’ensemble des femmes. Imaginons une jeune femme sans enfant qui considérerait que « les femmes doivent enfanter dans la douleur » selon la prescription de la nature. Cette jeune femme nous faisant part de son opposition à la péridurale, que pourrions-nous lui répondre ? Nous lui répondrions que nous entendons son point de vue mais que, le moment venu c’est à dire lors de son accouchement, nous lui laisserons la possibilité de changer d’avis si les douleurs lui sont trop insupportables. Mon point est que la question de la péridurale n’est pas politisée : les citoyens ont le droit d’avoir leur opinion mais ils n’ont pas à s’exprimer sur cette question dans un bureau de vote car cela concerne la vie privée. Une femme choisit pour elle-même et pour son corps si elle souhaite ou non une péridurale mais elle ne décide pas à la place des autres. C’est son choix intime, personnel et privé et elle peut changer d’avis autant de fois qu’elle le souhaite sans que personne ne puisse le lui reprocher.

Replacer cette question dans la sphère privée

Sur la question de la fin de vie, il me semble que chacun devrait pouvoir disposer de sa propre boussole et donc de son propre nord, sans pouvoir imposer son nord à l’autre, comme dans l’exemple de la péridurale. L’aiguille de la boussole devrait pouvoir changer de direction toute la vie, et au moment où il serait confronté au problème c’est à dire très malade et souffrant, le citoyen pourrait alors décider ce qui est bon pour lui-même. Décision ultime qui semble ici, plus mûrie, plus réfléchie que celle, légère, que l’on prend dans l’isoloir, en bonne santé, un dimanche matin ensoleillé.

Ainsi, je ne crois pas que ma prise de position soit réellement politique. Elle est philosophique. Je prône une certaine dépolitisation de la question des fins des vie insupportables. Il me semble que chacun devrait considérer que cette question relève de la sphère privée.

Subir

Dans la législation actuelle, la manière de mourir est la suivante :

C’est un subir. Or qui subit ? Philosophiquement, c’est toujours le faible qui subit. Si un patient refuse de vivre les 3 dernières semaines de son existence qu’il juge autant inutiles qu’effroyables, que se passe-t-il ? On le forcera. Car c’est bien la conséquence directe de la législation passive-stricte : si le patient essaie de se suicider, on l’en empêchera. Le patient doit vivre son calvaire jusqu’au bout, jusqu’à ce que la nature ait décidé d’y mettre un terme. Seule la vie du patient est prise en compte et a encore de la valeur pour la société. La volonté du patient, elle, n’est plus prise en compte et n’a plus de valeur. Le malade subit donc le chemin qui a été pré-tracé pour tout le monde et il ne peut pas s’en écarter. Comme le patient est souvent devenu fragile et dépendant à cause de sa maladie, il est difficile de ne pas succomber à une certaine (relative) infantilisation. Cette infantilisation n’est pas le fait du médecin mais bien de la société toute entière : « Non, on ne te rendra pas le choix ultime, tu serais capable de faire une connerie, et on aurait trop peur que tu le regrettes ».

Je soupçonne que le processus d’infantilisation fonctionne à l’envers. En effet, selon Edgar Morin :

« Toute conscience de la mort provoque des réactions infantiles car la mort est la seule chose hors du pouvoir de l’homme, la seule devant laquelle il est impuissant totalement, comme un enfant. »

Nous-corps politique ne devrions-nous pas considérer qu’il nous est impossible de traiter cette question de la mort autrement qu’en enfant ? Les concepts même de « politique » et de « monde » ne sont-ils pas des concepts d’« enfants » du point de vue de l’ « adulte » qui doit se désinvestir petit à petit de l’existence ? Les philosophes se sont toujours intéressés à la manière dont leurs prédécesseurs sont morts car ils considèrent qu’il y a du montrer dans la manière de mourir. La mort de Socrate est l’exemple le plus classique. Or dans la logique du « subir », on limite grandement la possibilité de voir le malade comme un sage courageux qui va nous montrer une dernière chose. Nous enfermons le patient dans le rôle unique de celui qui subit un drame : la mort. En ce sens, certains patients peuvent avoir le sentiment qu’on leur vole leur mort.

Cette attitude reflète notre regard sociétal d’enfants bien-portants : la mort est quelque chose qu’on subit (1) qu’il nous faut donc repousser le plus loin possible (2) et cacher (3) car elle nous fait peur (4). C’est un regard essentiellement négatif qui exclut toute positivité dans l’acte de mourir. La conséquence statistique que je soupçonne sans l’affirmer, est la suivante : le plus souvent, les Français quittent ce monde seul, la nuit, dans leur chambre d’hôpital ou de maison de retraite.

Choisir

A l’inverse, la procédure « RCU » introduit du choisir. Dans le canevas proposé, il y a 3 possibilités différentes pour mourir :

Toutes ces manières de mourir me semblent également dignes. Toutes incluent une part de choix. Parmi les différents chemins possibles, le malade choisit et montre le chemin qui fait sens pour lui. Et quel que soit le chemin choisi, il y a une volonté, une force qui s’exprime :

Rendre le choix, ce n’est pas seulement rendre le choix de se donner la mort. C’est aussi donner la possibilité à tous les malades mourants de n’être pas seulement une vie s’éteignant, mais aussi une volonté jusqu’au tout dernier moment. Cela introduit, me semble-t-il, une légère dimension positive dans le difficile passage vers l’au-delà.



[2023: des éclaircissements sur ce texte sont disponibles dans Retour sur RCU (2023)]

Notes de bas de page

  1. Il ne s’agit pas exactement de ma position personnelle mais d’une position susceptible de faire consensus.
  2. Une procédure d’exception devrait être prévue pour les patients qui ne sont plus en mesure de se déplacer.
  3. J’indique ici le nom du produit qui, de mémoire, est utilisé en Suisse mais peut-être que le mode de conservation ou le format (liquide) n’est pas adapté. Des alternatives existent sans doute.