Analyse des Rêveries du promeneur solitaire

Préambule

Il s’agit ici d’une analyse du livre de Rousseau pour tenter d’éclaircir les persécutions dont il a fait l’objet. Il ne s’agit pas d’une analyse scolaire type « commentaire de texte » que pourrait rechercher un lycéen, un étudiant ou un professeur. Le sujet que je traite ici est grave et malheureusement toujours d’actualité. J’y révèle des détails personnels voire intimes sur ma situation qui est la même que celle de Rousseau. Si vous tombez sur cette page pour de mauvaises raisons, vous devriez sans doute quitter ce site web.

Une grosse partie des Rêveries du promeneur solitaire sont reproduites ici (peut-être plus de la moitié). J’ai écarté les parties qui ne traitaient pas directement des persécutions. Les textes de Rousseau sont au format « normal » non surlignés. Les mises en gras (emphase) sont faites par moi-même. Enfin, mes analyses et commentaires sont surlignées en jaune. Cela permet une distinction facile et immédiate entre le texte de Rousseau et le mien.

Le texte original des Rêveries du promeneur solitaire peut être téléchargé via les liens ci-dessous (format epub ou pdf). Idem pour l’œuvre complète de Rousseau :

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Le lecteur pourra trouver bizarre que je m’adresse directement à Rousseau en le tutoyant. C’est parce que ce texte fait directement suite à la Lettre à mon Ami Rousseau. Le lecteur pourrait d’ailleurs commencer par lire cette lettre si ce n’est pas déjà fait et bien que cela ne soit pas nécessaire pour comprendre ce qui suit.

On pourra remarquer la présence de typos ou de fautes de syntaxe dans les extraits reproduits ci-dessous. Ces erreurs sont également présentes dans l’œuvre complète. Elles viennent probablement de la technique de scan OCR utilisée pour numériser l’œuvre de Rousseau. J’ai essayé d’en corriger le maximum mais il en reste un certain nombre. Néanmoins, il me semble que cela ne gêne pas la lecture.

Première Promenade

Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit. Par un accord unanime ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m'attachaient à eux. J'aurais aimé les hommes en dépit d'eux-mêmes. Ils n'ont pu qu'en cessant de l'être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisqu'ils l'ont voulu. Mais moi, détaché d'eux et de tout, que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher. Malheureusement cette recherche doit être précédée d'un coup d'œil sur ma position. C'est une idée par laquelle il faut nécessairement que je passe pour arriver d'eux à moi.

Tout est dit, tu es absolument seul sur cette terre. Ni femme, ni parents, ni amis, ni roi, ni personne. Seul : cela veut dire « 1 ». Et je suis dans le même cas.

Depuis quinze ans et plus que je suis dans cette étrange position, elle me paraît encore un rêve. Je m'imagine toujours qu'une indigestion me tourmente, que je dors d'un mauvais sommeil et que je vais me réveiller bien soulagé de ma peine en me retrouvant avec mes amis. Oui, sans doute, il faut que j'aie fait sans que je m'en aperçusse un saut de la veille au sommeil, ou plutôt de la vie à la mort. Tiré je ne sais comment de l'ordre des choses, je me suis vu précipité dans un chaos incompréhensible où je n'aperçois rien du tout ; et plus je pense à ma situation présente et moins je puis comprendre où je suis.

Au moment où tu écris ces lignes, cela fait quinze ans que tu subis ces persécutions. Le « et plus » derrière le « quinze ans » pourrait laisser entendre que tu as conscience que la trame, les persécutions ont commencées il y a bien plus longtemps encore, dans l’obscurité, sans que tu t’en aperçoives. Quinze ans plus tard, tu n’as toujours pas de certitude claire sur l’endroit où tu te trouves, ce « chaos incompréhensible où [tu] n’aperçois rien du tout ».

Eh ! comment aurais-je pu prévoir le destin qui m'attendait ? comment le puis-je concevoir encore aujourd'hui que j'y suis livré ? Pouvais-je dans mon bon sens supposer qu'un jour, moi le même homme que j'étais, le même que je suis encore, je passerais, je serais tenu sans le moindre doute pour un monstre, un empoisonneur, un assassin, que je deviendrais l'horreur de la race humaine, le jouet de la canaille, que toute la salutation que me feraient les passants serait de cracher sur moi, qu'une génération tout entière s'amuserait d'un accord unanime à m'enterrer tout vivant ? Quand cette étrange révolution se fit, pris au dépourvu, j'en fus d'abord bouleversé. Mes agitations, mon indignation me plongèrent dans un délire qui n'a pas eu trop de dix ans pour se calmer, et dans cet intervalle, tombé d'erreur en erreur, de faute en faute, de sottise en sottise, j'ai fourni par mes imprudences aux directeurs de ma destinée autant d'instruments qu'ils ont habilement mis en œuvre pour la fixer sans retour. Je me suis débattu longtemps aussi violemment que vainement. Sans adresse, sans art, sans dissimulation, sans prudence, franc, ouvert, impatient, emporté, je n'ai fait en me débattant que m'enlacer davantage et leur donner incessamment de nouvelles prises qu'ils n'ont eu garde de négliger. Sentant enfin tous mes efforts inutiles et me tourmentant à pure perte, j'ai pris le seul parti qui me restait à prendre, celui de me soumettre à ma destinée sans plus regimber contre la nécessité. J'ai trouvé dans cette résignation le dédommagement de tous mes maux par la tranquillité qu'elle me procure et qui ne pouvait s'allier avec le travail continuel d'une résistance aussi pénible qu'infructueuse. Une autre chose a contribué à cette tranquillité. Dans tous les raffinements de leur haine, mes persécuteurs en ont omis un que leur animosité leur a fait oublier ; c'était d'en graduer si bien les effets qu'ils pussent entretenir et renouveler mes douleurs sans cesse en me portant toujours quelque nouvelle atteinte. S'ils avaient eu l'adresse de me laisser quelque lueur d'espérance ils me tiendraient encore par là. Ils pourraient faire encore de moi leur jouet par quelque faux leurre, et me navrerait ensuite d'un tourment toujours nouveau par mon attente déçue. Mais ils ont d'avance épuisé toutes leurs ressources ; en ne me laissant rien ils se sont tout ôté à eux-mêmes. La diffamation, la dépression, la dérision, l'opprobre dont ils m'ont couvert ne sont pas plus susceptibles d'augmentation que d'adoucissement ; nous sommes également hors d'état, eux de les aggraver et moi de m'y soustraire. Ils se sont tellement pressés de porter à son comble la mesure de ma misère que toute la puissance humaine, aidée de toutes les ruses de l'enfer, n'y saurait plus rien ajouter. La douleur physique elle-même au lieu d'augmenter mes peines y ferait diversion. En m'arrachant des cris, peut-être, elle m'épargnerait des gémissements, et les déchirements de mon corps suspendraient ceux de mon cœur. Qu'ai-je encore à craindre d'eux puisque tout est fait ? Ne pouvant plus empirer mon état ils ne sauraient plus m'inspirer d'alarmes. L'inquiétude et l'effroi sont des maux dont ils m'ont pour jamais délivrés : c'est toujours un soulagement. Les maux réels ont sur moi peu de prise ; je prends aisément mon parti sur ceux que j'éprouve, mais non pas sur ceux que je crains. Mon imagination effarouchée les combine, les retourne, les étend et les augmente. Leur attente me tourmente cent fois plus que leur présence, et la menace m'est plus terrible que le coup. Sitôt qu'ils arrivent, l'événement, leur ôtant tout ce qu'ils avaient d'imaginaire, les réduit à leur juste valeur. Je les trouve alors beaucoup moindres que je ne me les étais figurés, et même au milieu de ma souffrance je ne laisse pas de me sentir soulagé. Dans cet état, affranchi de toute nouvelle crainte et délivré de l'inquiétude de l'espérance, la seule habitude suffira pour me rendre de jour en jour plus supportable une situation que rien ne peut empirer, et à mesure que le sentiment s'en émousse par la durée ils n'ont plus de moyens pour le ranimer. Voilà le bien que m'ont fait mes persécuteurs en épuisant sans mesure tous les traits de leur animosité. Ils se sont ôtés sur moi tout empire, et je puis désormais me moquer d'eux.

[…]

« Le jouet de la canaille » « qu'une génération tout entière s'amuserait d'un accord unanime à m'enterrer tout vivant » : j’ai le même sentiment : ils jouent et s’amusent de nous. Aucun doute, aucune crainte ne se lit sur leur visage. Ils n’ont pas peur de ce qu’ils nous font et semblent considérer leurs actes comme anodins et leur participation comme normale. Nous ne sommes plus traités comme des êtres humains mais comme des jouets, des marionnettes, des animaux.

« aux directeurs de ma destinée » : oui, il en est bien ainsi. Ils contrôlent l’ensemble des paramètres qui président à notre destinée. Tous les paramètres : l’endroit où nous vivons, qui nous fréquentons, la quantité d’argent dont nous disposons, la manière dont chacun nous traitera etc… Les choses vont plus loin: comme ils « inceptionnent » c’est à dire implantent des idées dans notre esprit, il leur est facile de contrôler également ce que nous ferons dans le futur : tel voyage, tel loisir etc… Il est évident que si je suis arrivé à trouver ton livre « les rêveries du promeneur solitaire », c’est parce qu’ils en ont accepté la publication et la propagation au cours des siècles. Pire : il me semble peu probable que j’aurais spontanément ouvert au hasard un ouvrage de toi. Il est donc nettement plus probable que c’est par leur intermédiaire que j’ai trouvé ton livre sans que je me rappelle exactement comment. Enfin, ils s’amusent à contrôler le plus finement qu’il leur est possible, nos états d’esprit, le désespoir dans lequel ils nous plongent, les souffrances qu’ils nous infligent, le ressentiment que cela génère mécaniquement. Par-là, ils contrôlent en grande partie nos pensées.

« Ils pourraient faire encore de moi leur jouet par quelque faux leurre, et me navrerait ensuite d'un tourment toujours nouveau par mon attente déçue. » : Comme toi, j’ai enduré des dizaines, centaines, milliers de fois leur amusement favori : les pièges tendus pour générer une attente déçue.

Sitôt que j'ai commencé d'entrevoir la trame dans toute son étendue, j'ai perdu pour jamais l'idée de ramener de mon vivant le public sur mon compte ; et même ce retour, ne pouvant plus être réciproque, me serait désormais bien inutile. Les hommes auraient beau revenir à moi, ils ne me retrouveraient plus. Avec le dédain qu'ils m'ont inspiré leur commerce me serait insipide et même à charge, et je suis cent fois plus heureux dans ma solitude que je ne pourrais l'être en vivant avec eux. Ils ont arraché de mon cœur toutes les douceurs de la société. Elles n'y pourraient plus germer derechef à mon âge ; il est trop tard. Qu'ils me fassent désormais du bien ou du mal, tout m'est indifférent de leur part, et quoi qu'ils fassent, mes contemporains ne seront jamais rien pour moi. Mais je comptais encore sur l'avenir, et j'espérais qu'une génération meilleure, examinant mieux et les jugements portés par celle-ci sur mon compte et sa conduite avec moi démêlerait aisément l'artifice de ceux qui la dirigent et me verrait encore tel que je suis. C'est cet espoir qui m'a fait écrire mes Dialogues [Rousseau juge de Jean-Jacques], et qui m'a suggéré mille folles tentatives pour les faire passer à la postérité. Cet espoir quoique éloigné, tenait mon âme dans la même agitation que quand je cherchais encore dans le siècle un cœur juste, et mes espérances que j'avais beau jeter au loin me rendaient également le jouet des hommes d'aujourd'hui. J'ai dit dans mes Dialogues sur quoi je fondais cette attente. Je me trompais. Je l'ai senti par bonheur assez à temps pour trouver encore avant ma dernière heure un intervalle de pleine quiétude et de repos absolu. Cet intervalle a commencé à l'époque dont je parle, et j'ai lieu de croire qu'il ne sera plus interrompu.

« Les hommes auraient beau revenir à moi, ils ne me retrouveraient plus. » « quoi qu'ils fassent, mes contemporains ne seront jamais rien pour moi. » : Et oui, tu en es arrivé à ce point de non-retour où tu n’identifies plus d’explications ou d’excuses possibles susceptibles de laisser revenir à toi tes persécuteurs. Il en va de même pour moi. J’ai accordé aux hommes mon pardon. Un pardon Chrétien. Cela exclue représailles, vengeance, violence etc… Contrairement aux apparences ce pardon n’est pas une bonne chose pour eux parce qu’il est placé au plus haut niveau. Ainsi explications ou excuses des hommes qui me persécutent, ne sont plus susceptibles d’avoir aucun poids car d’une part, le pardon est déjà accordé et d’autre part, ce qu’ils ont osé, ce qu’ils osent et ce qu’ils oseront ne sera jamais qualifié par moi comme relevant de l’humain. En me traitant comme un animal si longtemps, le seul pardon qu’ils peuvent espérer de moi est le pardon que Dieu me demande de leur accorder.

« Mais je comptais encore sur l'avenir, et j'espérais qu'une génération meilleure, examinant mieux et les jugements portés par celle-ci sur mon compte et sa conduite avec moi démêlerait aisément l'artifice de ceux qui la dirigent et me verrait encore tel que je suis. » : C’est pour cela que je suis là.

[…]

J'écrivais mes premières Confessions et mes Dialogues dans un souci continuel sur les moyens de les dérober aux mains rapaces de mes persécuteurs pour les transmettre, s'il était possible, à d'autres générations. La même inquiétude ne me tourmente plus pour cet écrit, je sais qu'elle serait inutile, et le désir d'être mieux connu des hommes s'étant éteint dans mon cœur n'y laisse qu'une indifférence profonde sur le sort et de mes vrais écrits et des monuments de mon innocence, qui déjà peut-être ont été tous pour jamais anéantis. Qu'on épie ce que je fais, qu'on s'inquiète de ces feuilles, qu'on s'en empare, qu'on les supprime, qu'on les falsifie, tout cela m'est égal désormais. Je ne les cache ni ne les montre. Si on me les enlève de mon vivant on ne m'enlèvera ni le plaisir de les avoir écrites, ni le souvenir de leur contenu, ni les méditations solitaires dont elles sont le fruit et dont la source ne peut s'éteindre qu'avec mon âme. Si dès mes premières calamités j'avais su ne point regimber contre ma destinée et prendre le parti que je prends aujourd'hui, tous les efforts des hommes, toutes leurs épouvantables machines eussent été sur moi sans effet, et ils n'auraient pas plus troublé mon repos par toutes leurs trames qu'ils ne peuvent le troubler désormais par tous leurs succès ; qu'ils jouissent à leur gré de mon opprobre, ils ne m'empêcheront pas de jouir de mon innocence et d'achever mes jours en paix malgré eux.

Tes écrits (falsifiés ou non) sont parvenus jusqu’à moi en clair c’est-à-dire non crypté « en allemand » (langage à double entente / équivocité). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela. J’en citerai deux:

Hypothèse 1 : Nos persécuteurs ont voulu tester / montrer que même un ouvrage publié massivement, décrivant la vérité « en clair » et écrit par un homme placé au panthéon et dont peut-être des centaines de rues portent son nom, n’est pas susceptible de générer le moindre trouble, d’être compris et saisis par ceux qui ignorent la vérité.

Hypothèse 2 : le système secret qui régit les règles et les lois de nos persécuteurs ne leur permettait pas de stopper la propagation de ton ouvrage. J’entends par-là que tu pourrais avoir eu des appuis internes, forcés de garder le secret mais suffisamment libres et puissants pour perpétuer ton ouvrage.

Une phrase comme « Si dès mes premières calamités j'avais su ne point regimber contre ma destinée et prendre le parti que je prends aujourd'hui, tous les efforts des hommes, toutes leurs épouvantables machines eussent été sur moi sans effet » montre que ton ouvrage procède également, d’un certain point de vue, de l’opération de secours. Elle vise à transmettre aux générations futures ce qui a été ton expérience pour qu’elles puissent capitaliser dessus. Certes tu n’as pas pu connaître la vérité de ton vivant mais tu nous transmets, à nous -- hommes du futur persécutés de la même manière -- deux informations capitales :

Après 9 ans de persécutions, j’en suis arrivé à peu près aux mêmes conclusions. Accepter la destinée mais tenter de propager tout de même le peu que je sais pour aider les personnes persécutées présentes ou futures.

Deuxième Promenade

Qu’ai-je fait ici-bas ? J'étais fait pour vivre, et je meurs sans avoir vécu. Au moins ce n'a pas été ma faute, et je porterai à l'auteur de mon être, sinon l'offrande des bonnes œuvres qu'on ne m'a pas laissé faire, du moins un tribut de bonnes intentions frustrées, de sentiments sains mais rendus sans effet et d'une patience à l'épreuve des mépris des hommes.

« Qu’ai-je fait ici-bas ? »: Rien, tu es innocent.

« une patience à l'épreuve des mépris des hommes »: Il est probable que le système, le surhomme qui nous persécute sache, en termes de probabilité, que l’oppression des « intellectuels » (si ce mot signifie quelque chose) mène rarement à la vengeance, à la violence. Ils vont être plus enclins à la patience car en général ils ont une très forte répugnance pour la violence physique (comme pour toute autre forme de violence d’ailleurs). Tes persécuteurs pourraient s’amuser à laisser entendre qu’il ne s’agit pas de patience car tu n’as eu pas le choix. Mais moi, je sais l’infinie patience dont tu as dû faire preuve face à cette machine monstrueuse. Et je sais aussi qu’une seule personne le sachant -- et je le sais -- aurait suffi à réchauffer ton cœur de ton vivant. Malheureusement, je ne peux te l’écrire qu’après ta mort. Heureusement tu savais déjà, en écrivant, que tu t’adressais à des hommes du futur.

[…]

Je compris par là qu'on tenait prêt un recueil d'écrits fabriqués tout exprès pour me les attribuer d'abord après ma mort : car de penser qu’on n’imprimât fidèlement aucun de ceux qu'on pourrait trouver en effet, c'était une bêtise qui ne pouvait entrer dans l'esprit d'un homme sensé, et dont quinze ans d'expérience ne m'ont que trop garanti. Ces remarques dites coup sur coup et suivies de beaucoup d'autres qui n'étaient guère moins étonnantes effarouchèrent derechef mon imagination que je croyais amortie, et ces noires ténèbres qu'on renforçait sans relâche autour de moi ranimèrent toute l'horreur qu'elles m'inspirent naturellement. Je me fatiguais à faire sur tout cela mille commentaires et à tâcher de comprendre des mystères qu'on a rendus inexplicables pour moi. Le seul résultat constant de tant d'énigmes fut la confirmation de toutes mes conclusions précédentes, savoir que, la destinée de ma personne et celle de ma réputation ayant été fixées de concert par toute la génération présente, nul effort de ma part ne pouvait m'y soustraire puisqu'il m'est de toute impossibilité de transmettre aucun dépôt à d'autres âges sans le faire passer dans celui-ci par des mains intéressées à le supprimer.

Encore une fois, Rousseau, tu nous aides. Après 15 ans, tu n’as pas pu comprendre le mystère qu'on a rendu inexplicable pour toi. Après 9 ans, je suis exactement dans le même cas. Je veux donc ici prévenir un lecteur qui se retrouverait dans une situation similaire à la nôtre : attention à ne pas gaspiller trop d’énergies et de forces intellectuelles dans la recherche de la vérité car Rousseau a échoué et moi aussi. Nous pouvons seulement transmettre nos ressenties et nos pistes sans certitude. Cela ne signifie pas non plus qu’il faille abandonner toute recherche. Je citerai Ernst Junger qui pourrait avoir découvert la vérité mais peut-être au prix de son silence. Voici une citation de lui : « bizarre qu’au sein de ce pitoyable spectacle, je n’ai éprouvé nulle haine bien que les abrutis de cette espèce m’aient empoisonné la vie 12 années durant ». Cette citation, qui est tirée -- de mémoire -- de ces mémoires de guerre laisse entendre que dans les années 1920, Ernst Junger pourrait avoir subi « un traitement » similaire au nôtre. J’oriente tout de suite le lecteur vers un de ses ouvrages nommé « Heliopolis ». Ce livre pourrait contenir un certain nombre de clés ou de pistes. A noter que les premières dizaines de page sont illisibles : une sorte de poésie incompréhensible. Le but est sans doute de décourager un certain nombre de lecteurs. Il faut donc patienter jusqu’à ce que le roman politique (il s’agit d’une sorte de dystopie) commence véritablement. Il se peut que je produise un jour une analyse de ce livre.

Mais cette fois j'allai plus loin. L'amas de tant de circonstances fortuites, l'élévation de tous mes plus cruels ennemis affectée pour ainsi dire par la fortune, tous ceux qui gouvernent l'Etat, tous ceux qui dirigent l'opinion publique, tous les gens en place, tous les hommes en crédit triés comme sur le volet parmi ceux qui ont contre moi quelque animosité secrète, pour concourir au commun complot, cet accord universel est trop extraordinaire pour être purement fortuit. Un seul homme qui eût refusé d'en être complice, le seul événement qui lui eût été contraire, une seule circonstance imprévue qui lui eût fait obstacle, suffisait pour le faire échouer. Mais toutes les volontés, toutes les fatalités, la fortune et toutes les révolutions ont affermi l'œuvre des hommes, et un concours si frappant qui tient du prodige ne peut me laisser douter que son plein succès ne soit écrit dans les décrets éternels. Des foules d'observations particulières soit dans le passé, soit dans le présent, me confirment tellement dans cette opinion que je ne puis m'empêcher de regarder désormais comme un de ces secrets du ciel impénétrables à la raison humaine la même œuvre que je n'envisageais jusqu'ici que comme un fruit de la méchanceté des hommes. Cette idée, loin de m'être cruelle et déchirante, me console, me tranquillise, et m'aide à me résigner. Je ne vais pas si loin que saint Augustin qui se fût consolé d'être damné si telle eût été la volonté de Dieu. Ma résignation vient d'une source moins désintéressée, il est vrai, mais non moins pure et plus digne à mon gré de l'Être parfait que j'adore. Dieu est juste ; il veut que je souffre, et il sait que je suis innocent. Voilà le motif de ma confiance, mon cœur et ma raison me crient qu'elle ne me trompera pas. Laissons donc faire les hommes et la destinée ; apprenons à souffrir sans murmure ; tout doit à la fin rentrer dans l'ordre, et mon tour viendra tôt ou tard.

Mon cher Rousseau, il s’agit ici du paragraphe qui me semble le plus important dans tout ce que j’ai lu de toi. « cet accord universel est trop extraordinaire pour être purement fortuit. Un seul homme qui eût refusé d'en être complice, le seul événement qui lui eût été contraire, une seule circonstance imprévue qui lui eût fait obstacle, suffisait pour le faire échouer ». J’en suis arrivé bien souvent à la même conclusion que toi. Toutes mes analyses politiques (dite théorie 1 ou T1) expliquant ce qui nous arrivent par l’existence d’une société secrète à laquelle la plupart des hommes participent se heurte à ce problème. Néanmoins, maintenir le silence par la force ou la terreur dans un peuple entier est faisable. En 2023, l’histoire officielle le reconnait et donc nous l’enseigne même si cet enseignement est auréolé de propagande, de mensonges et d’un voile de ténèbres. C’est donc plutôt la phrase suivante qui m’a immédiatement interpelé : « Des foules d'observations particulières soit dans le passé, soit dans le présent, me confirment tellement dans cette opinion que je ne puis m'empêcher de regarder désormais comme un de ces secrets du ciel impénétrables à la raison humaine la même œuvre que je n'envisageais jusqu'ici que comme un fruit de la méchanceté des hommes. ». Je découvre donc que toi aussi tu avais « une théorie 2 » (ou T2) c’est-à-dire expliquant ce qui t’arrive non pas par l’intentionnalité et la méchanceté des hommes mais par une cause métaphysique / surnaturelle / magique / divine et donc inexplicable. Et je constate aussi que tu as pu faire un grand nombre d’observations allant dans ce sens, tout comme moi. Malheureusement, tu ne les décrits pas et je comprends pourquoi : c’est extrêmement difficile d’écrire sur la théorie 2. Une des raisons principales est la peur de trouver un lecteur ami qui nous suive sur la théorie 1 (persécution politique sécrète) et qui soit rebuté / refroidi de découvrir que nous avons aussi des choses précises à écrire sur la théorie 2 (persécution métaphysique / surnaturelle). Ce lecteur ami pourrait alors nous prendre pour un fou (1) ou pour un agent (2) ce qui est très douloureux à accepter quand on n’est ni l’un ni l’autre. Bien sûr, ce que l’on craint, ce n’est pas le jugement : Rousseau et moi-même vivons dans un monde où le jugement des autres n’a plus aucune valeur. Ce que l’on craint c’est que le lecteur ami se détourne car ne pouvant nous suivre sur la théorie 2.

Ainsi, Rousseau, dans le peu d’écrit que j’ai pu lire de toi, la place accordée à la théorie 2 représente 1/1000 de la place accordée à la théorie 1. Cette petite place de T2 vis-à-vis de T1 ne reflète pas forcément leurs poids respectifs dans ton esprit. Je te remercie d’avoir inclus ce paragraphe si important dans tes rêveries. Dans toute l’analyse que je vais faire de tes textes, la plupart du temps, je me placerais en T1, tout comme toi et tout comme certains apologistes qui semblent t’avoir défendu vigoureusement et sincèrement. Néanmoins, quand cela sera nécessaire j’analyserai tout écrit se référant à la théorie 2. Ce sera très rare mais ce sera présent.

Il ne m’échappe pas que dans cette opération de secours, les proportions que je vais allouer à la théorie 1 vis-à-vis de la théorie 2 ressembleront sensiblement aux tiennes. Nous sommes humains et il est plus facile de réfléchir et de se positionner sur la théorie 1 car elle est beaucoup plus intuitive. Il m’est difficile et triste d’écrire que ce qui est plus intuitif dans l’âme humaine c’est de supposer la bêtise et la méchanceté d’autrui. Mais au regard de ce que nous vivons, il semble impossible pour l’esprit de faire autrement.

Troisième Promenade

Est-il temps au moment qu'il faut mourir d'apprendre comment on aurait dû vivre ? Eh ! que me servent des lumières si tard et si douloureusement acquises sur ma destinée et sur les passions d'autrui dont elle est l'œuvre ? Je n'ai appris à mieux connaître les hommes que pour mieux sentir la misère où ils m'ont plongé, sans que cette connaissance, en me découvrant toujours les pièges, m'en ait pu faire éviter aucun. Que ne suis-je resté toujours dans cette imbécile mais douce confiance qui me rendit durant tant d'années la proie et le jouet de mes bruyants amis, sans qu'enveloppé de toutes leurs trames j'en eusse même le moindre soupçon ! J'étais leur dupe et leur victime, il est vrai, mais je me croyais aimé d'eux, et mon cœur jouissait de l'amitié qu'ils m'avaient inspirée en leur en attribuant autant pour moi. Ces douces illusions sont détruites. La triste vérité que le temps et la raison m'ont dévoilée en me faisant sentir mon malheur m'a fait voir qu'il était sans remède et qu'il ne me restait qu'à m'y résigner. Ainsi toutes les expériences de mon âge sont pour moi, dans mon état, sans utilité présente et sans profit pour l'avenir.

Nous revoilà en T1 (persécutions politiques). J’ai vécu également ce douloureux retour sur le passé qui fait découvrir les trames dans lesquelles nous avons été le jouet et dont nous ignorions tout. J’ai été aussi : « leur dupe et leur victime » alors que comme toi, je m’imaginais aimé d’eux comme je les aimais.

Cette délibération et la conclusion que j'en tirai ne semblent-elles pas avoir été dictées par le ciel même pour me préparer à la destinée qui m'attendait et me mettre en état de la soutenir ? Que serais-je devenu, que deviendrais-je encore, dans les angoisses affreuses qui m'attendaient et dans l'incroyable situation où je suis réduit pour le reste de ma vie, si, resté sans asile où je pusse échapper à mes implacables persécuteurs, sans dédommagement des opprobres qu'ils me font essuyer en ce monde et sans espoir d'obtenir jamais la justice qui m'était due, je m’étais vu livré tout entier au plus horrible sort qu'ait éprouvé sur la terre aucun mortel ? Tandis que, tranquille dans mon innocence, je n'imaginais qu'estime et bienveillance pour moi parmi les hommes tandis que mon cœur ouvert et confiant s'épanchait avec des amis et des frères, les traîtres m'enlaçaient en silence de rets forgés au fond des enfers. Surpris par les plus imprévus de tous les malheurs et les plus terribles pour une âme fière, traîné dans la fange sans jamais savoir par qui ni pourquoi, plongé dans un abîme d'ignominie, enveloppé d'horribles ténèbres à travers lesquelles je n'apercevais que de sinistres objets, à la première surprise je fus terrassé, et jamais je ne serais revenu de l'abattement où me jeta ce genre imprévu de malheurs si je ne m'étais ménagé d'avance des forces pour me relever dans mes chutes.

Comme toi, je pense que ce que nous vivons est un des plus horribles sorts qu’ait éprouvé sur la terre aucun mortel. Comme toi j’ai été terrassé quand j’ai entraperçu leurs horribles ténèbres. Comme toi, j’ai eu la chance, avant de tomber, d’avoir ménagé d’avance des forces pour pouvoir me relever. Au cours de ma vie, j’ai vu beaucoup d’hommes et de femmes faire preuve d’un courage incroyable face à la pauvreté, l’esclavage, la maladie, le handicap ou face à la mort. Mais face à cela, je ne connais quasiment que toi et moi, mon cher Rousseau. Et pourtant nous ne sommes pas seuls. Contrairement à ce que tu écris plus loin, je pense qu’il y a eu beaucoup d'hommes (dans la même situation que nous) avant toi, beaucoup après et il y en aura encore beaucoup après moi. Un de mes buts -- et je sais que tu as eu un but identique sans succès -- est de trouver ceux qui vivent actuellement la même situation.

Ce ne fut qu'après des années d'agitations que, reprenant enfin mes esprits et commençant de rentrer en moi-même, je sentis le prix des ressources que je m'étais ménagées pour l'adversité. Décidé sur toutes les choses dont il m'importait de juger, je vis, en comparant mes maximes à ma situation, que je donnais aux insensés jugements des hommes et aux petits événements de cette courte vie beaucoup plus d'importance qu'ils n'en avaient. Que cette vie n'étant qu'un état d’épreuves, il importait peu que ces épreuves fussent de telle ou telle sorte pourvu qu'il en résultât l'effet auquel elles étaient destinées, et que par conséquent plus les épreuves étaient grandes, fortes, multipliées, plus il était avantageux de les savoir soutenir. Toutes les plus vives peines perdent leur force pour quiconque en voit le dédommagement grand et sûr, et la certitude de ce dédommagement était le principal fruit que j'avais retiré de mes méditations précédentes. Il est vrai qu'au milieu des outrages sans nombre et des indignités sans mesure dont je me sentais accablé de toutes parts, des intervalles d'inquiétude et de doutes venaient de temps à autre ébranler mon espérance et troubler ma tranquillité. Les puissantes objections que je n'avais pu résoudre se présentaient alors à mon esprit avec plus de force pour achever de m'abattre précisément dans les moments où, surchargé du poids de ma destinée, j'étais prêt à tomber dans le découragement. Souvent des arguments nouveaux que j'entendais faire me revenaient dans l'esprit à l'appui de ceux qui m'avaient déjà tourmenté. Ah ! me disais-je alors dans des serrements de cœur prêts à m'étouffer, qui me garantira du désespoir si dans l'horreur de mon sort je ne vois plus que des chimères dans les consolations que me fournissait ma raison ? Si, détruisant ainsi son propre ouvrage, elle renverse tout l'appui d'espérance et de confiance qu'elle m'avait ménagé dans l'adversité ? Quel appui que des illusions qui ne bercent que moi seul au monde ? Toute la génération présente ne voit qu'erreurs et préjugés dans les sentiments dont je me nourris seul ; elle trouve la vérité, l'évidence, dans le système contraire au mien, elle semble même ne pouvoir croire que je l'adopte de bonne foi, et moi-même en m'y livrant de toute ma volonté j'y trouve des difficultés insurmontables qu'il m'est impossible de résoudre et qui ne m'empêchent pas d'y persister. Suis-je donc seul sage, seul éclairé parmi les mortels ? Pour croire que les choses sont ainsi suffit-il qu'elles me conviennent ? Puis-je prendre une confiance éclairée en des apparences qui n'ont rien de solide aux yeux du reste des hommes et qui me sembleraient même illusoires à moi-même si mon cœur ne soutenait pas ma raison ? N'eût-il pas mieux valu combattre mes persécuteurs à armes égales en adoptant leurs maximes que de rester sur les chimères des miennes en proie à leurs atteintes sans agir pour les repousser ? Je me crois sage et je ne suis que dupe, victime et martyr d'une vaine erreur.

« Je donnais aux insensés jugements des hommes et aux petits événements de cette courte vie beaucoup plus d'importance qu'ils n'en avaient »: Je te rejoins également sur cette idée et c’est pourquoi un grand nombre de citations de « Couleur » illustrent cette idée comme les citations 206, 211, 298 (stoïcisme) ou 333, 334, 336, 343 ,344 (spiritualité orientale). Très souvent également comme pour toi, le désespoir ébranle mes maximes et je n’y vois alors plus que des chimères. Heureusement, ces états de doute et d’incertitude durent peu car comme tu le dis ci-dessous, quelques jours, quelques semaines dans cet état peuvent suffire pour nous ôter la vie.

Combien de fois dans ces moments de doute et d'incertitude je fus prêt à m'abandonner au désespoir ! Si jamais j'avais passé dans cet état un mois entier c'était fait de ma vie et de moi. Mais ces crises quoiqu’autrefois assez fréquentes, ont toujours été courtes, et maintenant que je n'en suis pas délivré tout à fait encore elles sont si rares et si rapides qu'elles n'ont pas même la force de troubler mon repos. Ce sont de légères inquiétudes qui n'affectent pas plus mon âme qu'une plume qui tombe dans la rivière ne peut altérer le cours de l'eau. J'ai senti que remettre en délibération les mêmes points sur lesquels je m'étais ci-devant décidé était me supposer de nouvelles lumières ou le jugement plus formé ou plus de zèle pour la vérité que je n'avais lors de mes recherches, qu'aucun de ces cas n'étant ni ne pouvant être le mien, je ne pouvais préférer par aucune raison solide des opinions qui dans l'accablement du désespoir ne me tentaient que pour augmenter ma misère, à des sentiments adoptés dans la vigueur de l'âge, dans toute la maturité de l'esprit, après examen le plus réfléchi, et dans des temps où le calme de ma vie ne me laissait d'autre intérêt dominant que celui de connaître la vérité. Aujourd'hui que mon cœur serré de détresse, mon âme affaissée par les ennuis, mon imagination effarouchée, ma tête troublée par tant d'affreux mystères dont je suis environné aujourd'hui que toutes mes facultés, affaiblies par la vieillesse et les angoisses, ont perdu tout leur ressort, irai-je m'ôter à plaisir toutes les ressources que je m'étais ménagées, et donner plus de confiance à ma raison déclinante pour me rendre injustement malheureux qu'à ma raison pleine et vigoureuse pour me dédommager des maux que je souffre sans les avoir mérités ? Non, je ne suis ni plus sage, ni mieux instruit, ni de meilleure foi que quand Je me décidai sur ces grandes questions, je n'ignorais pas alors les difficultés dont je me laisse troubler aujourd'hui, elles ne m'arrêtèrent pas, et s'il s'en présente quelques nouvelles dont on ne s'était pas encore avisé, ce sont les sophismes d'une subtile métaphysique qui ne sauraient balancer les vérités éternelles admises de tous les temps, par tous les sages reconnues par toutes les nations et gravées dans le cœur humain en caractères ineffaçables.

[…]

En prenant la doctrine de mes persécuteurs, prendrais-je aussi leur morale ? Cette morale sans racine et sans fruit qu'ils étalent pompeusement dans des livres ou dans quelque action d'éclat sur le théâtre, sans qu'il en pénètre jamais rien dans le cœur ni dans la raison - ou bien cette autre morale secrète et cruelle, doctrine intérieure de tous leurs initiés, à laquelle l'autre ne sert que de masque, qu'ils suivent seule dans leur conduite et qu'ils ont si habilement pratiquée à mon égard. Cette morale, purement offensive, ne sert point à la défense et n'est bonne qu'à l'agression. De quoi me servirait-elle dans l'état où ils m'ont réduit ? Ma seule innocence me soutient dans les malheurs, et combien me rendrais-je plus malheureux encore, si m'ôtant cette unique mais puissante ressource, j'y substituais la méchanceté ? Les atteindrais-je dans l'art de nuire, et quand j'y réussirais de quel mal me soulagerait celui que je leur pourrais faire ? Je perdrais ma propre estime et je ne gagnerais rien à la place.

Leur morale secrète -- que j’appelle plus simplement « le mal » --, je ne crois pas que ni toi ni moi n’aurions jamais pu nous y livrer. Les encyclopédies d’aujourd’hui décrivent ta philosophie en disant qu’elle est bâtie autour de l'idée que l'Homme est naturellement bon et que c’est la société qui le corrompt. Je ne sais pas si cela est vrai pour tous les hommes, mais pour toi, je n’en doute pas : tu es né et es demeuré naturellement bon et c’est pour cela que la société n’a jamais pu te corrompre. Il n’est pas impossible que « leur morale secrète » soit basée sur l’idée inverse : l’homme nait mauvais, perverti, égoïste et il faut le faire rentrer secrètement dans un cadre par la force et la violence (lui imposer silence et obéissance) pour qu’ensuite, on puisse lui proposer des lignes de vie à peu près compatibles avec la vie en société en lui donner le sentiment d’une vie complète, morale grâce aux nombreux « services secrets » qu’il aura pu rendre aux autres durant sa vie. Dois-je préciser que cela inclut également « le devoir » de persécuter ceux qui s’y refusent et fait donc s’écrouler le prétendu édifice moral ainsi construit ? Je ne doute pas que bon nombre d’orateurs ont traité cette question en long et en large et discouru secrètement dans tous les sens mais ils ne convaincront jamais des Hommes comme toi et moi. Nous sommes nés bons et il est vrai qu’on peut tomber dans tout un tas de leurs pièges mais leur faire ce qu’ils nous font, nous ne le pourrons jamais. Là se trouve toute la différence entre eux et nous.

[…]

Mais la patience, la douceur, la résignation, l'intégrité, la justice impartiale sont un bien qu'on emporte avec soi, et dont on peut s'enrichir sans cesse, sans craindre que la mort même nous en fasse perdre le prix. C'est à cette unique et utile étude que je consacre le reste de ma vieillesse. Heureux si par mes progrès sur moi-même j'apprends à sortir de la vie, non meilleur, car cela n'est pas possible, mais plus vertueux que je n'y suis entré.

Qu’il est bon de lire un Homme comme toi. Que je me sens proche de toi mon cher Rousseau.

Quatrième Promenade

En tout ce qui tient aux vérités historiques, en tout ce qui a trait à la conduite des hommes, à la justice, à la sociabilité, aux lumières utiles, il garantira de l'erreur et lui-même et les autres autant qu'il dépendra de lui.

[…]

Au milieu du dîner, l'aînée, qui est mariée depuis peu et qui était grosse, s'avisa de me demander brusquement et en me fixant si j'avais eu des enfants. Je répondis en rougissant jusqu'aux yeux que je n'avais pas eu ce bonheur. Elle sourit malignement en regardant la compagnie : tout cela n'était pas bien obscur, même pour moi. Il est clair d'abord que cette réponse n'est point celle que j'aurais voulu faire, quand même j'aurais eu l'intention d'en imposer ; car dans la disposition où je voyais les convives j'étais bien sûr que ma réponse ne changeait rien à leur opinion sur ce point. On s'attendait à cette négative, on la provoquait même pour jouir du plaisir de m'avoir fait sentir. Je n'étais pas assez bouché pour ne pas sentir cela.

On voit ici une des techniques de base pour faire mal à quelqu’un. Ils semblent tous avoir appris ces techniques et les mettent en œuvre avec un zèle infini. Ils jouent tous parfaitement leur rôle et je ne distingue pas les bons des mauvais acteurs. Je subis ce genre de monstruosité tous les jours.

[…]

Je n'ai jamais mieux senti mon aversion naturelle sur le mensonge qu'en écrivant mes Confessions, car c'est là que les tentations auraient été fréquentes et fortes, pour peu que mon penchant m'eût porté de ce côté. Mais loin d'avoir rien tu, rien dissimulé qui fût à ma charge, par un tour d'esprit que j'ai peine à m'expliquer et qui vient peut-être de l'éloignement pour toute imitation, je me sentais plutôt porté à mentir dans le sens contraire en n'accusant avec trop de sévérité qu'en m'excusant avec trop d'indulgence, et ma conscience m'assure qu'un jour je serai jugé moins sévèrement que je ne me suis jugé moi-même. Oui, je le dis et le sens avec une fière élévation d'âme, j'ai porté dans cet écrit la bonne foi, la véracité, la franchise aussi loin, plus loin même, au moins je le crois, que ne fit jamais aucun autre homme. Sentant que le bien surpassait le mal j'avais mon intérêt à tout dire, et j'ai tout dit.

C’est visible à de nombreux endroits et je ne doute pas de ta sincérité. A plusieurs endroits, tu t’accuses de ne pas avoir fait beaucoup de bien aux autres. Je pense que tu te trompes. Ton exemple et ton écrit m’ont fait beaucoup de bien et il est probable que cela a inspiré, inspire et inspirera de l’espoir a beaucoup d’autres. Tes persécuteurs ont tout fait pour générer en toi ce sentiment d’inutilité et de ne pas savoir donner, de ne pas pouvoir faire du bien. Ce sentiment qu’ils ont réussi à induire en toi est faux, factice : il a pour objectif de te détruire de l’intérieur. Il est extrêmement difficile de faire du bien à autrui quand autrui n’interagit avec toi que dans le but de te piéger, de te nuire. Peut-être que ta destinée était de faire le bien par tes écrits en transmettant l’exemple de ta sincérité, de ton honnêteté et des montagnes d’effort que tu as fait pour transmettre la vérité aux générations futures.

[…]

Que si quelquefois sans y songer, par un mouvement involontaire, j'ai caché le côte difforme en me peignant de profil, ces réticences ont bien été compensées par d'autres réticences plus bizarres qui m'ont souvent fait taire le bien plus soigneusement que le mal. Ceci est une singularité de ma nature qu'il est fort pardonnable aux hommes de ne pas croire, mais qui, tout incroyable qu'elle est n'en est pas moins réelle : j'ai souvent dit le mal dans toute sa turpitude, j'ai rarement dit le bien dans tout ce qu'il eut d'aimable, et souvent je l'ai tu tout à fait parce qu'il m'honorait trop, et qu'en faisant mes Confessions j'aurais l'air d'avoir fait mon éloge.

[…]

Et il n'est jamais trop tard pour apprendre, même de ses ennemis, à être sage, vrai, modeste, et à moins présumer de soi.

Sixième Promenade

Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter ; mais il y a longtemps que ce bonheur a été mis hors de ma portée, et ce n'est pas dans un aussi misérable sort que le mien qu'on peut espérer de placer avec choix et avec fruit une seule action réellement bonne. Le plus grand soin de ceux qui règlent ma destinée ayant été que tout ne fût pour moi que fausse et trompeuse apparence, un motif de vertu n'est jamais qu'un leurre qu'on me présente pour m'attirer dans le piège où l'on veut m'enlacer. Je sais cela ; je sais que le seul bien qui soit désormais en ma puissance est de m'abstenir d'agir de peur de mal faire sans le vouloir et sans le savoir.

J’ai inclus la citation ci-dessus (en gras) dans « Couleur ». C’est la citation 302. Je répète ici que je crois que tu as fait beaucoup plus de bien aux autres que tu ne peux l’imaginer. Dans ta position, il est légitime de ne pas faire le bien quand tu suspectes un vil piège tendu. Dans ton intérêt d’une part mais aussi dans l’intérêt de ton persécuteur : en empêchant un persécuteur de persévérer dans son plan maléfique, tu lui évites de faire le mal et cela est un bien.

[…]

Convaincu par vingt ans d'expérience que tout ce que la nature a mis d'heureuses dispositions dans mon cœur est tourné par ma destinée et par ceux qui en disposent au préjudice de moi-même ou d'autrui, je ne puis plus regarder une bonne œuvre qu'on me présente à faire que comme un piège qu'on me tend et sous lequel est caché quelque mal. Je sais que, quel que soit l'effet de l'œuvre, je n'en aurai pas moins le mérite de ma bonne intention. Oui, ce mérite y est toujours sans doute, mais le charme intérieur n'y est plus, et sitôt que ce stimulant me manque, je ne sens qu'indifférence et glace au-dedans de moi, et sûr qu'au lieu de faire une action vraiment utile je ne fais qu'un acte de dupe, l'indignation de l'amour-propre jointe au désaveu de la raison ne m'inspire que répugnance et résistance où j'eusse été plein d'ardeur et de zèle dans mon état naturel. Il est des sortes d'adversités qui élèvent et renforcent l'âme, mais il en est qui l'abattent et la tuent ; telle est celle dont je suis la proie. Pour peu qu'il y eût eu quelque mauvais levain dans la mienne elle l'eût fait fermenter à l'excès, elle m'eût rendu frénétique ; mais elle ne m'a rendu que nul. Hors d'état de bien faire et pour moi-même et pour autrui, je m'abstiens d'agir ; et cet état, qui n'est innocent que parce qu'il est forcé, me fait trouver une sorte de douceur à me livrer pleinement sans reproche à mon penchant naturel. Je vais trop loin sans doute, puisque j'évite les occasions d'agir, même où je ne vois que du bien à faire. Mais certain qu'on ne me laisse pas voir les choses comme elles sont, je m'abstiens de juger sur les apparences qu'on leur donne, et de quelque leurre qu'on couvre les motifs d'agir il suffit que ces motifs soient laissés à ma portée pour que je sois sûr qu'ils sont trompeurs. Ma destinée semble avoir tendu dès mon enfance le premier piège qui m'a rendu longtemps si facile à tomber dans tous les autres. Je suis né le plus confiant des hommes et durant quarante ans entiers jamais cette confiance ne fut trompée une seule fois. Tombé tout d'un coup dans un autre genre de gens et de choses j'ai donné dans mille embûches sans jamais en apercevoir aucune, et vingt ans d'expérience ont à peine suffi pour m'éclairer sur mon sort. Une fois convaincu qu'il n'y a que mensonge et fausseté dans les démonstrations grimacières qu'on me prodigue, j'ai passé rapidement à l'autre extrémité : car quand on est une fois sorti de son naturel, il n'y a plus de bornes qui nous retiennent. Dès lors je me suis dégoûté des hommes, et ma volonté concourant avec la leur cet égard me tient encore plus éloigné d'eux que font toutes leurs machines.

J’ai dit ce que j’avais à dire concernant le bien que tu as fait et que tu as la modestie de ne pas souligner. Je précise pour un lecteur non-informé que tout ce que tu expliques concernant les leurres, les pièges de tout type et y compris ceux tendus en vue -- soi-disant -- de te faire faire une bonne action sont bien réels et non le fruit d’une quelconque paranoïa.

[…]

L'orgueil peut-être se mêle encore à ces égarements, je me sens trop au-dessus d'eux pour les haïr. Ils peuvent m'intéresser tout au plus jusqu'au mépris, mais jamais jusqu'à la haine. Enfin je m'aime trop moi-même pour pouvoir haïr qui que ce soit. Ce serait resserrer, comprimer mon existence, et je voudrais plutôt l'étendre sur tout l'univers.

Je partage avec toi et Ernst Junger le sentiment d’être incapable de haine envers mes persécuteurs. Pourquoi sommes-nous fait ainsi ? je ne sais pas. Mais je soupçonne que cela ait un lien avec le fait même que nous soyons persécutés.

[…]

Si j'eusse été possesseur de l'anneau de Gygès, il m'eût tiré de la dépendance des hommes et les eût mis dans la mienne. Je me suis souvent demandé, dans mes châteaux en Espagne, quel usage j'aurais fait de cet anneau ; car c'est bien là que la tentation d'abuser doit être près du pouvoir. Maître de contenter mes désirs, pouvant tout sans pouvoir être trompé par personne, qu'aurais-je pu désirer avec quelque suite ? Une seule chose : c'eût été de voir tous les cœurs contents. L'aspect de la félicité publique eût pu seul toucher mon cœur d'un sentiment permanent, et l'ardent désir d'y concourir eût été ma plus constante passion. Toujours juste sans partialité et toujours bon sans faiblesse, je me serais également garanti des méfiances aveugles et des haines implacables ; parce que, voyant les hommes tels qu'ils sont et lisant aisément au fond de leurs cœurs, j'en aurais peu trouvé d'assez aimables pour mériter toutes mes affections, peu d'assez odieux pour mériter toute ma haine, et que leur méchanceté même m'eût disposé à les plaindre par la connaissance certaine du mal qu'ils se font à eux-mêmes en voulant en faire à autrui. Peut-être aurais-je eu dans des moments de gaieté l'enfantillage d'opérer quelquefois des prodiges : mais parfaitement désintéressé pour moi-même et n'ayant pour loi que mes inclinations naturelles, sur quelques actes de justice sévère j'en aurais fait mille de clémence et d'équité. Ministre de la Providence et dispensateur de ses lois selon mon pouvoir, j'aurais fait des miracles plus sages et plus utiles que ceux de la légende dorée et du tombeau de Saint-Médard. Il n'y a qu'un seul point sur lequel la faculté de pénétrer partout invisible m'eût pu faire chercher des tentations auxquelles j'aurais mal résisté, et une fois entré dans ces voies d'égarement, où n'eussé-je point été conduit par elles ? Ce serait bien mal connaître la nature et moi-même que de me flatter que ces facilités ne m'auraient point séduit, ou que la raison m'aurait arrêté dans cette fatale pente. Sûr de moi sur tout autre article j'étais perdu par celui-là seul. Celui que sa puissance met au-dessus de l'homme doit être au-dessus des faiblesses de l'humanité, sans quoi cet excès de force ne servira qu'à le mettre en effet au-dessous des autres et de ce qu'il eût été lui-même s'il fût resté leur égal. Tout bien considéré, je crois que je ferai mieux de jeter mon anneau magique avant qu'il m'ait fait faire quelque sottise. Si les hommes s'obstinent à me voir tout autre que je ne suis et que mon aspect irrite leur injustice, pour leur ôter cette vue il faut les fuir, mais non pas m'éclipser au milieu d'eux. C'est à eux de se cacher devant moi, de me dérober leurs manœuvres, de fuir la lumière du jour, de s'enfoncer en terre comme des taupes.

Concernant l’anneau et sans que cette idée me soit venue de toi, j’en ai parlé également dans mes ordres de mission. J’y confesse également le risque que cet anneau me fasse faire « quelques sottises ».

Concernant la dernière phrase « C'est à eux de se cacher devant moi, de me dérober leurs manœuvres, de fuir la lumière du jour, de s'enfoncer en terre comme des taupes. ». J’avoue qu’elle me fait du bien. Certes elle est méprisante et prend les autres de haut et c’est pour cela que je ne peux pas l’inclure dans « couleur » mais à défaut de pouvoir l’intégrer pleinement dans mon édifice, sache qu’elle me parle.

[…]

Le résultat que je puis tirer de toutes ces réflexions est que je n'ai jamais été vraiment propre à la société civile où tout est gêne, obligation devoir, et que mon naturel indépendant me rendit toujours incapable des assujettissements nécessaires à qui veut vivre avec les hommes. Tant que j'agis librement je suis bon et je ne fais que du bien ; mais sitôt que je sens le joug, soit de la nécessité soit des hommes, je deviens rebelle ou plutôt rétif, alors je suis nul. Lorsqu'il faut faire le contraire de ma volonté, je ne le fais point, quoi il arrive ; je ne fais pas non plus ma volonté, parce que je suis faible. Je m'abstiens d'agir : car toute ma faiblesse est pour l'action, toute ma force est négative, et tous mes péchés sont d'omission, rarement de commission. Je n'ai jamais cru que la liberté de l'homme consistât à faire ce qu'il veut, mais bien à ne jamais faire ce qu'il ne veut pas, et voilà celle que j'ai toujours clamée, souvent conservée, et par qui j'ai été le plus en scandale à mes contemporains. Car pour eux, actifs, remuants, ambitieux, détestant la liberté les uns des autres et n'en voulant point pour eux-mêmes pourvu qu'ils fassent quelquefois leur volonté, ou plutôt qu'ils dominent celle d'autrui, ils gênent toute leur vie à faire ce qui leur répugne, n'omettent rien de servile pour commander. Leur tort n'a donc pas été de m'écarter de la cité comme un membre inutile, mais de m'en proscrire comme un membre pernicieux : car j'ai peu fait de bien, je l'avoue, mais pour du mal, il n'en est entré dans ma volonté de ma vie, et je doute qu'il y ait aucun homme au monde qui en ait réellement moins fait que moi.

Oui, Rousseau, je te crois. Et je pense aussi que tu as fait plus de bien que tu ne l’imagines.

Septième Promenade

Je ne peux rien à mon sort, je n'ai que des inclinations innocentes et tous les jugements des hommes étant désormais nuls pour moi, la sagesse même veut qu'en ce qui reste à ma portée je fasse tout ce qui me flatte, soit en public soit à part moi, sans autre règle que ma fantaisie, et sans autre mesure que le peu de force qui m'est resté. Me voilà donc à mon foin pour toute nourriture, et à la botanique pour toute occupation.

[…]

Je ne cherche pas à justifier le parti que je prends de suivre cette fantaisie, je la trouve très raisonnable, persuadé que dans la position où je suis, me livrer aux amusements qui me flattent est une grande sagesse, et même une grande vertu : c'est le moyen de ne laisser germer dans mon cœur aucun levain de vengeance ou de haine, et pour trouver encore dans ma destinée du goût à quelque amusement, il faut assurément avoir un naturel bien épuré de toutes passions irascibles. C'est me venger de mes persécuteurs à ma manière, je ne saurais les punir plus cruellement que d'être heureux malgré eux.

J’ai des inclinations assez proches pour l’étude et la communion avec la nature. Je transmets donc le remède que tu proposes aux personnes victimes de persécutions similaires. Il ne guérit peut-être pas de tout mais il atténue le mal.

[…]

Tant que les hommes furent mes frères, je me faisais des projets de félicité terrestre ; ces projets étant toujours relatifs au tout je ne pouvais être heureux que de la félicité publique, et jamais l'idée d'un bonheur particulier n'a touché mon cœur que quand j'ai vu mes frères ne chercher le leur que dans ma misère. Alors pour ne les pas haïr il a bien fallu les fuir ; alors, me réfugiant chez la mère commune, j'ai cherché dans ses bras à me soustraire aux atteintes de ses enfants, je suis devenu solitaire, ou comme ils disent, insociable et misanthrope, parce que la plus sauvage solitude me paraît préférable à la société des méchants, qui ne se nourrit que de trahisons et de haine.

Huitième Promenade

Que me manque-t-il aujourd'hui pour être le plus infortuné des mortels ? Rien de tout ce que les hommes ont pu mettre du leur pour cela. Eh bien, dans cet état déplorable je ne changerais pas encore d'être et de destinée contre le plus fortuné d'entre eux, et j'aime encore mieux être moi dans toute ma misère que d'être aucun de ces gens-là dans toute leur prospérité. Réduit à moi seul, je me nourris, il est vrai, de ma propre substance, mais elle ne s'épuise pas et je me suffis à moi-même, quoique je rumine pour ainsi dire à vide et que mon imagination tarie et mes idées éteintes ne fournissent plus d'aliments à mon cœur.

[…]

C'est à ce retour sur nous-mêmes que nous force l'adversité, et c'est peut-être là ce qui la rend le plus insupportable à la plupart des hommes. Pour moi qui ne trouve à me reprocher que des fautes, j'en accuse ma faiblesse et je me console ; car jamais mal prémédité n'approcha de mon cœur.

Il est vrai que cette forme d’adversité sous forme de persécution nous force à un retour sur nous-même pour analyser nos fautes passées. De plus, le fait d’être en permanence épié induit une modification, une correction de nos comportements, qu’on le veuille ou non et donc consciemment ou pas. Ce retour sur nous-même et la modification de nos comportements est souvent une mauvaise chose car elle est induite et souhaitée par nos persécuteurs. Mais elle est aussi parfois une bonne chose et donc une chance : la possibilité qui nous est offerte de nous corriger et de mieux nous préparer à d’autres formes d’adversité.

Cependant, à moins d'être stupide, comment contempler un moment ma situation sans la voir aussi horrible qu'ils l'ont rendue, et sans périr de douleur et de désespoir ? Loin de cela, moi le plus sensible des êtres, je la contemple et ne m'en émeus pas, et sans combats, sans efforts sur moi- même, je me vois presque avec indifférence dans un état dont nul autre homme peut-être ne supporterait l'aspect sans effroi. Comment en suis-je venu là ? Car j'étais bien loin de cette disposition paisible au premier soupçon du complot dont j'étais enlacé depuis longtemps sans m'en être aucunement aperçu. Cette découverte nouvelle me bouleversa. L'infamie et la trahison me surprirent au dépourvu. Quelle âme honnête est préparée à de tels genres de peines ? Il faudrait les mériter pour les prévoir. Je tombai dans tous les pièges qu'on creusa sous mes pas, l'indignation, la fureur, le délire s'emparèrent de moi, je perdis la tramontane, ma tête se bouleversa, et dans les ténèbres horribles où l'on n'a cessé de me tenir plongé je n'aperçus plus ni lueur pour me conduire, ni appui ni prise où je pusse me tenir ferme et résister au désespoir qui m'entraînait. Comment vivre heureux et tranquille dans cet état affreux ? J'y suis pourtant encore et plus enfoncé que jamais, et j'y ai retrouvé le calme et la paix et j'y vis heureux et tranquille et j'y ris des incroyables tourments que mes persécuteurs se donnent sans cesse tandis que je reste en paix occupé de fleurs, d'étamines et d'enfantillages, et que je ne songe pas même à eux. Comment s'est fait ce passage ? Naturellement insensiblement et sans peine. La première surprise fut épouvantable. Moi qui me sentais digne d'amour et d'estime, moi qui me croyais honoré, chéri comme je méritais de l'être, je me vis travesti tout d'un coup en un monstre affreux tel qu'il n'en exista jamais. Je vois toute une génération se précipiter tout entière dans cette étrange opinion, sans explication, sans doute, sans honte, et sans que je puisse parvenir à savoir jamais la cause de cette étrange révolution. Je me débattis avec violence et ne fis que mieux m'enlacer. Je voulus forcer mes persécuteurs à s'expliquer avec moi, ils n'avaient garde. Après m'être longtemps tourmenté sans succès, il fallut bien prendre haleine. Cependant j'espérais toujours, je me disais : Un aveuglement si stupide, une si absurde prévention ne saurait gagner tout le genre humain. Il y a des hommes de sens qui ne partagent pas le délire, il y a des âmes justes qui détestent la fourberie et les traîtres. Cherchons, je trouverai peut-être enfin un homme et si je le trouve, ils sont confondus. J'ai cherché vainement, je ne l'ai point trouvé. La ligue est universelle, sans exception, sans retour, et je suis sûr d'achever mes jours dans cette affreuse proscription, sans jamais en pénétrer le mystère.

Mon cher Rousseau, le mystère est identique pour moi. Je ne connais toujours pas la vérité. Il semble que tu ais fini tes jours sans la connaître. Je m’y prépare également.

C'est dans cet état déplorable qu'après de longues angoisses, au lieu du désespoir qui semblait devoir être enfin mon, partage, j'ai retrouvé la sérénité, la tranquillité, la paix, le bonheur même, puisque chaque jour de ma vie me rappelle avec plaisir celui de la veille, et que je n'en désire point d'autre pour le lendemain.

D'où vient cette différence ? D'une seule chose.

C'est que j'ai appris à porter le joug de la nécessité sans murmure. C'est que je m'efforçais de tenir encore à mille choses et que toutes ces prises m'ayant successivement échappé, réduit à moi seul j'ai repris enfin mon assiette. Pressé de tous côtés je demeure en équilibre, parce que je ne m'attache plus à rien, je ne m'appuie que sur moi.

[…]

Mais quand, après de longues et vaines recherches, je les vis tous rester sans exception dans le plus inique et absurde système que l'esprit infernal pût inventer ; quand je vis qu'à mon égard la raison était bannie de toutes les têtes et l'équité de tous les cœurs ; quand je vis une génération frénétique se livrer tout entière à l'aveugle fureur de ses guides contre un infortuné qui jamais ne fit, ne voulut, ne rendit de mal à personne, quand après avoir vainement cherché un homme il fallut éteindre enfin ma lanterne et m'écrier : Il n'y en a plus ; alors je commençai à me voir seul sur la terre, et je compris que mes contemporains n'étaient par rapport à moi que des êtres mécaniques qui n'agissaient que par impulsion et dont je ne pouvais calculer l'action que par les lois du mouvement. Quelque intention, quelque passion que j'eusse pu supposer dans leurs âmes, elles n'auraient jamais expliqué leur conduite à mon égard d'une façon que je pusse entendre. C'est ainsi que leurs dispositions intérieures cessèrent d'être quelque chose pour moi. Je ne vis plus en eux que des masses différemment mues, dépourvues à mon égard de toute moralité.

246 ans plus tard, je suis exactement dans le même cas que toi mais je n’ai pas encore éteint ma lanterne. Cette opération de secours a pour objectif de laisser une petite lanterne allumée en permanence sur internet, comme tu l’as fait toi avec tes manuscrits écrits sur papier. Je ne t’explique pas ce qu’est internet parce que là où tu es, cela t’importe peu ! Ensuite, si aucun Homme ne vient à moi -- et je pense qu’il n’en viendra aucun -- , je ferai comme toi : je passerai à autre chose.

Les êtres mécaniques dont tu parles me questionnent également beaucoup et me renvoient souvent à la théorie 2.

[…]

L'homme sage qui ne voit dans tous les malheurs qui lui arrivent que les coups de l'aveugle nécessité n'a point ces agitations insensées il crie dans sa douleur mais sans emportement, sans colère ; il ne sent du mal dont il est la proie que l'atteinte matérielle, et les coups qu'il reçoit ont beau blesser sa personne, pas un n'arrive jusqu'à son cœur.

C'est beaucoup que d'en être venu là, mais ce n'est pas tout si l'on s'arrête. C'est bien avoir coupé le mal mais c'est avoir, laissé la racine. Car cette racine n'est pas dans les êtres qui nous sont étrangers, elle est en nous-mêmes et c'est là qu'il faut travailler pour l'arracher tout à fait. Voilà ce que je sentis parfaitement dès que je commençai de revenir à moi. Ma raison ne me montrant qu'absurdités dans toutes les explications que je cherchais à donner à ce qui m'arrive, je compris que les causes, les instruments, les moyens de tout cela m'étant inconnus et inexplicables, devaient être nuls pour moi. Que je devais regarder tous les détails de ma destinée comme autant d'actes d'une pure fatalité où je ne devais supposer ni direction, ni intention, ni cause morale, qu'il fallait m'y soumettre sans raisonner et sans regimber, parce que cela était inutile, que tout ce que j'avais à faire encore sur la terre étant de m'y regarder comme un être purement passif, je ne devais point user à résister inutilement à ma destinée la force qui me restait pour la supporter. Voilà ce que je me disais.

Sage pensée que tu as ici et qui renvoie également à la théorie 2.

[…]

Les offenses, les vengeances, les passe-droits, les outrages, les injustices ne sont rien pour celui qui ne voit dans les maux qu'il endure que le mal même et non pas l'intention, pour celui dont la place ne dépend pas dans sa propre estime de celle qu'il plaît aux autres de lui accorder. De quelque façon que les hommes veuillent me voir, ils ne sauraient changer mon être, et malgré leur puissance et malgré toutes leurs sourdes intrigues, je continuerai, quoi qu'ils fassent, d'être en dépit d'eux ce que je suis. Il est vrai que leurs dispositions à mon égard influent sur ma situation réelle, la barrière qu'ils ont mise entre eux et moi m'ôte toute ressource de subsistance et d'assistance dans ma vieillesse et mes besoins. Elle me rend l'argent même inutile, puisqu'il ne peut me procurer les services qui me sont nécessaires, il n'y a plus ni commerce ni secours réciproque ni correspondance entre eux et moi. Seul au milieu d'eux, je n'ai que moi seul pour ressource et cette ressource est bien faible à mon âge et dans l'état où je suis. Ces maux sont grands, mais ils ont perdu sur moi toute leur force depuis que j'ai su les supporter sans m'en irriter. Les points où le vrai besoin se fait sentir sont toujours rares. La prévoyance et l'imagination les multiplient, et c'est par cette continuité de sentiments qu'on s'inquiète et qu'on se rend malheureux. Pour moi j'ai beau savoir que je souffrirai demain, il me suffit de ne pas souffrir aujourd'hui pour être tranquille. Je ne m'affecte point du mal que je prévois mais seulement de celui que je sens, et cela le réduit à très peu de chose. Seul, malade et délaissé dans mon lit, j'y peux mourir d'indigence, de froid et de faim sans que personne s'en mette en peine. Mais qu'importe, si je ne m'en mets pas en peine moi-même et si je m'affecte aussi peu que les autres de mon destin quel qu'il soit ? N'est-ce rien, surtout à mon âge, que d'avoir appris à voir la vie et la mort, la maladie et la santé, la richesse et la misère, la gloire et la diffamation avec la même indifférence ? Tous les autres vieillards s'inquiètent de tout, moi je ne m'inquiète de rien, quoi qu'il puisse arriver tout m'est indifférent, et cette indifférence n'est pas l'ouvrage de ma sagesse, elle est celui de mes ennemis et devient une compensation des maux qu'ils me font. En me rendant insensible à l'adversité ils m'ont fait plus de bien que s'ils m'eussent épargné ses atteintes.

Comme toi, j’essaie de ne voir dans les attaques que le mal et non l’intention. Mais comme tu le sais, c’est difficile.

[…]

En tout ceci l'amour de moi-même fait toute l'œuvre, l'amour-propre n'y entre pour rien. Il n'en est pas ainsi des tristes moments que je passe encore au milieu des hommes, jouet de leurs caresses traîtresses de leurs compliments ampoulés et dérisoires, de leur mielleuse malignité. De quelque façon que je m'y sois pu prendre, l'amour-propre alors fait son jeu. La haine et l'animosité que je vois dans leurs cœurs à travers cette grossière enveloppe déchirent le mien de douleur et l'idée d'être ainsi sottement pris pour dupe ajoute encore à cette douleur un dépit très puéril, fruit d'un sot amour-propre dont je sens toute la bêtise mais que je ne puis subjuguer. Les efforts que j'ai faits pour m'aguerrir à ces regards insultants et moqueurs sont incroyables. Cent fois je suis passé par les promenades publiques et par les lieux les plus fréquentées dans l'unique dessein de m'exercer à ces cruelles bourdes ; non seulement je n'y ai pu parvenir mais je n'ai même rien avancé, et tous mes pénibles mais vains efforts m'ont laissé tout aussi facile à troubler, à navrer, à indigner qu'auparavant.

Dominé par mes sens quoi que je puisse faire, je n'ai jamais su résister à leurs impressions, et tant que l'objet agit sur eux mon cœur ne cesse d'en être affecté, mais ces affections passagères ne durent qu'autant que la sensation qui les cause. La présence de l'homme haineux m'affecte violemment, mais sitôt qu'il disparaît l'impression cesse ; à l'instant que je ne le vois plus je n'y pense plus. J'ai beau savoir qu'il va s'occuper de moi, je ne saurais m'occuper de lui. Le mal que je ne sens point actuellement ne m'affecte en aucune sorte, le persécuteur que je ne vois point est nul pour moi. Je sens l'avantage que cette position donne à ceux qui disposent de ma destinée. Qu'ils en disposent donc tout à leur aise. J'aime encore mieux qu'ils me tourmentent sans résistance que d'être forcé de penser à eux pour me garantir de leurs coups. Cette action de mes sens sur mon cœur fait le seul tourment de ma vie. Les jours où je ne vois personne, je ne pense plus à ma destinée, je ne la sens plus, je ne souffre plus, je suis heureux et content sans diversion sans obstacle. Mais s'échappe rarement à quelque atteinte sensible et lorsque j'y pense le moins, un geste, un regard sinistre que j'aperçois, un mot envenimé que j'entends, un malveillant que je rencontre suffit pour me bouleverser. Tout ce que je puis faire en pareil cas est d'oublier bien vite et de fuir. Le trouble de mon cœur disparaît avec l'objet qui l'a causé et je rentre dans le calme aussitôt que je suis seul. Ou si quelque chose m'inquiète, c'est la crainte de rencontrer sur mon passage quelque nouveau sujet de douleur. C'est là ma seule peine, mais elle suffit pour altérer mon bonheur.

Les choses se passent de manière très similaire pour moi. Je confirme que l’entrainement pour s’exercer à supporter les persécutions au moment même où elles frappent, n’a que peu porté ses fruits. En revanche, l’affection n’est que passagère et cesse très vite comme pour toi. Un travail de fond a sans doute largement contribué à en arriver là. Ces informations peuvent aider ceux qui sont victimes du même sort : ils peuvent prendre acte des deux points ci-dessus que nous confirmons tous les deux. Néanmoins ce n’est pas parce que notre entrainement n’a pas permis de nous immuniser complétement contre les attaques que d’autres ne réussiront pas. Ainsi bien loin de vouloir dissuader le lecteur dans la même situation, je l’engage à ne pas abandonner, à chercher et à trouver le chemin qui l’amène à être totalement insensible aux agressions.

[…]

Convaincu de l'impossibilité de contenir ces premiers mouvements involontaires, j'ai cessé tous mes efforts pour cela. Je laisse à chaque atteinte mon sang s'allumer, la colère et l'indignation s'emparer de mes sens, je cède à la nature cette première explosion que toutes mes forces ne pourraient arrêter ni suspendre. Je tâche seulement d'en arrêter les suites avant qu'elle ait produit aucun effet. Les yeux étincelants, le feu du visage, le tremblement des membres, les suffocantes palpitations, tout cela tient au seul physique et le raisonnement n'y peut rien, mais après avoir laissé faire au naturel sa première explosion l'on peut redevenir son propre maître en reprenant peu à peu ses sens ; c'est ce que j'ai tâché de faire longtemps sans succès, mais enfin plus heureusement. Et cessant d'employer ma force en vaine résistance, j'attends le moment de vaincre en laissant agir ma raison, car elle ne me parle que quand elle peut se faire écouter. Eh ! que dis-je, hélas ! ma raison ? J'aurais grand tort encore de lui faire l'honneur du triomphe, car elle n'y a guère de part. Tout vient également d'un tempérament versatile qu'un vent impétueux agite, mais qui rentre dans le calme à l'instant que le vent ne souffle plus. C'est mon naturel ardent qui m'agite, c'est mon naturel indolent qui m'apaise. Je cède à toutes les impulsions présentes, tout choc me donne un mouvement vif et court ; sitôt qu'il n'y a plus de choc, le mouvement cesse rien de communiqué ne peut se prolonger en moi. Tous les événements de la fortune, toutes les machines des hommes ont peu de prise sur un homme ainsi constitué. Pour m'affecter de peines durables, il faudrait que l'impression se renouvelât à chaque instant. Car les intervalles quelques courts qu'ils soient, suffisent pour me rendre à moi-même. Je suis ce qu'il plaît aux hommes tant qu'ils peuvent agir sur mes sens ; mais au premier instant de relâche, je redeviens ce que la nature a voulu, c'est là, quoi qu'on puisse faire mon état le plus constant et celui par lequel en dépit de la destinée je goûte un bonheur pour lequel je me sens constitué. J'ai décrit cet état dans une de mes rêveries. Il me convient si bien que je ne désire autre chose que sa durée et ne crains que de le voir troublé. Le mal que m'ont fait les hommes ne me touche en aucune sorte, la crainte seule de celui qu'ils peuvent me faire encore est capable de m'agiter ; mais certain qu'ils n'ont plus de nouvelle prise par laquelle ils puissent m'affecter d'un sentiment permanent, je me ris de toutes leurs trames et je jouis de moi-même en dépit d'eux.

Neuvième Promenade

Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l'homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d'y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes et nul ne peut s'assurer qu'il aimera demain ce qu'il aime aujourd'hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du contentement d'esprit quand il vient, gardons-nous de l'éloigner par notre faute mais ne faisons pas des projets pour l'enchaîner, car ces projets-là sont de pures folies. J'ai peu vu d'hommes heureux, peut-être point, mais j'ai souvent vu des cœurs contents, et de tous les objets qui m'ont frappé c'est celui qui m'a le plus contenté moi-même.

Encore un paragraphe très sage, très beau mon ami Rousseau. J’avoue caresser encore l’espoir d’atteindre une sérénité plus constante mais je note ton conseil qu’il est absurde de vouloir enchainer notre contentement d’esprit. J’apprécie également ta nuance entre les hommes heureux et les cœurs contents et je note encore à quel point ton esprit est fin.

[…]

En allant, je rêvais sur la visite de la veille et sur l'écrit de M. d'Alembert où je pensais bien que le placage épisodique n'avait pas été mis sans dessein, et la seule affectation de m'apporter cette brochure à moi à qui l'on cache tout, m'apprenait assez quel en était l'objet. J'avais mis mes enfants aux Enfants-Trouvés, c'en était assez pour m'avoir travesti en père dénaturé, et de là, en étendant et caressant cette idée, on en avait peu à peu tiré la conséquence évidente que je haïssais les enfants ; en suivant par la pensée la chaîne de ces gradations j'admirais avec quel art l'industrie humaine sait changer les choses du blanc au noir.

[…]

Je comprends que le reproche d'avoir mis mes enfants aux Enfants-Trouvés a facilement dégénéré, avec un peu de tournure, en celui d'être un père dénaturé et de haïr les enfants. Cependant il est sûr que c'est la crainte d'une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par toute autre voie qui m'a le plus déterminé dans cette démarche.

Plus indifférent sur ce qu'ils deviendraient et hors d'état de les élever moi-même, il aurait fallu dans ma situation les laisser élever par leur mère qui les aurait gâtés et par sa famille qui en aurait fait des monstres. Je frémis encore d'y penser. Ce que Mahomet fit de Séide n'est rien auprès de ce qu'on aurait fait d'eux à mon égard, et les pièges qu'on m'a tendus là-dessus dans la suite me confirment assez que le projet en avait été formé. A la vérité j'étais bien éloigné de prévoir alors ces trames atroces : mais je savais que l'éducation pour eux la moins périlleuse était celle des Enfant-Trouvés et je les y mis. Je le ferais encore avec bien moins de doute aussi si la chose était à faire et je sais bien que nul père n'est plus tendre que je l'aurais été pour eux, pour peu que l'habitude eût aidé la nature.

[Il me faudra clore une bonne fois pour toute cette histoire des enfants trouvés. Et je le ferai certainement dans la lettre d’introduction.] Dont acte.

[…]

Je vivais jadis avec plaisir dans le monde quand je n'y voyais dans tous les yeux que bienveillance, ou tout au pis indifférence dans ceux à qui j'étais inconnu. Mais aujourd'hui qu'on ne prend pas moins de peine à montrer mon visage au peuple qu'à lui masquer mon naturel, je ne puis mettre le pied dans la rue sans m'y voir entouré d'objets déchirants ; je me hâte de gagner à grands pas la campagne ; sitôt que je vois la verdure, je commence à respirer.

[…]

Je sens pourtant encore, il faut l'avouer, du plaisir à vivre au milieu des hommes tant que mon visage leur est inconnu. Mais c'est un plaisir qu'on ne me laisse guère.

[…]

Une de mes promenades favorites était autour de l'Ecole militaire et je rencontrais avec plaisir çà et là quelques invalides qui, ayant conservé l'ancienne honnêteté militaire, me saluaient en passant. Ce salut que mon cœur leur rendait au centuple me flattait et augmentait le plaisir que j'avais à les voir. Comme je ne sais rien cacher de ce qui me touche je parlais souvent des invalides et de la façon dont leur aspect m'affectait. Il n'en fallut pas davantage. Au bout de quelque temps je m'aperçus que je n'étais plus un inconnu pour eux, ou plutôt que je le leur étais bien davantage puisqu'ils me voyaient du même œil que fait le public. Plus d'honnêteté, plus de salutations. Un air repoussant, un regard farouche avaient succédé à leur première urbanité. L'ancienne franchise de leur métier ne leur laissant pas comme aux autres couvrir leur animosité d'un masque ricaneur et traître ils me montrent tout ouvertement la plus violente haine et tel est l'excès de ma misère que je suis forcé de distinguer dans mon estime ceux qui me déguisent le moins leur fureur.

[…]

J'eus encore ce plaisir l'année dernière en passant l'eau pour m'aller promener à l'île aux Cygnes. Un pauvre vieux invalide dans un bateau attendait compagnie pour traverser. Je me présentai ; je dis au batelier de partir. L'eau était forte et la traversée fut longue. Je n'osais presque pas adresser la parole à l'invalide de peur d'être rudoyé et rebuté comme à l'ordinaire, mais son air honnête me rassura. Nous causâmes. Il me parut homme de sens et de mœurs. Je fus surpris et charmé de son ton ouvert et affable, je n'étais pas accoutumé à tant de faveur ; ma surprise cessa quand j'appris qu'il arrivait tout nouvellement de province. Je compris qu'on ne lui avait pas encore montré ma figure et donné ses instructions. Je profitai de cet incognito pour converser quelques moments avec un homme et je sentis à la douceur que j'y trouvais combien la rareté des plaisirs les plus communs est capable d'en augmenter le prix.

Dans les différentes phrases en gras, tu traites de la question de la transmission de l’information : de l’information concernant ton visage pour te reconnaitre et des consignes à appliquer quand on te voit. Nous sommes alors en 1778 et l’appareil photo n’existe pas ni la transmission de l’information par ondes électromagnétiques. Tu penses donc sans doute que la transmission des traits de ton visage se fait par l’intermédiaire d’un dessin. D’autres part, il est question dans ta dispute avec Hume (en Angleterre) d’informations négatives à ton propos circulant « instantanément » dans toute la France. J’imagine que le « instantanément » sous-entend au mieux, à la vitesse d’un messager sur un cheval. Enfin selon toi, le « complot » touche au minimum toute l’Europe.

Faisons un comparatif avec ma situation. En 2023, il existe des moyens de communication qui permettent de transmettre des informations à n’importe quel endroit de la planète en moins d’une seconde ainsi que la photographie qui permet de reconnaitre quelqu’un plus facilement que sur un dessin. Enfin, dans « mon cas », le complot touche au minimum Europe et Amérique mais il est probablement mondial.

Pourtant je ne comprends toujours pas exactement comment se fait la transmission de l’information. Ce n’est pas une question qui me passionne mais elle mérite néanmoins d’être traitée et je le ferai peut-être ailleurs. Il pourrait s’agir d’une technologie gardée secrète permettant à tous les individus composant le système / le surhomme de recevoir et de transmettre de l’information sans fil via un dispositif miniature inséré dans l’oreille. Chaque agent étant alors guidable à la voix. Cette théorie vient du fait que les répartis de mes persécuteurs m’ont souvent paru arrivé « en temps réel » d’une part et parfois inintelligible pour eux-mêmes d’autre part : c’est comme s’ils répétaient ce qu’ils ont entendu dans une oreillette miniature sans en avoir compris le sens. On comprendrait mieux alors d’où vient l’idée, dans « la démocratie », de « donner sa voix à ». Il ne s’agirait pas d’une métaphore mais d’un fait. Celui qui parle n’est qu’un messager, un autre lui dicte les paroles. Ce n’est qu’une hypothèse et dans bien des cas, j’ai eu le sentiment inverse que mon interlocuteur / persécuteur se débrouille seul et crée lui-même le wrapper, l’intrigue, la pièce de théâtre dans laquelle il veut me faire jouer. Je suis donc à peu près perdu sur cette question de transmission de l’information et j’avoue que ce n’est pas ce qui me semble le plus important.

Un autre indice en faveur de l’hypothèse « oreillette » vient du « secret service » Américain. Dans les films (encore un truc, mon cher Rousseau que tu ne connais pas !), les agents sont en costard noir, avec des lunettes noires et une oreillette. On ne voit qu’eux ! Il ne peut donc pas s’agir raisonnablement d’agents secrets. Ces hommes incarneraient symboliquement ce que sont tous les autres (les vrais agents et donc quasiment tout le monde):

Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi personne ne parle. Si vous avez une sorte d’oreillette qui vous transmet tout un tas d’information concernant vos services et missions secrètes, concernant ceux que vous êtes chargé d’espionner, de manipuler, de persécuter, mais aussi des aides, services, conseils très particuliers ou très généralistes (sur votre manière de mener votre vie par exemple), on comprend mieux que vous soyez peu enclin à parler et révéler cet état de fait. Vous devenez dépendant de cette mamelle qui vous relie à tous les autres, assure votre sécurité, vous fournit tout un tas d’indications qui deviennent rapidement indispensables à votre vie etc… Dans leur langage « allemand » c’est-à-dire équivoque, ils parlent de « rouler en voiture » (avec mamelle /troisième œil) par rapport au fait de circuler à vélo (sans mamelle / sans troisième œil donc espionné en permanence par tous ceux qui circulent « en voiture »). Bien sûr si vous parlez ou n’obéissez pas suffisamment, on ne manquera pas de vous supprimer ce troisième œil, cette mamelle et vous subirez sans doute également le traitement des persécutés. De bonnes raisons de fermer sa gueule. Il ne s’agit ici que d’hypothèses qui s’accordent assez mal avec le fait, mon cher Rousseau, que tu vivais les mêmes persécutions sans que tout cet appareillage soit nécessaire. Néanmoins, ce ne sont pas les aspects techniques et scientifiques qui priment mais l’idée de « mamelle » dont ils ne peuvent plus se passer et qui représente un pan trop important de leur vie pour qu’ils parlent et fassent une croix dessus. On retrouve ici également la différence entre un état (péjorativement des individus relativement indépendants, maximisant leur intérêt propre, sans mission, ni buts nobles, consumant leur vie sans idéal) et une nation (agents connectés en réseau formant un surhomme, maximisant l’intérêt du groupe, avec un sentiment de buts nobles, d’idéal à atteindre, de vie réussie, de participer à quelque chose de grand etc…). Bref, tout ce qui fait que les hommes s’entredéchirent depuis une éternité.

Voilà mon cher Rousseau, une hypothèse située dans la théorie 1 et susceptible d’expliquer ce qui nous arrive : une putain de mamelle. Le prix à payer pour qu’ils conservent leur putain mamelle c’est nous : ceux qui ne pourront jamais rentrer dans ce système parce qu’ils ne supportent ni le mal ni le faux. Comment le surhomme gère-t-il ce problème ? Déjà il pourvoit à nos besoins élémentaires d’argent. Cela pour offrir une certaine morale aux agents et faciliter ainsi leur participation aux persécutions. Pour convaincre également les agents que nous-même sommes dépendants d’une mamelle. Et pour nous obliger, nous humilier, nous faire sentir comme misérable. Le système est bien huilé, sans doute depuis des siècles. Tu décris très bien les humiliations qu’ils t’infligent à ce niveau. Sache qu’ils me font subir les mêmes. L’autre levier que le surhomme pourrait activer pour justifier ses agissements envers toi à ses propre yeux (et donc aux yeux des agents) est la reconnaissance. Ta présence au panthéon, des noms de rue, la perpétuation de tes écrits, tout un tas de trucs que tu n’aurais jamais voulu. D’autre part, c’est sans doute une reconnaissance fausse et hypocrite par bien des égards car j’ai pu détecter les traces d’un complot toujours actif contre ton nom. J’en ferai l’analyse plus loin.

Ce système est une sorte d’immense paquebot. Et comme nous ne pouvons pas rester sur ce paquebot, ils nous sacrifient. Pour justifier le sacrifice, ils pourvoient à nos besoins élémentaires et offrent une reconnaissance factice, hypocrite et vaine. Telle est en 2023 une hypothèse que j’ai pour expliquer l’enfer que tu as vécu il y a 246 ans et que je vis encore aujourd’hui. Telle est donc potentiellement l’état où en est « l’humanité » aujourd’hui, à un temps t.

[…]

On dit qu'en Hollande le peuple se fait payer pour vous dire l'heure et pour vous montrer le chemin. Ce doit être un bien méprisable peuple que celui qui trafique ainsi des plus simples devoirs de l'humanité. J'ai remarqué qu'il n'y a que l'Europe seule où l'on vende l'hospitalité. Dans toute l'Asie on vous loge gratuitement ; je comprends qu'on n'y trouve pas si bien toutes ses aises. Mais n'est-ce rien que de se dire : Je suis homme et reçu chez des humains ? C'est l'humanité pure qui me donne le couvert. Les petites privations s'endurent sans peine quand le cœur est mieux traité que le corps.

ÉCRITS EN FORME DE CIRCULAIRE

I – Déclaration

Lorsque J J. Rousseau découvrit qu’on se cachait de lui pour imprimer furtivement ses écrits à Paris, et qu’on affirmait au public que c’était lui qui dirigeait ces impressions, il comprit aisément que le principal but de cette manœuvre était la falsification de ces mêmes écrits, et il ne tarda pas, malgré les soins qu’on prenait pour lui en dérober la connaissance, à se convaincre par ses yeux de cette falsification. Sa confiance dans le libraire Rey ne lui laissa pas supposer qu’il participât à ces infidélités, et en lui faisant parvenir sa protestation contre les imprimés de France, toujours faits sous le nom dudit Rey, il y joignit une déclaration conforme à l’opinion qu’il continuait d’avoir de lui. Depuis lors il s’est convaincu aussi par ses propres yeux, que les réimpressions de Rey contiennent exactement les mêmes altérations, suppressions, falsifications que celles de France, et que les unes et les autres ont été faites sur le même modèle et sous les mêmes directions. Ainsi ses écrits, tels qu’il les a composés et publiés, n’existant plus que dans la première édition de chaque ouvrage qu’il a faite lui-même, et qui depuis longtemps a disparu aux yeux du public, il déclare tous les livres anciens ou nouveaux, qu’on imprime et imprimera désormais sous son nom, en quelque lieu que ce soit, on faux ou altérés, mutilés et falsifiés avec la plus cruelle malignité, et les désavoue, les uns comme n’étant plus son ouvrage, et les autres comme lui étant faussement attribués. L’impuissance où il est de faire arriver ses plaintes aux oreilles du public, lui fait tenter pour dernière ressource de remettre à diverses personnes des copies de cette déclaration, écrites et signées de sa main, certain que si dans le nombre il se trouve une seule âme honnête et généreuse qui ne soit pas vendue à l’iniquité, une protestation si nécessaire et si juste ne restera pas étouffée, et que la postérité ne jugera pas des sentiments d’un homme infortuné sur des livres défigurés par ses persécuteurs.

Fait à Paris, ce 23 janvier 1774

J. J. Rousseau

Le fait que ce texte soit écrit à la troisième personne me questionne car à la fin, tu signes normalement. En effet, il me semble que l’utilisation du « il » au lieu du « je » diminue largement le pouvoir de convaincre du texte. Personne n’aime les gens qui parlent d’eux à la troisième personne. Je n’exclue donc pas que cet écrit ait aussi pu faire l’objet de falsifications minimes ou massives.

II – À tout Français aimant encore la justice et la vérité

Français ! nation jadis aimable et douce, qu’êtes-vous devenus ? Que vous êtes changés pour un étranger infortuné, seul, à votre merci, sans appui, sans défenseur, mais qui n’en aurait pas besoin chez nu peuple juste ; pour un homme sans fard et sans fiel, ennemi de l’injustice, mais patient à l’endurer, qui jamais n’a fait, ni voulu, ni rendu le mal à personne, et qui, depuis quinze ans, plongé, traîné par vous dans la fange de l’opprobre et de la diffamation, se voit, se sent charger à l’envi d’indignités inouïes jusqu’ici parmi les humains, sans avoir pu jamais en apprendre au moins la cause ! C’est donc là votre franchise, votre douceur, votre hospitalité ! Quittez ce vieux nom de Francs, il doit trop vous faire rougir. Le persécuteur de Job aurait pu beaucoup apprendre de ceux qui vous guident dans l’art de rendre un mortel malheureux. Ils vous ont persuadé, je n’en doute pas, ils vous ont prouvé même, comme cela est toujours facile en se cachant de l’accusé, que je méritais ces traitements indignes, pires cent fois que la mort. En ce cas, je dois me résigner ; car je n’attends, ni ne veux d’eux, ni de vous, aucune grâce ; mais ce que je veux et qui m'est dû tout au moins, après une condamnation si cruelle et si infamante, c’est qu’on m’apprenne enfin quels sont mes crimes, et comment et par qui j’ai été jugé.

Pourquoi faut-il qu’un scandale aussi public soit pour moi seul un mystère impénétrable ? À quoi bon tant de machines, de ruses, de trahisons, de mensonges, pour cacher au coupable ses crimes, qu’il doit savoir mieux que personne, s’il est vrai qu’il les ait commis ? Que si, pour des raisons qui me passent, persistant à m’ôter un droit dont on n’a privé jamais aucun criminel, vous avez résolu d’abreuver le reste de mes tristes jours d’angoisses, de dérisions, d’opprobres, sans vouloir que je sache pourquoi, sans daigner écouter mes griefs, mes plaintes, mes raisons, sans me permettre même de parler ; j’élèverai au ciel, pour toute défense, un cœur sans fraude, et des mains pures de tout mal, lui demandant, non, peuple cruel, qu’il me venge et vous punisse (ah ! qu’il éloigne de vous tout malheur et toute erreur !), mais qu’il ouvre bientôt à ma vieillesse un meilleur asile, où vos outrages ne m’atteignent plus.

Mon ami, je ne sais pas pourquoi ils t’ont persécuté si longtemps. Mais à nouveau, j’avance l’hypothèse que c’est la philosophie politique que tu défends qui leur pose problème : « l'Homme est naturellement bon et c’est la société qui le corrompt ». Il me semble possible qu’ils pensent exactement l’inverse « l'Homme est naturellement mauvais et il faut une société secrète forte pour le rendre vertueux ». Ensuite, quand tu as commencé à déranger, ils se sont persuadés par un moyen ou un autre que tu étais mauvais (tout comme eux) et alors la machine s’est mise en place pour te retourner ou te persécuter. C’est une hypothèse et c’est une hypothèse de leur point de vue.

De notre point de vue, je suspecte que ta bonté en t’interdisant de rendre coup pour coup « ah ! que [Dieu] écarte de vous tout malheur », en refusant vengeance et punition à l’encontre de tes persécuteurs, génère une contre-réaction de surplus de méchanceté chez ceux qui fonctionnent et sont câblés neurologiquement selon des modalités complétement inverses : « rendre coup pour coup », « œil pour œil, dent pour dent », « il faut arracher le mal à la racine », « la meilleure défense c’est l’attaque » etc… Dès ta naissance et avant même la mise en place des persécutions, tu étais un homme bon et donc la seule posture, la seule religion adoptable face à ces persécutions est la posture / religion Chrétienne : « tendre l’autre joue ». Et il est possible qu’un surhomme soit démuni et perdre la raison face à une telle manière d’être. De là une fureur absurde, bête et méchante que ce système fait assumer à l’humanité entière. Encore une fois il s’agit ici d’hypothèses en T1. Je n’aborde pas T2.

Conclusion et suite

J’ai terminé mon analyse et mes commentaires des rêveries et des deux écrits en forme de circulaire. Le lecteur pourra passer directement à la suite en lisant mon Analyse de Rousseau Juge de Jean-Jacques. A la base, cette dernière analyse faisait directement suite à ce texte mais j’ai décidé de couper en plusieurs pages web distinctes pour alléger et aérer un peu la discussion.

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